La Chronique Agora

Une histoire de fourche et de meules de foin !

▪ Lorsque les cours grimpent, les marchés se trouvent toutes les raisons de croire à une pérennisation du mouvement. Lorsque les indices rechutent, les fondamentaux refont surface… et le moral des investisseurs en prend un coup.

Mais les optimistes n’ont pas dit leur dernier mot. Les places européennes reviennent rapidement au contact de leurs planchers annuels (à 3% près en Europe, à 4% aux Etats-Unis). Il ne faudra pas attendre longtemps avant que l’on nous ressorte le leitmotiv des actions « vraiment pas chères », qui bénéficient d’une « prime de risque élevée ».

Il est bien entendu qu’avec des taux à 0,25% aux Etats-Unis et 1% de ce côté-ci de l’Atlantique (pour une inflation qui reste supérieure à 1,5% en rythme annuel), il est  facile d’user d’un tel argument. Par rapport au rendement négatif des placements monétaires, tout ce qui offre une rémunération supérieure à 2% apparaît providentiel.

Mais l’or qui ne rapporte rien du tout — même pas 0,1% comme des emprunts japonais à quatre semaines –, continue de caracoler dans la zone des 1 200 $ l’once. Il vient juste d’entamer une correction technique vers 1 175 $ tandis que l’euro effectuait une incursion vers les 1,30 $ en fin de semaine dernière.

De nombreux articles fleurissent dans la presse économique, évoquant le danger d’une déflation. La décrue de la masse monétaire M3, qui mesure la monnaie fiduciaire en circulation et la masse des emprunts contractés par les agents économiques, étaye cette hypothèse qui tétanise les marchés… mais les détenteurs d’or ne bronchent pas.

Il n’y a pour l’instant pas de ferments inflationnistes susceptibles d’entraîner un changement d’attitude des banques centrales. Les taux bas, c’est encore pour très longtemps.

Pourtant, le métal jaune ne lâche rien.

▪ C’est le moment d’en revenir à l’un des secrets espoirs des haussiers : ils misent sur une hausse estivale en dépit d’indicateurs économiques qui donneraient plutôt envie de passer commande d’une panoplie d’anti-dépresseurs sur Internet.

Le rebond de l’été 2009 avait été fabriqué de toutes pièces par l’injection massive de liquidités orchestrée par les banques centrales ; souvenez-vous des 442 milliards de dollars avancés aux banques par la BCE au 1er juillet 2009 et remboursés il y a tout juste trois semaines. Aujourd’hui, de la même manière, les optimistes estiment que la Fed n’aura d’autre choix que de superviser la monétisation des muni-bonds — quasiment invendables aux Chinois et autres rois du pétrole — pour éviter que l’Etat fédéral ne fasse faillite… car nous en sommes bien là.

La Fed pourrait donc se résoudre à offrir aux banques tous les moyens de racheter ce que le Trésor US sera contraint de vendre, avant de prendre ces nouvelles dettes en pension (à l’image des créances pourries de l’ère des subprime) en l’échange de bons du Trésor US assortis de la précieuse notation « triple A ».

Cela revient indirectement à faire tourner la planche à billets ; la Fed peut techniquement démentir agir de la sorte, mais personne n’est dupe et le marché sait bien quel est le but effectivement poursuivi. Ce qui signifie déverser dans le système financier un nouveau raz-de-marée de liquidités qui ne devraient pas manquer de déclencher une vague d’euphorie boursière comparable à celle observée au cours du second semestre 2009.

Le problème, c’est que lorsqu’un Etat saute sans parachute (sans orthodoxie budgétaire ni recettes fiscales suffisantes pour garantir le remboursement de ses émissions obligataires), il peut toujours prétendre que tout va bien… mais seulement tant qu’il n’a pas touché terre.

C’est précisément ce type de mésaventure qui est arrivé à la Grèce. Elle flottait confortablement dans les airs jusqu’au moment où le sol calcaire du Péloponnèse s’est littéralement jeté sur elle.

▪ Pour les Etats-Unis, le scénario pourrait être un peu plus alambiqué… Nous pourrions l’illustrer avec cette petite blagounette estivale que nous soumettons à votre indulgence.

Un homme d’affaires pressé a malheureusement raté son train. Heureusement, son frère est pilote d’hélicoptère. Malheureusement, l’appareil, poussé au maximum de ses capacités pour rattraper le temps perdu, subit une panne de moteur et commence à chuter. Heureusement, il y a des parachutes à bord.

Malheureusement, ils n’ont pas servi depuis longtemps et le parachute principal ne s’ouvre pas. Heureusement, il reste le « ventral » de secours.

Malheureusement, paniqué par cet enchaînement de mésaventures, l’homme d’affaires oublie de se retourner sur le dos lorsqu’il tire sur la poignée, et le second parachute se met en torche. Heureusement, il y a une énorme charrette de foin fraîchement coupé juste à l’aplomb de sa chute libre.

Malheureusement, il y a une fourche plantée en plein milieu, les dents pointées vers le ciel…

Heureusement, en agitant frénétiquement les bras, il parvient à infléchir sa trajectoire…

… Et tombe finalement à deux mètres de la charrette.

Le comportement des marchés lors de la crise des subprime n’a-t-il pas reflété cette succession de moments de panique et de soudain retour de la confiance, avant une issue que nous vous annoncions inéluctable ?

Les banques centrales — qui n’avaient rien vu venir ou rien su empêcher — n’ont-elles pas endormi l’opinion publique (mais pas Fabrice Tourré et quelques éminent spécialistes des dérivés de crédit chez Goldman Sachs), affirmant jusqu’à la fin qu’elles contrôlaient la situation et que tout allait bien se passer ?

Ne sont-elles pas en train de nous rejouer la même partition avec les dettes souveraines, dont les « muni-bonds » américains sont une des composantes les plus importantes ?

▪ La journée de mardi fut également le reflet d’une succession de moments de déprime liée à une sourde inquiétude conjoncturelle, puis de retour de la confiance avec la publication de quelques trimestriels, dont ceux de Goldman Sachs. Amputés d’une amende record de 550 millions de dollars, ils affichent une chute de 83% par rapport au deuxième trimestre 2009… mais après retraitement des chiffres, la profitabilité semble toujours au rendez-vous (en doutiez-vous ?).

Ayant fortement reculé lors de la publication des résultats de Goldman Sachs vers 14h, les marchés européens — qui dévissaient de 1,7% en moyenne avant de limiter la casse à -0,5% —  ont relativement bien digéré le mauvais chiffre des mises en chantier de logements neufs. Ces derniers chutent de 5% au mois de juin aux Etats-Unis. Les permis de construire se sont en revanche redressés de 2,1% pour atteindre 586 000 mais demeurent proches de leurs plus bas niveaux depuis 15 mois.

En France, les commandes à l’industrie ont reculé de 1,2% au mois de mai et de 1,3% au cours des trois derniers mois, suite à une forte chute (plus de 15%) de l’activité dans le secteur automobile.

Le CAC 40 est parvenu à rebondir sur les 3 420 points dans le sillage de Wall Street en toute fin de parcours. Il aligne néanmoins une cinquième séance de baisse consécutive. Le sol (le plancher annuel) se rapproche — il s’en est fallu d’un peu plus de 3% — et les marchés ont commencé à battre des bras pour éviter un troisième test qui pourrait s’avérer fatal cette fois.

Et nous ne croyons pas que la Fed leur épargnera un atterrissage douloureux en entassant des liasses de dollars fraîchement imprimés à l’aplomb de leur trajectoire verticale !

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