** Nous avions découvert jeudi dernier avec une certaine incrédulité la révision de 50% à la hausse du PIB américain (de 1,9% à 3,3%) au second trimestre 2008. Nous avions immédiatement supposé qu’il y avait un "loup" mais sans parvenir à en apporter la preuve formelle, faute d’éléments de comparaison à l’échelle continentale ou de données précises concernant la nature des correctifs apportées aux statistiques initiales made in USA.
Nos froncements de sourcils du 28 août se sont transformés en éclats de rire le lendemain même, lorsque nous avons découvert que l’économie canadienne — véritable clone conjoncturel de son voisin du sud, les déficits budgétaires en moins — avait enregistré dans le même temps une croissance de seulement 0,3% (après -0,8% au premier trimestre) au lieu des 0,7% anticipés.
Le différentiel de 3% de croissance de part et d’autre du Saint-Laurent et des Grands Lacs s’éclaire soudain. Pour se faire pardonner d’engranger des excédents commerciaux avec les exportations de pétrole et d’hydro-électricité, d’avoir usé avec modération du levier du crédit immobilier, de ne pas avoir engagé des centaines de milliards de dollars sans le moindre commencement de projet de financement dans des guerres impériales en Mésopotamie et en Asie Centrale, le peuple canadien a fait cadeau de 0,4% de croissance à son principal partenaire économique qui broie du noir depuis 18 mois.
Ce sacrifice sera facilement compensé par une cure de sirop d’érable et de canneberges cet automne ainsi que par la victoire d’une équipe de hockey aux couleurs de la feuille d’érable dans le championnat nord-américain à l’issue de la saison 2008/2009.
** Avec le phénomène de vases communicants décrit plus haut, le PIB américain passe donc mécaniquement de 1,9% à 2,3%… Manque encore l’explication d’une différence positive de 1% — soit plus de deux fois et demie le taux de progression observé au Canada.
Elle résulterait en fait d’une mauvaise modélisation des effets induits par les 140 milliards de dollars restitués aux consommateurs américains sous forme de chèques de remboursement fiscal aux mois d’avril et de mai 2008. Les statisticiens américains avaient peut-être — c’est nous qui risquons cette hypothèse — surestimé la fraction de cette manne qui serait affectée au désendettement des ménages américains qui en ont pourtant bien besoin.
En fait, les contribuables auraient pris ce cadeau pour ce qu’il est, à savoir de l’argent tombé du ciel, à dépenser au plus vite, avant saisie de la maison et des sommes figurant encore sur leur compte en banque.
Nous exagérons, bien sûr… mais soyez certain que ce raisonnement n’est pas très éloigné de la réalité, d’autant que le taux d’endettement global des ménages continue de progresser aux Etats-Unis et que le nombre des défauts de paiement sur les cartes de crédit continue d’exploser.
L’effet "corne d’abondance" n’a pas tardé à se dissiper, sauf dans les chiffres relatifs à la croissance d’il y a presque trois mois. Les revenus des ménages américains se sont ainsi contractés de 0,7% en juillet, après une hausse de 0,1% au mois de juin et une spectaculaire envolée de 1,8% en mai dernier.
Leurs dépenses ont parallèlement augmenté de 0,2% (après +0,6% en juin). Vous calculerez sans peine que les revenus réels sont en chute libre de 0,5% depuis le mois de juin et que le taux d’épargne effectue une chute libre de 2,5% à 1,2% en quelques semaines.
** Mais allons plus loin dans la dissection de ces derniers chiffres en tenant compte de l’inflation annuelle : les dépenses des ménages ressortent en fait négatives de 0,4% (en valeur réelle) le mois dernier.
Cet aspect des choses est loin d’être négligeable puisque l’indice PCE — une mesure de la dérive des prix subie par les consommateurs, particulièrement surveillée par la Réserve fédérale — a enregistré une poussée de 0,6% le mois dernier après un coup de chaud de 0,7% en juin.
Ceci porte à 4,5% le taux de progression du PCE en rythme annuel, le taux le plus élevé depuis février 1991 et l’offensive alliée en Irak. L’équation "plus de consommation égale plus d’inflation" semble donc se vérifier mais les investisseurs européens semblent privilégier l’aspect positif du boom des caddies en mai et en juin. Le besoin de restockage se traduit par une hausse surprise (sept points) de l’indice des directeurs d’achats de la région de Chicago au mois d’août.
Ce baromètre avancé de l’activité économique est ressorti à 57,9 pour le mois d’août, masquant un peu plus d’un point de vue statistique le processus récessionniste à l’oeuvre aux Etats-Unis tout comme au Canada — où les statistiques semblent moins sujettes, cet été, aux caprices des échéances électorales américaines.
Il n’apparaît guère surprenant au bout du compte de constater que l’indice de confiance des consommateurs de la région du Michigan est finalement ressorti en hausse à 63 en août, contre 61,7 (estimation préliminaire), après 61,2 en juillet.
** Les investisseurs à Wall Street ne sont apparemment pas dupes des causes du "miracle" du second trimestre 2008. Le bel élan haussier de jeudi soir s’est donc brisé à l’approche des 11 700 points et la résistance des 11 750 points n’a même pas été approchée puisque le Dow a plafonné par deux fois au contact des 11 715 points.
Le pullback de -1,45% survenu vendredi soir ramène l’indice des industrielles en territoire négatif sur l’ensemble de la semaine. Le Nasdaq, qui rechutait vendredi de 1,85%, affiche quant à lui un score global voisin de -1,95%, lequel constitue l’exacte symétrie des gains du CAC 40 (+1,9%), de l’Eurotop 100 ou du Footsie.
Pour un indice qui est réputé comme étant le plus corrélé aux anticipations de croissance, le Nasdaq accueille de façon plus que paradoxale la révision à la hausse du PIB américain !
Le revirement baissier des marchés américains vendredi dernier ne remet pas fondamentalement en cause l’hypothèse d’une avancée du CAC 40 vers les 4 720/4 730 points d’ici la mi-septembre. Cependant, les valeurs françaises vont devoir puiser dans leurs propres ressources pour préserver leur dynamique haussière… ce qui entretient un petit suspense qui n’est pas pour nous déplaire. Une envolée linéaire au-dessus des 4 500 points nous aurait privés de l’opportunité de jouer une troisième vague de progression se prolongeant jusqu’au 15 septembre, dans le cadre d’un rattrapage des valeurs libellées en euro par rapport à leur homologues américains et sur fond d’apaisement des tensions entre la Russie et la Géorgie, par exemple.
Philippe Béchade,
Paris