La Chronique Agora

Une crise d'accord… mais quelle crise exactement ?

▪ Vendredi matin peu avant 6h, j’ai commencé à recevoir des messages sur mon téléphone portable, m’enjoignant à allumer la télévision, sur la chaîne CNBC. Et là, j’ai vu ce que vous avez vu : le Dow Jones a vécu sa plus grande baisse intraday depuis 1987. L’indice a perdu près de 1 000 points et presque 10% tandis que pas loin de 1 000 milliards de dollars de valeur de marché disparaissaient.

A la fin de la journée, la perte était juste en dessous des 347 points, soit 3,2%. Et CNBC expliquait que toute cette affaire avait été déclenchée par un trader qui avait entré le mauvais chiffre dans une opération, sûrement une action Procter & Gamble, qui a perdu près de 37% à un moment. CNBC a déclaré que "l’opération erronée impliquait peut-être des E-Mini Contracts — des contrats à terme sur un indice boursier qui s’échangent sur la plateforme Globex du Chicago Mercantile Exchange. La composition des E-Mini est identique à celle des actions du S&P 500".

Tout ça n’était peut-être qu’un malentendu. Mais c’est un malentendu qui coûte cher. Quand les ordinateurs prennent des décisions à la place des être humains par le biais du program trading, alors le catalyseur pour un événement donné peut être erroné et avoir quand même des conséquences dans le monde réel. Le program trading est un système basé sur des algorithmes qui lancent automatiquement des ventes et des achats sur le marché à partir des niveaux de résistance et de soutien déterminés par des modèles.

Le program trading représente 24% du volume d’opérations quotidiennes de la dernière semaine pendant laquelle les données ont été conservées, selon la Bourse de New York. La dernière semaine d’avril, la transaction de 700 millions de titres a été basée sur des algorithmes. Il n’est pas difficile de voir ce qui s’est sans doute passé la semaine dernière.

▪ Un bipède déplumé a fait une énorme erreur sur une transaction P&G et a effacé 60 milliards de dollars de la capitalisation boursière de l’entreprise. La chute de P&G a déclenché des ordres de vente automatiques qui ont entraîné le Dow Jones sous la barre des 10 000. Le passage du Dow Jones sous les 10 000 a sûrement déclenché une flopée d’ordres d’achat. Et voilà ! C’est le chaos !

Enfin, pas tout à fait le chaos. Mais en tout cas de la volatilité. Et vous pensiez que les cours étaient déterminés par les acheteurs et les vendeurs, avec de vrais cerveaux, qui décidaient de la valeur actuelle de bénéfices à venir. Eh bien non.

Selon nous, ce qu’il faut retenir de l’épisode américain, c’est comment, après la précipitation dans laquelle il a fallu digérer et constamment réévaluer les informations et les nouvelles qui tombaient, le marché apparaît désormais susceptible de suivre des montagnes russes qui font monter et descendre les prix et déclenchent des décisions de vente et d’achat automatiques. Cela n’a rien d’une amélioration de l’efficacité. C’est plus une vulnérabilité du système qui pourrait être volontairement exploitée à l’avenir, dans le but de causer la panique et la destruction de richesse.

Attendez vous à ce qu’il y ait une enquête, mais ne vous attendez pas à ce que les choses changent… jusqu’à la prochaine fois.

▪ Le fait que les traders ont eu peur montre également à quel point les investisseurs sont indécis en ce moment. Peu avant que CNBC ne commence à paniquer au sujet de la chute du Dow Jones, Mohamed El-Erian, de PIMCO, écrivait dans une note à l’attention des clients que la crise grecque entraînait un resserrement des prêts interbancaires en Europe et que cela allait se répandre dans le monde entier.

Plus précisément, El-Erian a déclaré : "les mécanismes de transmission pour ce dernier épisode [de volatilité] impliquent des perturbations dans les lignes interbancaires européennes, une fuite vers la qualité, et une illiquidité du marché… la crise grecque vous montre que les dettes et les déficits ne doivent pas être traités à la légère… ce que vous voyez en ce moment, c’est une suite d’incidents en cascade dans le système. C’est comme un tuyau qui doit absolument laisser couler l’eau correctement, et qui commence à se boucher ; c’est problématique…cela entraîne des dérèglements dans tout le système, et finit par avoir un impact sur la valorisation".

Tout ça réveille le débat de 2008 au sujet de la Crise Financière Mondiale (qui s’est transformée en une Crise de la Dette Souveraine), à savoir : s’agit-il d’une crise des liquidités, d’une crise de la solvabilité, d’une crise de confiance, des trois à la fois, ou d’aucune des trois ? Qu’en est-il ?

Si le défaut de paiement imminent de la dette grecque n’est pas contenu, ça va bientôt devenir une crise des liquidités. C’est en partie ce qui a rendu les traders de New York si nerveux après la séance européenne. Dans un monde où l’on fait jouer l’effet de levier et où les capitaux chutent, les problèmes de liquidité deviennent des problèmes de solvabilité. Et tout ça n’est pas bon pour la confiance.

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