La Chronique Agora

Une capitulation boursière moins spontanée qu’il n’y paraît

 

▪ La dégringolade de l’euro sous les 1,36 $ a fait souffler un vent de panique sur les places boursières mondiales vendredi dernier. Les indices asiatiques ont dévissé de 3,3% à Hong Kong et 4,3% à Taïwan. L’optimisme du milieu de la semaine est balayé par une réalité que les marchés s’obstinaient à nier depuis l’automne dernier : les mauvaises dettes du secteur bancaire ont été transférées vers le secteur public et les plans de soutien financés à coup de déficit budgétaire viennent encore alourdir la facture.

Les Etats ne pourront manifestement pas compter sur la croissance anticipée en 2010 pour accroître leurs recettes fiscales. La seule alternative consiste à mettre sur pied des plans d’austérité budgétaires qui risquent de faire replonger les économies occidentales dans la récession.

Si cette hypothèse se vérifiait, la bulle immobilière — et celle du surinvestissement dans les capacités de production — ne tarderait pas à éclater faute de débouchés commerciaux pour les produits made in China. L’Inde et le Brésil risquent également de faire les frais d’un brusque retrait des capitaux des pays émergents.

Mais le G7 qui se réunissait ce week-end n’avait aucun intérêt à laisser les turbulences sur les marchés des changes atteindre des proportions incontrôlables. Le Forum de Davos a mis en évidence la prise de conscience du problème des dettes souveraines ; les investisseurs intègrent le scénario d’un durcissement des politiques monétaires de part et d’autre de l’Atlantique.

Alors qu’ils étaient considérés comme « pas chers » jusqu’alors, les marchés d’actions accèdent début février au statut de placement à haut risque. La volatilité — mesurée par le VIX, qui bondit de 21,5 vers 29 — a atteint en 48 heures des niveaux inconnus depuis la correction de mi-juin/début juillet 2009. Elle est ensuite retombée vers 26 en clôture.

▪ Mais dans un contexte de déprime qui n’a épargné aucun des grands indices du Vieux Continent, le plongeon de 3,4% du CAC 40 semble totalement disproportionné. Cela d’autant que l’Eurotop 100 ne cédait que 1,9%, Francfort 1,8% et Londres 1,5%. La place de Paris terminait donc — et de très loin — en queue de peloton vendredi soir.

Cette cinquième semaine de l’année — la quatrième de baisse consécutive — s’est achevée de la pire des façons pour le CAC 40. Il a subi une perte hebdomadaire de 4,7%, alors que l’Eurotop 100 ne cédait que 4,25% dans l’intervalle. Moins de 10 valeurs françaises achevaient la semaine sur un score positif : Technicolor/Thomson gagnait 2,8%, Ipsos 2,3%, Mercialis et Téléperformance 1%… et strictement aucun gain ne concernait les composantes du CAC 40.

Les programmes de vente informatisés ont fait des ravages en fin de séance. Le CAC 40 s’avérait incapable de préserver le seuil technique des 3 610 points (les volumes sont passés de 3,5 à 6,7 milliards d’euros au cours de la seule dernière heure de cotation)… les machines ayant pris le pas sur le jugement humain.

Il n’y avait aucune raison fondamentale (comme ce fut le cas à Madrid la veille) pour que le CAC 40 perde deux fois plus au final que le DAX 30 ou le FTSE 100. Les vendeurs se sont déchaînés contre les valeurs financières avec -6% sur AXA, -5,5% sur BNP Paribas (-9,65% en hebdomadaire), -5,1% sur Crédit Agricole (-11,5% en hebdomadaire) et -5% sur Dexia (et -10,5%), -4,2% sur Société Générale (et -9%).

La meilleure illustration de l’aversion au risque nous est fournie par l’euro. Vendredi, la monnaie unique rechutait en fin de journée jusque sur 1,3585 $, au plus bas depuis le 19 mai 2009.

C’est en réalité le dollar qui fuse à la hausse. Les spéculateurs rachètent leurs positions vendeuses en catastrophe (inversion du carry trade) et liquident à tout-va les actifs achetés en contrepartie du billet vert… à commencer par le pétrole qui replongeait de 4%, vers les 70 $ le baril.

▪ Comparés au foyer d’inquiétude que constitue l’hyper-volatilité des devises, les chiffres de l’emploi américain, pourtant très attendus, n’ont pas suscité de réaction très mesurable.

Les destructions d’emplois du mois de janvier (au nombre de 20 000) s’expliquent en grande partie par de très mauvaises conditions climatiques, qui se sont généralisées à l’ensemble du pays et jusqu’à la Floride. Résultat : 75 000 emplois en moins dans le secteur de la construction, littéralement paralysé par les intempéries. L’industrie a créé 11 000 emplois, l’Etat en a détruit 8 000. Le nombre d’heures travaillées est resté pratiquement stable, à 33,3, avec des salaires en hausse de 0,3%.

Rien qui puisse justifier une capitulation du marché parisien avec 39 valeurs sur 40 en baisse au sein du CAC (95% des composantes du SBF 120 l’étaient également). Suez Environnement a été le seul titre à surnager avec un gain symbolique de 0,05%.

Mais les liquidités ainsi récupérées en Europe — et à Paris en particulier — ont probablement contribué à soutenir Wall Street en seconde partie de séance, après un trou d’air de -1,8% pendant l’heure du déjeuner.

Le Dow Jones préserve non seulement le palier psychologique des 10 000 points mais s’offre même le luxe d’une progression symbolique de 0,1% qui réduit la perte hebdomadaire à 0,55%.

Le Nasdaq 100 (+0,75%) aligne une quatrième séance de hausse sur une série de cinq. La semaine s’achève sur un gain de 0,3%. Le Nasdaq Composite s’effrite symétriquement de -0,3% — de quoi aborder la seconde semaine du mois de février l’esprit serein… et du cash plein les poches !

▪ Nous n’avons pas l’habitude d’accorder beaucoup de crédit aux déclarations des politiciens lorsqu’ils ne s’improvisent donneurs de leçon aux marchés — mais il faut parfois faire une exception.

Il faut reconnaître une certaine pertinence aux propos tenus vendredi par le chef du gouvernement socialiste espagnol, José Luis Zapatero. Il a dénoncé les sous-entendus et les attaques à peine voilées des analystes anglo-saxons qui mettent en doute la solidité de la monnaie unique européenne et n’ont cessé de jeter de l’huile sur le feu depuis l’épisode de l’effondrement de la dette grecque.

Comme nous l’expliquions vendredi, il est difficilement justifiable d’alimenter une psychose anti-euro en prétextant maintenant une paille (portugaise) dans l’oeil de la BCE… alors qu’une poutre (californienne) obstrue depuis deux ans celui de la Fed.

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