La Chronique Agora

Une année du Tigre sous le signe de la repentance ?

 

▪ Nous débutons cette Chronique par une petite anecdote… Les transactions se sont pratiquement interrompues pendant plus de 10 minutes vendredi à Wall Street vers 18h00, alors que Tiger Woods se livrait en direct devant les journalistes de 174 chaînes américaines à un touchant (ou humiliant, consternant, affligeant, délirant… choisissez selon votre humeur) « repentir » en mondovision.

La planète finance s’est donc arrêtée de tourner pour assister à des aveux et des demandes d’excuses publiques d’un sportif adultère dignes des procès staliniens d’avant la guerre froide ou de la révolution culturelle chinoise !

Pourvu que ce triste spectacle ne soit pas emblématique de l’année du Tigre qui vient justement de débuter en Chine. Cette dernière réclame d’ailleurs rien moins que des excuses publiques de la part du président américain pour avoir rencontré le dalaï-lama vendredi… ce qui équivaut manifestement à un adultère politique.

▪ Les places boursières ont réalisé un sans-faute la semaine dernière avec pas moins de cinq séances positives d’affilée. La belle série s’est conclue par un gain de 0,58% à 3 769,5 points vendredi à Paris, la performance hebdomadaire s’élevant à +4,75%. Les volumes (3,6 milliards d’euros en moyenne) apparaissent toutefois moins étoffés que lors des phases de repli du CAC 40.

Le marché parisien avait beaucoup hésité la semaine précédente mais le palier des 3 600 points a bien tenu. Le sursaut a été mené par les valeurs bancaires et les cycliques qui avaient le plus souffert ces quatre dernières semaines. Au total, les dégagements observés à partir du 11 janvier ont effacé pratiquement tous les gains engrangés depuis début septembre 2009… mais revoici les indices au contact de leurs niveaux médians de la mi-décembre.

La question qui revient à la veille de chaque week-end est la suivante : les marchés sont-ils à leur prix ? La réponse a été « oui » à 16 reprises (sur une série de 20 lundis) depuis début octobre 2009, soit quatre fois sur cinq. Impressionnant, n’est-ce pas ?

Si nous devions avancer une explication, c’est que ceux qui ont orchestré la tendance haussière se sont arrangés pour partir en week-end avec le moins de papier possible, quitte à racheter plus cher le lundi si les voyants techniques restaient au vert.

▪ En ce qui concerne les voyants macroéconomiques, nous voyons du rouge clignoter partout depuis fin décembre. C’est ce que confirme une enquête Bank of America/Merrill Lynch réalisée entre les 5 et 11 février.

Sur 200 gérants sondés à travers l’Europe, ils ne sont plus que la moitié à parier sur une croissance de l’économie dans l’Eurozone en 2010, contre 75% à la mi-janvier. Rappelons que le CAC 40 culminait alors vers 4 100 points, l’Euro-Stoxx vers 3 030 points et le Dow Jones vers 10 700 points.

Cela prouve certainement qu’une majorité d’opérateurs pense dans le sens de la tendance et rarement l’inverse, même si l’actualité leur hurle qu’il faudrait changer d’opinion… mais ce n’est pas nouveau.

Les anticipations se sont également retournées s’agissant de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine. 42% des gérants interrogés misent désormais sur le statu quo jusqu’à fin 2010, contre seulement 27% en janvier.

Les hedge funds ont réduit leur levier à moins de un contre 1,33 au début de l’année. 12% des gérants sont sur-pondérés en cash, alors qu’ils étaient 8% à être sous-pondérés le mois précédent.

Le renversement de tendance le plus spectaculaire concerne la Chine : ils n’étaient plus que 7% d’investisseurs à miser sur un renforcement de la croissance économique en Chine, contre 51% au mois de janvier.

Les signaux d’alerte au krach obligataire envoyés par Pékin (risque d’éclatement d’une gigantesque bulle de dette) ont été reçus cinq sur cinq. La Banque centrale a exigé par deux fois en quatre semaines un relèvement du ratio de réserves obligatoires des banques chinoises. Elle ne peut espérer qu’obtenir — au mieux — un dégonflement en douceur de la bulle du crédit.

Nous maintenons quant à nous que la situation (excès spéculatifs tous azimuts) est tout aussi explosive qu’au Japon à l’entame de l’année 1990. Les Bourses de Shanghai et Shenzhen connaissent une surchauffe comparable à celle observée sur le Nasdaq à février 2000.

Les investisseurs sondés par BoA/Merrill-Lynch ont été clairement traumatisés par le psychodrame grec. Ils sont plus de 50% à être sous-pondérés sur les banques exposées dans les pays du « Club Méditerranée », contre 16% précédemment. Même après ce désengagement, 14% d’entre eux estiment que les banques sont encore surévaluées !

▪ Mais ce sondage remonte à plus de 10 jours ; les opérateurs avaient le moral au fond des chaussettes. Après une correction de 10% à 12% des places européennes, les vendeurs ont nettement relâché la pression et les indices se sont offert un joli gain de 0,55% vendredi — l’EuroStoxx 50 prend 4,5% sur la semaine et teste les 2 800 points.

L’hypothèque grecque semblait moins présente dans les esprits : la question des dettes souveraines serait en partie prise en compte dans les cours de l’euro.

Les marchés relativisaient également l’annonce par la Fed d’une hausse de 25 points de base du discount rate (taux de refinancement d’urgence des banques), relevé de 0,50% à 0,75%. Cela n’aura en pratique que très peu d’impact à court terme, sinon psychologique : plus personne ne se procure de liquidités pas ce biais, les échanges interbancaires étant redevenus fluides depuis la mi-2009.

Même si la Fed rejette l’anticipation d’une hausse de taux en 2010, les marchés anticipent une réabsorption graduelle des liquidités, ce qui va mécaniquement raréfier le dollar.

▪ Il s’ensuit que l’euro rechutait lourdement dès jeudi soir, après un bref test des 1,375 $ en milieu de semaine. Il a inscrit un nouveau plancher annuel à 1,347 $ vendredi matin.

La surprise provient du baril de pétrole (+0,7%) qui déborde les 79 $, à 79,65 $. Il se rapproche ainsi du palier des 80 $ malgré la bonne tenue du billet vert.

La décorrélation est maintenant avérée ; le pétrole réagit de manière autonome aux divers éléments macroéconomiques (les indices « Empire State » et « Philly Fed » ont traduit une accélération de l’activité industrielle début 2010 aux Etats-Unis).

Selon des statistiques publiées vendredi par le département du Travail US, l’indice des prix à la consommation (CPI) a augmenté de 0,2% le mois dernier par rapport à décembre, dans le sillage des prix de l’énergie, en hausse de 2,8%.

Les économistes anticipaient en moyenne une hausse de 0,3% des prix au mois de janvier. L’inflation s’établit à 2,6% en rythme annuel, une progression conforme aux attentes… mais la Fed pourrait juger que, combiné avec le PPI (+4,6% annuel), la surchauffe n’est pas loin.

▪ S’il est un pays où l’inflation ne devrait pas constituer une « menace sérieuse et imminente », c’est bien l’Angleterre, avec une consommation au tapis ! Les ventes de détail ont chuté de 1,8% au mois de janvier… alors que les soldes battaient leur plein. C’est du jamais vu. Le PIB britannique a chuté de 4,8% en 2009 — il affichait un recul de 3,2% en glissement annuel au mois de décembre dernier.

Pour soutenir la croissance en 2010, la Banque centrale britannique vient d’annoncer qu’elle allait étendre son programme de rachat de créances bancaires et le porter à 200 milliards de livres sterling.

Nous vous rappelons que l’Angleterre reste un précurseur des grandes tendances économiques et financières. Ceci nous renvoie à la phrase d’introduction de notre chronique de mardi dernier : « ‘Et si la croissance connaissait un passage à vide en 2010 ?’, commencent à s’inquiéter les chroniqueurs qui nous abreuvaient encore de scénarios de reprise en ‘V’ début 2010″…

Entre-temps, les indices boursiers ont repris entre 4,5% et 4,8%… Est-ce bien raisonnable ?

 

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