La Chronique Agora

Un pétard sous la chaise des spéculateurs

▪ Après avoir désespéré les acheteurs pendant trois mois, voici que les marchés s’appliquent à faire paniquer les vendeurs depuis une semaine.

Nous évoquions hier « une  petite séance d’accalmie entre deux tempêtes de volatilité » ; il semblerait bien que les écarts de cours observés mercredi (+2,4% à Paris, +3% à Milan) nous donnent raison. Après la peur de rester dans le marché, voici que ressurgit la peur de ne pas être dans le marché.

Dans un cas comme dans l’autre, l’évolution des indices européens semble régie par du story telling, c’est-à-dire de belles ou horribles fables destinées à susciter des réactions instinctives d’aversion ou d’appétit pour le risque.

Il en résulte un régime de douche écossaise, de « portes de saloon » battant à toute volée, qui profite surtout à ceux qui écrivent le scénario au jour le jour et qu’ils s’appliquent à faire paraître dans la presse du lendemain.

Pour les spéculateurs, c’est comme si un pétard éclatait sous leur chaise toutes les 48 heures.

Si nous devions faire l’inventaire des certitudes justifiant des chutes ou des rebonds de 15% en une poignée de séance, un Post-it de format timbre poste devrait suffire.

Nous inscririons dessus la constatation suivante : « rien n’est certain, si ce n’est la volonté des marchés de piéger tous ceux qui pensent que quelqu’un sait quelque chose ».

▪ Vous avez dû lire, comme nous, ces commentaires de traders (ou qui se prétendent tels) nous expliquant que les marchés se fichent en fait de savoir s’il existe une solution à la crise grecque… un espoir de gouvernance plus fédérale de l’Europe… ou encore un risque que la Chine riposte en gelant ses achats de bons du Trésor US après les sanctions votées contre Pékin par le Congrès mardi soir.

Nous allons même plus loin : les marchés ne se posent même pas la question de ce qui est possible d’ici le prochain sommet européen ou la réunion du G20 à Cannes, parce que l’écrasante majorité des positions initiées par les traders n’ont pas vocation à être détenues plus de quelques minutes.

Sauf si la tendance conforte la mise en jeu initiale, auquel cas elles sont maintenues pour une durée indéterminée ; et les positions sont toujours protégées par des limites de vente de protection qui accompagnent les cours et qui n’ont aucun lien avec l’actualité.

Les réactions à chaud, c’est le travail de logiciels d’analyse sémantique et lexicale bien spécifiques qui sont couplés à d’autres robots. Ces derniers vendent ou achètent des actifs avant même que nous ayons fini de lire le titre de la dernière dépêche.

Impossible de déterminer quelle information ou quelle tournure de phrase (dans le cas des communiqués en langage codé des banques centrales) déclenche une soudaine avalanche d’ordres de vente ou de rachats. C’est le sens du marché qui amène les commentateurs à rechercher des interprétations étayant la hausse ou le retournement à la baisse du jour.

Autrement dit, les cours de Bourse peuvent faire absolument n’importe quoi — ce qui est particulièrement avéré depuis le 1er septembre dernier. Il se trouvera toujours un commentateur, un journaliste du Financial Times ou du Wall Street Journal pour attirer notre attention sur la petite phrase, la rumeur du jour (que personne n’avait lue sur un blog rédigé en moldo-valaque) qui explique les renversements de situation les plus inexplicables.

▪ Partant de ce constat, n’est-il pas effectivement plus sage de laisser un ordinateur gérer les positions parce que la vérité de 21h30 n’aura peut-être rien à voir avec celle de 22h01 ? Nous faisons ici allusion à cette succession d’étranges scénarios de fin de séance depuis le 3 octobre à Wall Street.

Pour résumer notre étonnement des dernières heures, nous ne nous focaliserons que sur les rumeurs d’augmentation de capital orchestrées par les banques dès que sera connu le montant des dépréciations sur les divers instruments de dette grecque… car il n’est pas question d’une opération « -50% sur tout le magasin » !

Il y aura des soldes à -70% sur des vieux stocks réputés invendables et des articles pratiquement non soldés, ou avec un rabais symbolique de -15 à -21%. Ah… ces fameux 21% qui ont permis à tant de banques de franchir l’épreuve des stress tests haut la main, notamment Dexia avec ses 10% de fonds propres qui faisaient rêver ses concurrentes.

Comment pensez-vous que vont évoluer le cours des valeurs bancaires, dont certaines viennent de reprendre plus de 50%, dès qu’il sera question d’un appel au marché ?

Qui voudra souscrire à l’aveugle, sans connaître la valeur réelle de tous leurs actifs — et pas seulement les dettes souveraines ? Sans compter qu’il y a également le niveau des risques encourus via des engagements hors bilan sur des produits dérivés complexes et non réglementés.

Quand nous entendons Messieurs Juncker et Barroso évoquer une recapitalisation « dans l’urgence », nous supposons que le couperet pourrait tomber avant la prochaine lune.

Si les rumeurs concernant des montants voisins de 150 milliards d’euros sont plausibles, l’opération nécessitera d’annuler dans la foulée un montant équivalent de la dette grecque.

Comment imaginer que l’Irlande ou le Portugal pourraient résister à la tentation de réclamer le même type de largesse de la part de Bruxelles. Que va-t-il advenir de la valeur de leurs émissions obligataires ? Rappelons que les agences déploient un zèle remarquable depuis quelques jours pour dégrader en cascade la note de l’Espagne (banques comprises), du Portugal et de l’Italie.

▪ Et que va devenir la dette américaine si les Chinois digèrent mal les sanctions votées contre elles par le Congrès US mardi soir ? Pékin pourrait décider que son argent serait mieux employé à soutenir l’Europe que des impérialistes yankees engagés dans des guerres ruineuses, illégitimes et impossibles à remporter.

Attendez seulement que les financiers de Hong Kong et Shanghai appuient sur le bouton « vente » pour rapatrier quelques capitaux d’Amérique… Vous verrez ce qu’il advient des bons du Trésor US et des actions cotées à Wall Street.

Car quel est l’intérêt pour la Chine d’investir aux Etats-Unis ? Aucune remise à plat de son système fiscal et de protection social n’est à l’ordre du jour ; cela interdit tout espoir de réduction des déficits avant début 2013 — et encore, à condition que le futur président obtienne la majorité dans les deux chambres.

Pékin pourrait-il faire le pari d’une croissance plus soutenue qu’en Europe où les Etats n’ont que le mot rigueur à la bouche ?

C’est la Fed qui dissipe cette illusion en dévoilant mercredi soir un diagnostic économique visiblement inquiet. Ben Bernanke et ses collègues diagnostiquent des incertitudes considérables au niveau de la croissance.

▪ Les minutes de la dernière réunion de la Banque centrale ont plombé New York au cours des 90 dernières minutes de la séance. Les indices, qui gagnaient près de 2% vers 20h30, ont perdu la moitié de leurs gains au cours des 90 dernières minutes (et encore un retournement de situation qui se radicalise au cours du dernier quart d’heure !).

Bien que son avance ait fondu, le S&P conservait une avance de 0,97% à 1 207 points (contre 1 220 vers 20h30). Le Nasdaq gagnait 0,84% à 2 605 points (contre 2 625 points au plus haut). Le Dow Jones quant à lui était en hausse de 0,9% mais il n’a pu se maintenir au-dessus des 11 577 points (son score du 31 décembre 2010) alors qu’il caracolait vers 11 625 points un quart d’heure après les minutes de la Fed, affichant de nouveau une performance annuelle positive de 0,5%.

La séance de jeudi sera placée sous le signe de la publication de nouveaux trimestriels aux Etats-Unis. Ceux-ci prennent place dans un contexte d’argent plus rare, de ralentissement de l’expansion des pays émergents et de solutions à la crise grecque qui ne résolvent pas la question des déficits espagnols et italien. Les groupes qui vont communiquer leurs résultats à partir de ce soir n’ont pas le droit de décevoir !

C’est pourtant ce qu’ils vont faire — même s’ils tentent de l’éviter — parce que la remontée du Dow Jones entre 10 400 et 11 600 points en sept séances inclut probablement les bonnes nouvelles à paraître.

Cette remontée aura au moins eu comme immense mérite d’offrir à Wall Street un matelas de sécurité de 7 ou 8% par rapport aux seuils de rupture tutoyés en tout début de quatrième trimestre. Cette précaution n’a certainement pas été prise au hasard ni orchestrée à la légère. Nous n’allons pas tarder à le découvrir… et nous parions que certains se sont déjà mis vendeurs à découvert !

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