La Chronique Agora

Un coup de blues sur les marchés

▪ Les places boursières européennes ont consolidé de -1% en moyenne mercredi. Les plus optimistes considèreront qu’une pause d’ampleur limitée va permettre aux acheteurs de s’organiser en vue d’un rally de fin de trimestre d’ici demain 16h00. Les plus pessimistes estimeront qu’il s’agit de 24 précieuses heures perdues alors qu’il y a tant de terrain à rattraper.

Si les acheteurs avaient repris la main la veille, ils ont perdu une belle occasion de « faire courir les vendeurs ». Une nouvelle hausse de 2% du CAC aurait acculé les shorts à effectuer des rachats à tout prix, notamment dans le compartiment des valeurs cycliques et industrielles, laminées depuis début juillet par des anticipations de récession en 2012.

Au lieu de ça, les opérateurs se sont mis à éplucher les communiqués émanant des bureaux de recherche ; ces derniers ne produisent plus que des études systématiquement négatives. Goldman Sachs a dégradé Peugeot et Renault, mais également toute une liste de banques américaines. Oddo exprime ses doutes sur Vallourec sans véritablement fournir d’arguments très précis mais estime que 2012 sera plus difficile — une véritable banalité dans le contexte actuel.

Vous remarquerez, comme par un malheureux hasard, que les abaissements de recommandations et d’objectifs de cours pleuvent sur des valeurs qui ont déjà perdu 50% ou plus en six mois. Cela intègre des scénarios de récession dignes de l’automne 2008, alors que les carnets de commandes et les marges n’ont pas encore subi de choc majeur.

▪ Nous pourrions — mais l’exercice va vous apparaître fastidieux — indexer à cette chronique la liste des recommandations d’achat reçues durant le seul mois de juin. C’est bien simple, vous y trouveriez pratiquement toutes les valeurs du CAC 40, sauf les services aux collectivités (utilities) parce qu’ils profitent moins que les entreprises dites commerciales des perspectives de croissance favorables anticipées pour 2011 et 2012.

Depuis, nous avons appris que la France a fait une croissance zéro au deuxième trimestre et que les chiffres du PIB américain du premier trimestre 2011 ont été totalement bidonnés, donc rien de nouveau sous le soleil.

Les analystes n’ont rien appris des retournements de cycle passés. Ils sont plus que jamais à la remorque de la tendance ; toujours acheteurs quand le marché monte, faisant de la surenchère à la hausse quand les cours intègrent déjà des niveaux de valorisation délirants, ne retenant que les pires hypothèses lorsque les cours se retrouvent divisés par deux… et en suggérant qu’ils pourraient bien l’être par trois si la crise grecque n’était pas résolue sous 10 jours.

Entre les phases de surachat — qui devraient les alerter sur l’exubérance irrationnelle des investisseurs — et les phases de capitulation (où même à 30% de ses cash flow et à une demi fois son chiffre d’affaires, une valeur se paye trop cher)… nous déplorons un vide sidéral en matière d’études contrariennes.

Lorsque le marché est au plus haut, il n’est jamais trop cher ; il faut alors rejeter les vieux modèles qui ne savent pas tenir compte de l’accélération des phénomènes économiques. Mais lorsque les indices se rapprochent inversement de leurs planchers historiques — et que tout s’accélère justement avec l’apparition d’une profusion de cours idiots — un titre n’apparaît jamais assez bradé, tant la perspective d’une reprise leur apparait improbable.

Ce syndrome du suivisme aveugle de la tendance serait de peu de conséquence si des programmes de trading informatisés n’étaient asservis au newsflow concernant les valeurs cotées.

Peu importe qu’une étude soit redondante, stupide ou mal argumentée, l’ordinateur ne retient que l’upgrade ou le downgrade et indexe sans aucun esprit critique la recommandation dans son évaluation du risque de hausse ou de baisse du titre.

▪ Nous avons affaire à des systèmes experts d’analyse lexicale qui balayent toute l’information disponible sur internet (sur tous les sites officiels, sur tous les blogs, dans toutes les langues) et qui réagissent pratiquement en temps réel. C’est pourquoi une rumeur totalement dénuée de fondement peut provoquer autant de dégâts en quelques minutes sur des entreprises cotées.

Le temps qu’elles démentent — parce qu’il faut malgré tout vérifier en quoi l’information est fausse et si possible quel peut en être la source avant de publier un communiqué –, le mal est fait.

Les expressions « dégradation », « réduction d’objectif », « incertitudes sur les marges » entraînent des liquidations en moins de temps qu’il n’en faut pour qu’un humain doté de sa seule paire d’yeux ait seulement fini de lire le titre d’un article.

Ces mêmes systèmes pseudo-intelligents (qui ne se voient pas) sont à la manoeuvre lorsque paraît une statistique économique importante. La dépêche (ce qui se voit) a tout juste le temps de s’inscrire sur les écrans que le CAC 40 (par exemple) gagne ou perd 50 points… sans même qu’un seul contrat sur indice soit traité.

L’analyse de la totalité du texte accompagnant le chiffre brut est déjà interprétée — et transformée en un flux de milliers d’ordres — avant qu’un opérateur relié à ses clients par téléphone ait eu le temps de saisir le commencement d’un ordre sur son clavier.

▪ Rien de tel ne s’est produit ce mercredi. Si le CAC 40 a multiplié les oscillations, elles n’ont pas été très spectaculaires. L’indice en a d’ailleurs terminé pratiquement au niveau d’ouverture (-0,92% à 2 995 points contre 2 990 à 9h01) dans des volumes particulièrement modestes de 3,15 milliards d’euros (après 3,9 milliards d’euros lundi et quatre milliards d’euros mardi).

Les places européennes ont longtemps hésité avant de s’orienter résolument à la baisse, Wall Street ne parvenant pas à préserver ses gains initiaux. Les indices américains ont basculé dans le rouge après une heure de cotation puis sont revenus à l’équilibre vers 17h45… Trop tard pour permettre au CAC 40 de préserver les 3 000. La place américaine a plus franchement fléchi en début de soirée, mais dans des proportions tout à fait comparables à ce qui a été observé en Europe, comme si Wall Street était soumis à une mystérieuse forme de mimétisme.

Les pertes ont brusquement doublé d’intensité au cours de la dernière demi-heure. Le S&P a clôturé au plus bas, en repli de 2,1%. Le Dow Jones chute de 1,6% et préserve in extremis le palier des 11 000 points… avec un indice VIX qui s’envolait de 9% vers 43, tout proche de son zénith annuel.

Cela change nettement le scénario court terme envisagé la veille puisque le retracement des 11 500 points (zénith de début septembre) semblait à portée de main. Wall Street n’avait plus qu’à grappiller 2% de plus en 72 heures pour terminer en beauté le troisième trimestre qui s’achève vendredi.

Certains opérateurs auraient liquidé leurs positions en fin de séance, réagissant à des rumeurs d’arrestation d’un potentiel terroriste qui s’apprêtait à commettre un attentat à Washington.

▪ Cela ne saurait justifier un nouveau trou d’air sur les matières premièresau sens large avec -7,5% sur le cuivre, -4,5% sur le pétrole et -2,5% sur l’once d’or qui retombe vers 1 610 $.

La quasi-stabilité des commandes de biens durables aux Etats-Unis en août (-0,1%) n’étaye en rien des anticipations récessionnistes susceptibles de justifier une telle débâcle.

Certains opérateurs expliquaient le coup de blues général par le refus de l’Allemagne de céder à la pression exercée par Bruxelles en faveur des Eurobonds, ou encore par la peur de voir Angela Merkel mise en difficulté par le vote sur l’extension du FESF conclu entre membres de l’Eurozone le 21 juillet dernier.

Rien de ce qui précède ne nous convainc totalement, mais nous ressentons comme un malaise. Soit quelqu’un sait quelque chose de très déagréable (ce qui ne se voit pas) concernant un avenir proche… soit les marchés ont soudain eu peur de leur ombre (ce qui se voit), et cette vulnérabilité psychologique n’augure rien de bon non plus !

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