Derrière l’image du chef triomphant, se dessine pourtant un basculement plus profond : celui d’un monde politique où les règles s’effacent devant la volonté d’un seul homme.
« Les hommes croient volontiers ce qu’ils désirent. » – Jules César
Un autre accord commercial ! Fortune rapporte :
« Les contrats à terme sur le Dow progressent grâce à un nouvel accord commercial entre les Etats-Unis et l’Union européenne, tandis que les investisseurs se préparent à une semaine chargée, avec les résultats d’entreprises, les négociations avec la Chine, la réunion de la Fed, les chiffres du PIB, le rapport sur l’emploi… et l’échéance pour les droits de douane. »
Les gros titres présentent cet accord comme une nouvelle « victoire » de Donald Trump. Même si, en réalité, cela pourrait bien être une « défaite » pour les Américains, cela n’en demeure pas moins un élément central de l’attrait qu’il exerce sur la population.
C’est un chef. Un vrai. Où il va, les fidèles du MAGA le suivent. Et quand il gagne – même si sa victoire prend la forme d’une taxe fédérale de 15 % sur les ventes, obtenue par des biais détournés – un nombre significatif d’électeurs ont l’impression qu’ils ont gagné, eux aussi.
« Trump » est probablement l’un des noms les plus répétés de l’histoire contemporaine. Et pourtant, la couverture médiatique qu’on lui consacre est, dans l’ensemble, superficielle.
La presse grand public est soit pro-Trump, soit anti-Trump. Mais elle s’interroge rarement sur les raisons profondes de cette posture.
Trump occupe aujourd’hui la position la plus puissante au monde. Et pourtant, il n’est pas Eisenhower. Ni économiste. Ni historien. Ni philosophe. Alors, que représente-t-il ? Que symbolise-t-il ? Que fait-il réellement ?
Dans les années 1930, Oswald Spengler avait prédit que les gouvernements démocratiques fondés sur des règles atteindraient leur apogée autour de l’an 2000, avant de céder la place à une forme de pouvoir personnel qu’il appelait le césarisme.
Jules César s’est emparé du pouvoir à Rome, reléguant à l’arrière-plan le pouvoir plus diffus, plus consensuel du Sénat. On lui reproche d’avoir transformé la République romaine en un Empire, avec un homme fort à sa tête.
A l’époque, peu en saisirent la portée réelle. Même après qu’Auguste se soit proclamé empereur, en 27 av. J.-C., le Sénat continuait à se réunir. Les règles restaient en place… sur le papier. Et pourtant, la nature même du régime romain avait fondamentalement changé.
Donald Trump, lui, n’a pas franchi l’East River à la tête d’une armée pour marcher à travers Washington. Et les Etats-Unis étaient déjà, bien avant son arrivée, une sorte d’empire déguisé. Mais il est le premier Grand Chef américain qu’on pourrait qualifier de « césariste ».
Et il n’est pas seul…
Partout dans le monde, les sociaux-démocrates sont évincés. Ce sont désormais les « populistes », ou les grands chefs qui gagnent en popularité.
The New York Times rapporte :
« Le parti dominant de longue date au Japon a essuyé une défaite électorale, les électeurs se tournant vers la droite. Résultat : les démocrates deviennent minoritaires dans les deux chambres du Parlement, tandis que deux nouveaux partis nationalistes font une percée. »
Mais ce n’est pas un simple « virage à droite ». Les César modernes sont, en un sens, non binaires. Comme certains étudiants aux cheveux bleus et au corps tatoué, ils oscillent entre les deux camps. Et sur les sujets les plus cruciaux, ils penchent généralement vers la gauche, vers davantage de pouvoir entre les mains de l’État, et les leurs.
Prenez l’accord conclu la semaine dernière avec le Japon. Tokyo aurait accepté de payer un droit de douane de 15 % sur ses exportations vers les Etats-Unis, mais aussi d’investir 550 milliards de dollars sur le sol américain – sous supervision fédérale quant à la répartition de ces fonds.
Quel type de gouvernement impose à ses propres citoyens le prix des importations japonaises et dicte au Japon où et comment investir son argent aux etats-Unis ? Un gouvernement socialiste ? Conservateur ? Ou… autre ?
Les démocrates, en général, veulent plus de lois. Plus de règles pour contraindre les citoyens à adopter les comportements souhaités : recycler leurs déchets, rouler en véhicule électrique, payer un salaire minimum plus élevé… Il existe des règles pour tout et n’importe quoi.
Les conservateurs croient eux aussi aux règles. Mais seulement aux plus fondamentales, comme tu ne voleras point, tu ne tueras point, etc. Ils défendent aussi des règles comme celles inscrites dans la Constitution américaine, censées empêcher l’Etat fédéral d’imposer trop de règles supplémentaires. « Le Congrès ne fera aucune loi… », etc.
Mais le Grand Chef, lui, ne croit à aucune de ces règles. Ni aux règles démocrates. Ni aux règles conservatrices. Il est la règle. Il est l’Etat. Sa volonté devient loi.
Le Grand Chef s’intéresse aux fins, pas aux moyens. Il promet des résultats : expulser les migrants, taxer les importations, relocaliser les usines… Et si des règles lui font obstacle, il les contourne. Ou il écarte les juges.
CBS rapporte :
« Trois juges spécialisés en droit de l’immigration dénoncent leur révocation : ‘Une atteinte à l’Etat de droit.’ George Pappas, Jennifer Peyton et Carla Espinoza, tous trois juges fédéraux spécialisés dans l’immigration, ont été licenciés ce mois-ci par simple e-mail. Ils avaient statué sur des milliers de dossiers à Chicago et Boston. »
Trump parle à une nation en colère. A un peuple déçu. Ses victoires sont perçues comme les leurs. Il est leur champion, quelles que soient les circonstances.
Lorsqu’il annonce avoir obtenu une « grande victoire » dans ses négociations avec le Japon, une lueur de fierté traverse leurs regards – aussi ténue et éphémère soit-elle. Comme la lumière bleue vacillante d’un gyrophare sur une voiture de police abîmée.
