La Chronique Agora

Des trous noirs de mémoire

Des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous
Des trous d’seconde classe
Des trous d’première classe 

Serge Gainsbourg — Le poinçonneur des Lilas

Poursuivons notre florilège des trous de mémoire les plus improbables de notre élite.

Celui qui a oublié qu’en 2019, tout le monde sait faire des captures d’écran

Revenons au PCF avec Thomas Portes, « Responsable national du collectif des cheminot-e-s @PCF. Porte-parole de la @CGTCheminotsMTB. Syndicaliste @cgtcheminots / CESER Occitanie ».

Quand on est à ce point bardé de titres et que l’on met le logo de L’Humanité en bannière sur son compte twitter, on a forcément plein de choses intéressantes à dire.

Le problème avec les réseaux sociaux, c’est qu’on laisse parfois parler son cœur un peu trop vite en écrivant des choses qu’on regrette non pas d’avoir pensées, mais plutôt d’avoir pensées en public.

Voici donc ce que tweetait Thomas Portes le 13 janvier, avant de se raviser :

« Pensée et solidarité avec Cesare #Battisti, écrivain, qui va être livré par les fachos brésiliens à l’extrême-droite italienne. »

Les familles de victimes d’attentats terroristes apprécieront.

Un reset des cerveaux des électeurs sur les 40 dernières années

Assumer son bilan en politique n’est pas toujours chose aisée, surtout lorsqu’on a été ministre de la République française post-Pompidou.

Eric Woerth en a marre qu’on soit méchant avec lui et de se voir sans cesse rappeler qu’il a présenté, défendu et voté des budgets en déficit.

Ceux qui ont oublié qu’ils avaient promis d’être transparents

L’un des successeurs d’Eric Woerth au Budget a été Jérôme Cahuzac, condamné en mai 2018 à deux ans de prison ferme (aménageables), 300 000 € d’amende et cinq ans d’inéligibilité.

L’une des suites de cette affaire a été la création d’un nouveau bidule administratif, cette fois-ci non pas chargé d’inspecter les citoyens lambda, mais les élus. Depuis fin 2013, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vient remplacer la Commission pour la transparence financière de la vie politique, est ainsi chargée de contrôler et de publier les déclarations d’intérêts et de patrimoine de certains responsables publics.

Députés et sénateurs sont soumis aux deux types de déclarations. Quoiqu’à la réflexion, « soumis » n’est peut-être pas le terme le plus adéquat.

En effet, comme l’a révélé au mois de janvier le Projet Arcadie (un site qui propose une base de données sur les parlementaires français) dans son rapport (1) sur la « Lutte contre la corruption des élus : le cas de la HATVP », au 9 janvier, seuls 61 députés sur 577 (10,5%) avaient dûment rempli leurs obligations déclaratives en matière de transparence sur la question de leurs intérêts.

Au 29 janvier, soit trois semaines après la sortie du rapport, 112 nouvelles déclarations avaient été mises en ligne, mais seulement 49 étaient conformes aux obligations. Autant dire que la transparence pour nos parlementaires, ça reste une idée opaque.

Cependant, comme ils ne sont jamais les derniers à nous rabâcher que tout citoyen se doit de se conformer aux règles ubuesques de la République administrative française, je me permets de partager avec vous les résultats par groupe parlementaire au 29 janvier.

Source : Projet Arcardie

Souvent, il n’y a a priori rien de bien méchant, comme l’explique Tris Acatrinei, la fondatrice du site (2) :

« Il s’agit pour la plupart de péchés véniels, à la limite de l’anecdotique. Des fiches qui doivent être remises à jour, des mandats locaux qui se sont terminés, des changements dans l’équipe du député… Mais il est rageant d’entendre les politiques invoquer le devoir d’exemplarité en toute circonstance pour se montrer incapables de se conformer aux exigences d’une autorité publique ».

Là où le bât blesse, se serait plutôt qu’« on demande aux Français des justificatifs pour le moindre remboursement, on leur inflige des pénalités en cas de retard dans le paiement de leurs impôts, comment les députés peuvent justifier ce manquement à leurs obligations ? »

J’espère en tout cas que les députés Julien Aubert (LR), Alain Tourret (LREM), Philippe Gosselin (LR), Sébastien Huyghe (LR) et Jean-Luc Rietzer (LR), dont nous avions déjà vu qu’ils étaient assez fébriles lorsqu’il s’agit de gérer de la paperasse administrative, sont sortis indemnes de cette nouvelle épidémie de phobie adminsitrative.

Mais nos politiciens ne sont pas les seuls à avoir des problèmes de mémoire quand ça les arrange…

Celui qui se souvient qu’il avait oublié de vous dire un truc important

John Authers est journaliste économique et financier. Le 8 septembre 2018, pour le dixième anniversaire de la crise financière, il écrivait ce surprenant billet-confession dans le prestigieux Financial Times.

« Dans une crise, parfois, vous ne racontez pas toute l’histoire ».

« Il est temps pour moi d’admettre qu’un jour, j’ai délibérément dissimulé des informations importantes à mes lecteurs », écrivait-il. « C’était il y a dix ans, au pire de la crise financière, et je pense que j’ai pris la bonne décision. Mais dix ans après la crise de 2008, j’ai besoin d’en parler ».

Qu’est-ce qui a bien pu faire que John Authers en ait aussi gros sur la conscience ?

Simone Wapler a relaté par le menu ce qui a turlupiné le journaliste du Financial Times. Si vous lisez ce billet depuis votre téléphone, je vous invite à le poser bien à plat sur une table avant que votre regard ne s’aventure sur les paragraphes suivants.

« Retour au 17 septembre 2008. Nous sommes deux jours après la faillite de Lehman Brothers. […] Un gros fonds monétaire annonce de lourdes pertes en raison de son exposition à des obligations de Lehman Brothers. Il met en danger la banque américaine Citibank.

 John Authers est un déposant de Citibank. Il sait qu’il peut perdre son argent. A l’heure du déjeuner, John Authers – qui travaille depuis New York – se dirige vers son agence de Manhattan. Il découvre une longue queue de gens similaires à lui-même, des initiés de Wall Street inquiets pour leurs dépôts et souhaitant les retirer. C’est ce qu’on appelle une panique bancaire, un bank run.

 Plutôt que d’appeler un photographe du journal et de faire un article sur ce sujet, John Authers décide de se taire. Il fait la queue, comme les autres initiés. Il fractionne ses dépôts et les envoie dans une autre banque. Il sauve son argent et se tait pour ses lecteurs.

 Il estime avoir bien fait puisque finalement Citi n’a pas fait faillite et que la panique ne s’est pas propagée. Je suppose que si Citi avait fait faillite, nous n’aurions pas eu droit à la confession ‘comment j’ai sauvé mon argent et trahi mes lecteurs’. »

Notez que cet aveu n’a nullement mis un terme à la carrière de John Authers. Il officie désormais en tant que senior editor chez Bloomberg.

Celui qui a érigé l’oubli en mode de vie

Comment terminer cette anthologie sans citer le Jawad de la perte de mémoire, l’empereur de l’amnésie… j’ai nommé Alexandre Benalla.

Admirez la splendide liste de ce qu’a perdu l’ancien « chargé de mission auprès du Cabinet du président de la République française » (au 25 janvier 2019) :

D’un accord unanime au sein de la rédaction, c’est donc lui qui remporte la palme d’or du trou noir de mémoire !

(1) https://projetarcadie.com/content/corruption-deputes-hatvp<
(2) https://www.challenges.fr/politique/mysterieuse-epidemie-de-phobie-administrative-a-l-assemblee_636769

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