** Nous allons quitter définitivement ce jeudi les grandes plaines de l’Ouest canadien (un dernier coup d’oeil rétrospectif m’apprend que la récolte de blé dans l’Alberta sera effectivement inférieure de 12% à la moyenne cette année). Nous abandonnons aussi les larges vallées des Rocheuses et leurs ours bruns, qui affichaient en cette fin d’été une tranquille assurance, un regard vif et un pelage bien lustré.
J’espère que l’impression visuelle sera confirmée par une série de photos prises sur le vif (m’étant rapproché à une trentaine de mètre de l’animal) le 16 août vers 9h30 du matin… alors que Wall Street perdait déjà plus de 3% — cela ne s’invente pas. (Je signale au passage que je tiendrai bientôt les clichés à la disposition des amateurs de plantigrades à l’humeur ombrageuse)…
Je n’avais consacré hier qu’un bref paragraphe à la rechute de 2% des indices boursiers – qui allait jusqu’à -2,5% pour le Nasdaq 100 mardi soir. En effet, les causes d’un tel phénomène vous sont bien connues, et depuis plus de 18 mois : l’inflexion baissière des prix de l’immobilier est avérée aux Etats-Unis depuis novembre 2006/janvier 2007.
Les places européennes ont rebondi de 0,5% en moyenne ce mercredi, . Cependant, ce ne pourrait être qu’un sursaut technique car la crise du subprime présente un caractère hautement contagieux.
** Il nous semble utile d’en apporter une nouvelle démonstration, alors que les salles de marché bruissent de rumeurs alarmantes… mais qui vont vous sembler tellement familières à force de nous lire ! Nous avons vu nos pronostics de contamination planétaire du subprime se confirmer au mois d’août avec la quasi-faillite de la banque commerciale allemande IKB (son sauvetage a coûté 3,5 milliards d’euros au pool bancaire germanique) puis de SachsenLB, qui a rencontré des « difficultés » d’une toute autre ampleur.
La Landesbank de la Saxe s’est vu accorder une ligne de crédit de 17,3 milliards d’euros par les caisses d’épargne locales pour remettre à flot son véhicule d’investissement offshore baptisé Ormond Quay — du nom d’un célèbre quai de Dublin bénéficiant d’un statut juridique apparenté à un paradis fiscal.
** C’est la banque Barclay’s qui s’était chargé de monter cette structure pour le compte de son partenaire allemand. Du point de vue de l’investisseur européen, Dublin ne passe pas pour une destination très exotique… mais beaucoup d’institutions financières moins frileuses n’hésitent pas à installer des filiales dans des zones plus sulfureuses. On peut citer par exemple les îles Caïman, les Bahamas, l’île de Man, les Antilles Néerlandaises et autres zones franches échappant à tout contrôle de la part des autorités monétaires et boursières.
Certaines banques locales — brassant des milliards de dollars quotidiennement et qui assurent de confortables revenus financiers à ces « états confettis » — sont installées dans de simples baraquements de chantier. Elles comptent un seul salarié — il s’agit souvent de l’avocat qui a déclaré puis supervisé la structure (voire plusieurs à la fois), lequel dispose d’un ordinateur, d’une liaison internet, d’un climatiseur… et plus important que tout, d’un bateau pour la pêche au gros dans la marina la plus proche de ce « bureau ».
Vous nous soupçonnez de verser dans la caricature, mais nous en sommes encore en-deçà de la vérité. Pour vous en convaincre, il vous suffira de vous référer aux comptes-rendus d’enquête sur les centaines de structures offshore crées par Enron ou Parmalat au début des années 2000, avec la complicité des plus grandes banques d’affaire de Wall Street.
Concédons aux banques européennes un souci de sérieux qui les retient de recourir à ce genre d’officines et de sociétés écran. Une structure offshore demeure une entité disposant d’une liberté d’action et d’un statut fiscal privilégiés. Ce n’est pas leur faire insulte que d’affirmer que leur souplesse s’accommode mal de procédures de contrôle prudentiel aussi lourds que ceux en vigueur dans les états dépendant du contrôle vigilant de la BAFIN ou de la BCE.
Pour résumer — au risque d’apparaître simplistes et afin de vous épargner la description détaillée de schémas juridiques et fiscaux alambiqués –, nous avancerons l’hypothèse que la création de filiales dans des zones franches permet le développement d’activités fiscalement optimisées… et qui gardent un caractère de « hors bilan » au cas où les choses tourneraient mal (ce qui ne manque pas d’être le cas lorsque les traders jouent avec le feu).
Les structures offshore permettent également d’accéder à des produits financiers exotiques issus des derniers développements de l’ingénierie financière dans le domaine des dérivés. Elles aident aussi à conclure rapidement des transactions de gré à gré sur des instruments monétaires ou obligataires volatils — et parfois des paquets d’actions adossés à des bons de souscription, ce qui permet de monétiser ou de protéger des plus-values potentielles.
En ce qui concerne opérations de gré à gré, le ciel est la seule limite. Tout peut se « swapper », se « hedger », se rééchelonner… avec des échéances connues des seules contreparties de la transaction. La confiance est la règle : si l’un des protagonistes fait défaut et manque à ses engagements du fait d’impondérables tels qu’une insolvabilité passagère ou définitive, le recours est souvent inexistant.
Si l’un des agents connaît des difficultés et omet d’en avertir sa contrepartie, les pertes sont constatées au moment du débouclement de l’opération : avant la date fatidique, elles n’ont aucune existence comptable.
Si vous nous suivez bien, vous en conclurez que les « cadavres dans le placard » peuvent n’être découverts qu’au moment où la clé est restituée à son propriétaire légitime. Seuls les intéressés en savent la date exacte, à la différence des échéances d’options et de contrats à terme qui sont les mêmes pour tous.
** Il ne faut pas être grand clerc pour supposer que la crise du subprime a alimenté de nombreux soupçons de défaillance — d’où la multiplication des fameux appels de marge sur des lignes de crédit à risque. Cependant, lorsqu’une opération de portage se dénoue seulement à l’échéance, le couperet tombe au jour J : il n’est pas possible d’agir légalement à J-40 ou J-100.
Faute de pouvoir exercer une contrainte immédiate pour se tirer d’un guêpier, il est toujours possible de tenter de neutraliser la perte anticipée en initiant une opération de couverture avec un nouveau partenaire… à condition d’en dénicher un !
A défaut, le seul recours consiste à provisionner les sommes susceptibles de manquer à l’appel — et elles peuvent être considérables : dans le cas d’une filiale offshore disposant de peu de cash (et tributaire de la confiance de certains actionnaires fortunés mais peu complaisants par temps d’orage), il n’y a plus qu’à prier pour que la maison-mère dispose des liquidités suffisantes.
Si tel n’est pas le cas, le seul espoir reste que les banques centrales procèdent à des adjudications mensuelles suffisamment généreuses pour se re-financer à moindre coût. La Fed vient de démontrer qu’elle compatissait au malheur des apprentis-sorciers de la titrisation des créances immobilières…
Par ailleurs, les « intermédiaires » à court de liquidités sont devenus très nombreux cet été : ce n’est à notre avis qu’un début. Nous vous expliquerons demain pourquoi, et cela ne va pas être triste !
Philippe Béchade,
Paris