La Chronique Agora

Trois risques planent sur les entreprises

rentabilité, investissement, inflation, taux d’intérêt

Des critères essentiels à prendre en compte avant d’investir cette année : tout change avec l’inflation et la hausse des taux d’intérêt.

Il y a quelques semaines, nous passions en revue les principaux changements macro-économiques qui auront lieu cette année.

Parce qu’ils concernent à la fois la vie des citoyens, des contribuables, et des actionnaires, ils doivent être gardés à l’esprit lors de vos prises de décision d’investissement durant les douze mois à venir.

Aujourd’hui, je vous propose d’aller plus loin en considérant, plus spécifiquement, les menaces qui planeront sur les entreprises françaises en 2023. Les investisseurs tricolores privilégient – et c’est bien naturel – les entreprises hexagonales lorsqu’il s’agit d’acheter des actions. Aussi, bien comprendre les risques qui pèsent sur les modèles d’affaires, c’est pouvoir détecter les entreprises les plus à-même d’avoir de meilleurs résultats que la concurrence… et donc opter pour des investissements capables de faire mieux que leur secteur de référence, toutes choses égales par ailleurs.

Menace n°1 : être rentable ne suffit plus

Dans l’euphorie de la fin des années 2010, le monde de l’investissement bruissait d’une douce musique : la rentabilité des entreprises n’avait plus d’importance et il fallait les valoriser en fonction de leur nombre d’utilisateurs et de leur rapidité d’acquisition de parts de marché.

C’est ainsi que nous avons pu voir, notamment dans le secteur des nouvelles technologies, des entreprises s’introduire en Bourse en annonçant publiquement ne pas prévoir de verser le moindre dividende. Curieux monde que celui dans lequel des investisseurs cèdent, avec le sourire, leur épargne à des entrepreneurs qui leur disent clairement qu’ils ne seront jamais rémunérés pour cela ! D’autres entreprises allaient même jusqu’à indiquer qu’elles n’avaient pas de plans pour atteindre la rentabilité, ce qui revient à admettre que l’argent des actionnaires sera dilapidé sans espoir de retour.

Pour les jeunes investisseurs enthousiastes, ce « nouveau monde » ridiculisait les dinosaures de l’investissement value. Pour les moins jeunes, le fait que ces discours décorrélés des bases de l’économie soient adoubés par le grand public rappelait simplement la folie des dot-com.

Puis vint le Covid, et avec lui le retour de ce principe de base : les entreprises incapables de rémunérer leurs actionnaires ne méritent pas leur épargne. C’est pour cela que des valeurs de la tech ont vu leur capitalisation fondre de 70% (Tesla), 87% (Zoom) ou même 93% (Peloton)… et que leur rebond n’a rien de garanti.

Mais cette purge, si douloureuse qu’elle fût pour les actionnaires, n’est que la matérialisation d’une correction qui s’est étendue entre 2021 et 2022.

En 2023, nous entrons dans une autre phase.

Avec la hausse des taux directeurs, la capacité d’emprunt des entreprises se réduit. Etre rentable ne suffira plus, il faudra désormais être assez rentable. Une notion inconnue des jeunes analystes financiers et incroyablement absente du discours de nombreux entrepreneurs reprend toute son importance : le ratio de rendement des capitaux propres.

Derrière ce terme barbare se cache la capacité d’une entreprise à créer de la richesse avec l’argent dont elle a besoin pour fonctionner. Une PME qui génère pour 50 000 € de résultat net avec 2 M€ de capitaux propres a un rendement de 2,5%.

Aussi, même si elle est comptablement rentable, elle ne pourra plus augmenter son activité cette année. A l’heure où les taux sans risque tournent autour des 3%, aucun investisseur n’a intérêt à prêter à une entreprise qui ne pourra que verser une rémunération moindre… et le chef d’entreprise n’a aucun intérêt à emprunter à plus de 3% pour financer un appareil productif dont le rendement n’est que de 2,5%.

Cette année, la prudence élémentaire qui consistait à vérifier qu’une entreprise est rentable ne suffira plus. Il faudra également replonger dans les bilans pour quantifier exactement son rendement – et s’assurer qu’il reste supérieur au coût de l’argent. Dans les secteurs dont l’activité dépend de l’accès au crédit, notamment l’immobilier, il s’agit d’une question de survie.

Menace n°2 : des marges toujours plus serrées

La rentabilité des entreprises sur la période 2020-2022 risque d’être bien différente de celle sur l’exercice 2023.

La hausse du prix des matières premières et de l’énergie est venue bouleverser la structure de coûts des entreprises. En ce début d’année, soyez-en certains, les négociations salariales seront âpres et les revendications d’augmentations seront légion.

Les entreprises aux marges les plus réduites et les plus sensibles à la hausse des coûts d’approvisionnement ont déjà été bien identifiées – et sanctionnées – par les marchés.

Cette année, ce sont les entreprises qui parvenaient tout juste à rester rentables ces dernières années qui sont à éviter : le deuxième tour inflationniste, qui touchera cette fois-ci les salaires, pourrait bien les faire plonger dans le rouge.

L’histoire nous apprend qu’investir en période d’inflation revient à naviguer en pleine nuit entre des icebergs. Aucune méthode n’étant 100% certaine, il convient d’appliquer une stratégie de prudence pour maximiser ses chances de sortir indemne de la zone à risque.

Au niveau du choix des entreprises, évitez donc celles qui avaient déjà vu leurs marges se contracter en 2021. Profitez de la période d’annonce des résultats 2022 pour opérer un tri impitoyable : les groupes cotés qui publieront des résultats « dans le rouge » cette année ne manqueront pas de prédire un retour à la normale en 2023 sur fond de repli de l’inflation… mais ne vous méprenez pas : une inflation à 0% ne signifie pas que les coûts reviendraient à leur niveau pré-Covid, mais simplement qu’ils cesseront d’augmenter. De plus, il reste encore les hausses de salaires à absorber sur l’exercice 2023.

Menace n°3 : la rétention de talents

Il s’agit d’un véritable tabou dans notre système égalitariste : les hausses du SMIC rendent la rétention des talents plus compliquée. Entre le 1er janvier 2022 et le 1er janvier 2023, les entreprises ont été sommées d’augmenter les salaires minimaux de 6,62%.

Or, la hausse constatée de la masse salariale est inférieure à ce chiffre. Elle n’est que de 3,7% en moyenne entre le T3 2021 et le T3 2022, selon des chiffres de la Dares repris fin décembre par le ministère de l’Economie. La raison tient à une forte disparité des évolutions de revenus, dont les hausses ont été majoritairement obtenues par les bas salaires.

Les cadres, par exemple, ont dû se contenter d’une hausse moyenne de 2,8%, soit moins de la moitié de l’augmentation du salaire de référence.

Par conséquent, les départements des ressources humaines des entreprises doivent faire face à une situation toujours plus tendue.

Ouvriers spécialisés et techniciens autrefois payés plus que les opérateurs non qualifiés se retrouvent rémunérés au niveau du SMIC par écrasement de la grille des salaires. La perte de sens du travail sur ces postes, qui se ressentait déjà dans l’industrie depuis 20 ans, s’accélère avec de plus en plus d’employés concernés.

Cette année, du fait de la forte augmentation de la masse salariale sur les bas salaires, même les entreprises qui disposaient d’une certaine marge de manœuvre financière devront se serrer la ceinture quant aux augmentations des cadres. Or, dans un contexte tendu dans l’industrie de pointe, les talents risquent de perdre patience. Après deux ans de politique salariale rigoureuse du fait de l’incertitude macro-économique, les meilleurs profils goûteront peu de voir leurs augmentations annuelles réduites à la portion congrue.

Même certains emplois non-qualifiés feront, paradoxalement, les frais de la hausse du SMIC. Faire passer le salaire de base de 1 603 € bruts par mois à 1 709 € bruts par mois en un an ne rend pas les salariés 6,6% plus productifs d’un claquement de doigts. Les postes dont la rentabilité mensuelle moyenne se situe entre ces deux chiffres, qui avaient une justification économique en 2022, n’en ont plus en 2023. Si le nombre d’emplois devenus non-rentables est toujours sujet à d’âpres débats avec chaque hausse du salaire minimum, le phénomène ne doit pas être nié.

Qu’il s’agisse d’emplois non qualifiés ou, a contrario, de postes nécessitant des profils aux compétences rares, le recrutement et la rétention de talents sera un sujet majeur pour les entreprises cette année. Surveillez donc le turn-over des années passées avant d’investir dans une entreprise : les entreprises dont les salariés avaient déjà tendance à partir en 2021 et 2022 auront le plus grand mal à garder leurs équipes en 2023.

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