La Chronique Agora

Trois interventions et les marchés s’effondrent

Bourse, krach, Fed

Lorsque la Fed procède à trois hausses de taux consécutives, la situation a tendance à tourner au vinaigre, sauf pour un actif qui s’en sort mieux.

Les marchés ont fortement progressé, depuis la mi-juillet. Les observateurs diront donc que tout est rentré dans l’ordre et qu’il est temps de revenir en Bourse.

Si vous voulez un conseil, ne les écoutez pas.

Alors que la Fed a relevé ses taux pour la troisième fois à la mi-juin, l’histoire nous montre que nous n’échapperons pas à une troisième correction boursière. Mais ce n’est pas tout, loin de là. En effet, cette décision n’augure rien de bon. Car lorsque la Fed procède à trois hausses de taux consécutives, la situation a tendance à tourner au vinaigre.

Une troisième hausse consécutive des taux de la Fed revêt une signification spéciale pour le marché. Cela indique que la Fed est déterminée à ralentir l’économie et à mettre un terme à sa politique d’argent facile. Dans la foulée, les marchés ont tendance à s’effondrer.

« Trois pas et une chute »

A Wall Street, ce phénomène a donné son nom à une règle : « trois pas et une chute ». Cette règle a été formulée par l’économiste Edson Gould dans les années 1970.

Il a constaté que lorsque la Réserve fédérale relevait ses taux d’intérêt, le ratio des réserves obligatoires ou les exigences de marge trois fois consécutivement, le marché avait tendance à s’effondrer.

D’après les études sur le sujet, cette structure a été observée avant tous les krachs de l’histoire, avec seulement deux exceptions qui prêtent à débat. D’aucuns disent que cette structure s’est formée un an trop tôt pour le krach de 1929 et un peu trop tard pour pouvoir identifier le sommet exact des marchés en 1978.

Mais cet indicateur affiche un taux de précision de près de 100% depuis 1919.

Le but du propos est de montrer que, à chaque fois que la Fed a essayé de relever ses taux d’intérêt, le marché s’est effondré. Les investisseurs ignorent ce fait à leurs risques et périls.

Il est important de garder à l’esprit que, quand bien même nous avons connu des rebonds du marché en plein cycle baissier, comme c’est le cas actuellement, les investisseurs doivent impérativement se préparer à une baisse plus généralisée et plus forte du marché.

Je le répète : n’écoutez pas les médias traditionnels qui vous incitent à acheter sur un creux ou les observateurs qui prétendent savoir quand les marchés toucheront leur point le plus bas. Les interventions répétées de la Fed doivent vous inciter à la prudence.

Le resserrement monétaire le plus brutal depuis 40 ans

Le mois dernier, la Fed a rehaussé ses taux de 0,75% pour la première fois depuis 1994.

Après la réunion de la Fed, Jerome Powell a donné le calendrier prévisionnel des hausses de taux pour le reste de l’année 2022. Il a annoncé trois hausses supplémentaires de 0,50% et une hausse de 0,25%.

Il a bien précisé qu’il s’agissait de l’ampleur minimum des hausses prévues et que la Fed pourrait tout à fait rehausser ses taux de 0,75%. Il a notamment déclaré qu’une hausse de 0,75% à l’issue de la réunion de fin juillet (la semaine prochaine) était tout à fait possible.

En partant du principe que la Fed procèdera à trois hausses de 0,50% et à une hausse de 0,25%, cela porterait le taux directeur de la Fed à un niveau compris entre 3,25% et 3,50% d’ici la fin de l’année. Il pourrait facilement atteindre 4,0% ou plus si la Fed décidait de relever ses taux de 0,75% à deux reprises.

Passer d’un taux de 0,25% à un taux de 4,0% en l’espace de 10 mois (de mars à décembre) représente la remontée des taux la plus rapide depuis la présidence de Paul Volcker à la fin des années 1970 et au début des années 1980.

Jerome Powell a également déclaré que la Fed continuerait à dégonfler son bilan (on parle de « resserrement quantitatif ») comme prévu, à hauteur de 80 Mds$ par mois, soit un peu moins de 1 000Mds$ par an.

C’est important, car cette réduction de bilan correspond à une hausse supplémentaire de 1% des taux d’intérêt en termes d’impact sur l’économie. En combinant le resserrement quantitatif et les hausses de taux prévues, l’impact du resserrement de la politique monétaire équivaudra quasiment à une remontée des taux de 5% en l’espace de 10 mois.

Il s’agit également d’une remontée des taux d’une ampleur sans précédent depuis les années 1980. Nous sommes d’accord pour dire que la hausse des taux est une mauvaise chose pour l’or, n’est-ce pas ? Une minute, papillon…

Or : au royaume des aveugles, les borgnes sont rois

Le cours de l’or a augmenté de 3,8% en juin, alors même que les indices boursiers s’effondraient, que les cours des obligations se repliaient et que les prix de l’immobilier semblaient plafonner. L’or a surperformé les autres classes d’actifs, et ce n’est pas la première fois.

La raison de cette hausse peut se résumer en un mot : inflation.

Pour ceux qui ne se satisfont pas de ce raccourci, la hausse du cours de l’or est due à la baisse des taux d’intérêt réels. Cela étant dit, c’est l’inflation qui a poussé les taux d’intérêt réels à la baisse donc les deux explications reviennent au même dans les circonstances actuelles.

Peut-être que cette explication vous laisse perplexe. La Fed est en train de rehausser agressivement ses taux d’intérêt à court terme et a commencé à dégonfler son bilan.

Les taux à moyen terme augmentent également. Le rendement à l’échéance du bon du Trésor à 10 ans est passé de 2,75% au 27 mai à 3,0% au moment où j’écris ces lignes. On pourrait penser qu’il s’agit d’une hausse modeste, mais il n’en est rien.

Il s’agit d’un véritable tremblement de terre dans le monde des obligations d’Etat américaines.

Vous me direz : sachant que les taux à court et moyen termes augmentent fortement, comment les taux d’intérêt réels peuvent-ils baisser ? Encore une fois, la réponse tient en un mot : l’inflation.

De l’importance des taux réels

Tous les taux mentionnés ci-dessus sont des taux nominaux. Il s’agit des taux d’intérêt qui s’affichent sur les écrans de cotation ou sur votre télévision lorsque vous regardez l’actualité financière. Ils sont utiles mais ne permettent pas de tout comprendre.

Pour calculer les taux d’intérêt réels, il convient de retrancher le taux d’inflation des taux nominaux. C’est là que les choses deviennent intéressantes.

L’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 8,6% en mai par rapport à l’année précédente, puis de 9,1% en juin, de la même manière.

Le taux directeur de la Fed étant de 1,75% au moment où j’écris ces lignes, le taux d’intérêt réel à court terme est de -7,35%. Le taux de rendement à l’échéance des bons du Trésor à 10 ans étant de 3,0%, le taux réel intermédiaire est de -6,1%.

L’inflation permet d’observer les taux d’intérêt de l’autre côté du miroir. Lorsque l’on retranche des taux d’inflation élevés de taux nominaux faibles, on obtient des taux réels fortement négatifs. Au final, cela crée des conditions idéales pour l’or.

Lorsque l’on considère l’or comme un actif monétaire (c’est mon cas), l’analyse de prix nous pousse rapidement vers des formes de monnaie concurrentes.

L’argent n’est pas censé être rémunérateur

L’or n’offre aucun rendement. Il n’est pas censé le faire car il s’agit de la forme la plus pure de l’argent : une monnaie acceptée en toutes circonstances et faisant l’objet d’une demande permanente, mais non émise par une banque ou par un courtier.

Un billet d’un dollar n’offre aucun rendement également. Alors que d’autres formes d’argent offrent des rendements réels élevés, l’or peine à soutenir la comparaison car les gens qui l’achètent le font pour se protéger, pour profiter de son statut d’actif « refuge ».

Mais lorsque les autres formes de monnaie affichent des rendements réels négatifs (comme c’est le cas actuellement), l’or brille de mille feux. Et l’or, fort de son statut d’actif refuge, progresse encore plus durant les périodes de forte inflation, lesquelles se traduisent par des taux réels négatifs.

Par conséquent, l’inflation et les taux réels négatifs qui en résultent expliquent donc en partie la récente hausse du cours de l’or. La question est maintenant de savoir si ces conditions prévaudront assez longtemps pour permettre une hausse durable du cours de l’or et la constitution d’un nouveau support à 1 900 $ l’once ou au-dessus.

Ça sent le sapin

La réponse est oui. L’inflation pourrait légèrement refluer dans les prochains mois et les taux d’intérêt continueront à monter (au moins les taux à court terme). Mais même si l’inflation se replie à 6,0% (un défi de taille), le taux réel à court terme resterait fortement négatif.

Par conséquent, cela rend l’or très attractif avec son taux réel de 0,0%.

Bien sûr, il s’agit du scénario le plus favorable pour la Fed dans la lutte contre l’inflation. L’inflation pourrait tout à fait déraper encore plus et la Fed pourrait peiner à reprendre le contrôle. Le cas échéant, les taux réels se replieront encore plus loin en territoire négatif qu’actuellement, et le cours de l’or s’envolera. L’once d’or à 2 000 $ appartiendra alors au passé.

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