La Chronique Agora

Trois divorces pour le prix d’un

France, Allemagne, Chine, pétrole

L’ambiance aux déjeuners franco-allemands est très mauvaise, mais pas encore aussi catastrophique que les relations entre Etats-Unis et Arabie saoudite.

Avant d’évoquer le couple franco-allemand (il serait plus pertinent de parler de colocataires qui se font la gueule) où les coups bas sont préférés aux scènes de ménage mais pour un résultat au moins aussi contre-productif, il est difficile de ne pas évoquer un autre divorce dont les conséquences néfastes risquent de retomber sur le nez des deux premiers protagonistes… qui du coup feraient mieux de protéger mutuellement leurs arrières.

En effet, Mohammed ben Salmane, depuis peu Premier ministre d’Arabie saoudite en plus d’être prince héritier du royaume, ne cache pas qu’il préférait travailler avec Donald Trump plutôt qu’avec Joe Biden… dont il doute des capacités cognitives – et qui les jugeait déjà « peu impressionnantes » lorsque Biden était vice-président de Barack Obama, et en pleine possession de ses moyens.

Du pétrole russe en Arabie

Joe Biden – enfin, soyons lucides, les propos que la Maison-Blanche lui prêtent officiellement – a très mal pris l’alignement de la stratégie saoudienne sur celle de la Russie en matière de réduction de la production pétrolière (2 millions de barils par jour en moins). Le président américain avait au contraire sollicité une augmentation de la production de 1 million de barils par jour cet automne, pour soulager les pressions inflationnistes.

Mohammed ben Salmane semble par ailleurs plutôt bien s’entendre intellectuellement avec Vladimir Poutine. Plusieurs rencontres en attestent entre 2015 (il n’était alors « que » ministre de la Défense saoudien) et 2018, et les deux hommes acceptent volontiers de se parler au téléphone depuis le début de la guerre en Ukraine. Tous les dirigeants occidentaux ne peuvent pas en dire autant.

Comble de la provocation pour Washington, l’Arabie est d’accord pour importer du pétrole russe, qui sera raffiné par Aramco puis revendu aux Occidentaux, ce qui subvertit littéralement – et rend largement inefficaces – les sanctions téléguidées par Washington contre la Russie.

Oui, l’agacement de la Maison-Blanche semble réel. La porte-parole Karine Jean-Pierre a ainsi rappelé que Joe Biden était favorable à une « révision des relations » avec Riyad, sans évoquer de fâcherie ni fustiger l’entente cordiale avec Moscou. Jake Sullivan, conseiller à la Sécurité nationale de la Maison-Blanche se montre beaucoup plus explicite : il confirme que Joe Biden n’a aucune intention de rencontrer le prince héritier lors du sommet du G20 de novembre.

Il est aussi ouvertement question que les Etats-Unis réduisent ou cessent leurs livraisons d’armes à l’Arabie. Vous pouvez imaginer que la France et la Russie s’en frottent déjà les mains.

Le divorce semble donc consommé entre les Etats-Unis et leur ancien protectorat, lequel demeure cependant leur principal pourvoyeur de pétrodollars… et, avec 31 000 Mds$ de dettes, ils sont précieux !

Les Etats-Unis pourraient toutefois désigner l’Arabie comme complice de la Russie – rendant le boycott du pétrole russe moins efficace – et la faire basculer du côté de l’« axe du mal ». Une manœuvre qui pourrait mener au non-paiement des intérêts de la dette américaine, ou des tentatives de déstabiliser le royaume.

Dans ce cas, à quand le prochain « printemps arabe » ? Il se pourrait que, d’ici 5 ou 6 mois, il porte bien son nom !

Sinon, on ne peut rien exclure. Imaginez tout de même les conséquences pour l’Europe d’une demande américaine de boycott du pétrole saoudien, un an après celui provenant de Russie…

Allemagne solitaire

Olaf Scholz et Emmanuel Macron en ont-ils discuté lors du déjeuner organisé à l’Elysée ce 26 octobre ? En ont-ils eu le temps ?

Le chancelier allemand avait en effet « un avion à prendre », puisqu’il devait s’envoler en urgence vers la Chine ce mercredi – avec toute une délégation de patrons allemands, mais sans les français cette fois – afin d’être le premier dirigeant occidental à se prosterner devant l’empereur Jinping 1er, qui entame son troisième mandat de 5 ans, et dont beaucoup d’analystes comprennent qu’il ne sera pas le dernier.

Ce qui apparaît comme une évidence, c’est que l’Allemagne joue depuis des mois sa participation en solo sans consulter la France (comme pour le plan de soutien à l’industrie allemande de 200 Mds€, sans que Paris n’ait été averti) et sans le moindre égard pour ses intérêts commerciaux et géostratégiques.

Berlin entend se doter d’une défense aérienne dernier cri : elle se tourne vers les Etats-Unis au lieu de s’associer avec la France sur ce programme, après avoir commandé une trentaine de chasseurs américains hors de prix, sans même étudier une offre de développement commune avec Dassault.

En revanche elle sait venir réclamer du gaz en contrepartie de… mais de quoi au fait ? Il semble que la bonne réponse soit « rien ».

Berlin ne recevra plus de gaz de Russie par les gazoducs sabotés Nordstream I et II. L’identité du mystérieux coupable est gardée secrète par les suédois, qui attendent « d’être sûrs d’en être sûrs ».

Les chinois à Hambourg

Imaginez si les enquêteurs avaient retrouvé au fond de la baltique un seul débris de drone sous-marin de technologie russe… les dirigeants occidentaux – et leurs médias – se déchaîneraient (avec raison) contre le criminel Poutine qui veut priver les allemands de chauffage cet hiver et achever de tuer l’industrie allemande. Une industrie dont les principaux sous-traitants sont chinois, et ne manquent pas d’énergie bon marché.

Mais pourquoi Olaf Scholz n’a-t-il pas emmené ses capitaines d’industrie chez « l’allié américain », qui dispose lui aussi d’une énergie pas chère, avec le gaz de schiste ? Serait-ce parce son prix est multiplié par 4 une fois transformé en GNL et livré de l’autre côté de l’Atlantique ?

Le comble, c’est que les méthaniers pourraient venir délivrer leur cargaison dans un port de Hambourg qui sera bientôt à 26% chinois.

C’est le géant du fret maritime Cosco qui investit plusieurs milliards d’euros dans cette opération, laquelle va faire grincer des dents à Washington, mais également à Paris.

Du coup, faut-il faire le lien avec le refus de l’Elysée d’approuver la construction d’un gazoduc qui relierait l’Algérie à l’Allemagne via l’Espagne (l’infrastructure existe déjà, il n’y a qu’à la prolonger) puis la France ?

Voilà qui illustre bien notre phrase de préambule : la presse ne parle pas encore de scènes de ménage au sein du couple, mais Emmanuel Macron commence à en avoir assez de prendre des coups en-dessous de la ceinture.

Il pratique déjà une forme de rupture des liens conjugaux en annulant sine die le sommet franco-allemand des ministres de Fontainebleau, ce à quoi Olaf Scholz réplique en allant se jeter dans les bras grands ouverts de Xi Jinping… de quoi agacer également la Maison-Blanche, qui s’alarme de l’ambition affichée par Xi de réintégrer de gré ou de force Taïwan dans la mère-patrie, qui affiche sans complexes son impérialo-communisme et son rejet du modèle capitaliste.

Ce qu’il reste de « capitalistes » en Chine le lui rendent bien : ce sont bien eux qui divorcent aux torts exclusifs de Pékin !

Et voilà, cela nous fait trois divorces pour le prix d’un !

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