Même si les diagnostics sont bons, les solutions présentées sont à côté de la plaque : avec elles, l’Etat va nous imposer une décroissance « au nom du climat ».
« La transition énergétique est un sujet trop sérieux pour le laisser aux hommes politiques », aurait pu dire Clemenceau.
Durant son numéro de communication de la semaine passée, le gouvernement vient de jouer une nouvelle fois une partition certes bien orchestrée, mais fallacieuse.
Mélangeant dans un véritable pot-pourri argumentatif les questions de protection de l’environnement, de souveraineté énergétique, de sauvegarde de l’économie et de finances publiques, Matignon a une fois de plus multiplié les grandes déclarations pour finir par annoncer son intention… de ne rien changer à la stratégie actuelle.
Alors que le contexte politique particulier de ce printemps pouvait laisser espérer un retour au réel et le retour du débat public sur le terrain du pragmatisme, il n’en a rien été. Le nouveau Grand Plan gouvernemental est, une fois retirées les déclarations d’intention et la novlangue écolo-vertueuse, l’annonce d’une énième vague de dirigisme étatique au nom de la « planification écologique ».
Fidèle à ses mauvaises habitudes, le gouvernement français n’a également pas réussi à prévoir de source de financement pour les dépenses publiques prévues – un comble pour ce qui se voulait un plan d’action prêt à être mis en œuvre.
L’occasion manquée du retour à la réalité
Le plan présenté par Elisabeth Borne partait sur de bonnes bases.
Devant le Conseil national de la transition énergétique, la Première ministre a indiqué que les transports, l’industrie, et le bâtiment devraient concentrer les deux-tiers des efforts de réduction des émissions de CO2 du pays d’ici la fin de la décennie.
Pour une fois, les pouvoirs publics convenaient que toute réduction significative des émissions de gaz à effet de serre ne peut, par définition, se faire que sur les postes les plus émetteurs. Inutile, donc, d’agiter les chiffons rouges que sont les vols intérieurs, qui représentent moins de 1% des émissions totales de la France (5 Mt d’équivalent CO2, en outre compensées depuis la loi Climat et Résilience du 22 août 2021) ou les jets privés (0,38 Mt d’équivalent CO2, soit 0,06% du total).
C’est bien le transport terrestre qui émet la plus grande part des gaz à effet de serre, avec plus de 125 Mt d’équivalent CO2. Fort logiquement, agir sur ce levier est le plus efficace à l’échelle du pays. Avant la fin de la décennie, le secteur du transport devra avoir réduit ses émissions de 37 Mt d’équivalent CO2. Responsable de près d’un tiers des émissions du pays, il représentera également près de 30 % de l’effort de décarbonation prévu dans le plan. L’ordre de grandeur est donc cohérent.
Fort logiquement, la voiture particulière sera la première concernée. Elle devra voir son impact carbone baisser de 11 Mt d’équivalent CO2, au moyen d’une augmentation sans précédent du nombre de voitures électriques. Celles-ci devront, d’ici la fin de la décennie, représenter 15% du parc, contre 1,2% actuellement.
Le même volontarisme est affiché pour l’industrie, dont les 50 sites les plus émetteurs de CO2 devront avoir réduit leurs émissions de moitié en 2030 par rapport à 2015. Se focaliser sur le haut de la liste aura un effet significatif : ces poids-lourds des gaz à effet de serre sont responsables, à eux-seuls, de près de 10% des émissions de l’ensemble du pays.
Le bâtiment, dont les émissions ont représenté 64 Mt d’équivalent CO2 l’an passé, a également eu droit à son opération-vérité. « MaPrimRénov’ », l’usine à gaz gouvernementale censée inciter les propriétaires à moderniser leurs biens pour réduire les émissions de CO2, est un fiasco. Trop complexe, au ciblage inefficace, elle a conduit les bénéficiaires à financer des opérations contre-productives comme la modernisation des chaudières dans des biens mal isolés. Elle devrait donc être revue pour être plus efficace.
Et c’est à ce stade, après des diagnostics que nous pourrions qualifier de corrects, que le gouvernement est retombé dans les habituels travers et contradictions tricolores.
Car si nous savons désormais avec précision où nous en sommes dans nos émissions de CO2, et où nous allons (le pays étant engagé dans une trajectoire zéro carbone à horizon 2050 comme les autres pays européens), la réponse au « comment y aller » est absolument fantaisiste.
Quand le volontarisme relève de l’optimisme béat
L’exemple de la mobilité, un sujet auquel les citoyens sont exposés au quotidien, est édifiant. En considérant que les particuliers n’abandonnent pas massivement l’usage de la voiture individuelle dans les prochaines années, la trajectoire chiffrée par Matignon nécessiterait d’immatriculer plus de 875 000 véhicules électriques neufs par an d’ici 2030… alors qu’il s’en est vendu à peine plus de 200 000 l’an passé. Des « mesures ciblées » sont censées provoquer ce quadruplement immédiat des volumes de vente.
En parallèle, d’autres économies de bout de chandelle sont envisagées comme un recours accru au covoiturage (censé effacer 3 Mt d’équivalent CO2, soit la moitié des émissions de l’ensemble des vols intérieurs français), ou un recours accru au télétravail (pour 5 Mt d’équivalent CO2 de moins), et ce à l’heure où les entreprises s’efforcent de faire revenir les salariés au bureau.
Il en est de même pour le bâtiment, où la stratégie de subvention des rénovations se heurte encore à la réalité de la solvabilité des propriétaires et du retour sur investissement des dépenses d’isolation.
Les agriculteurs auront aussi la lourde tâche de trouver comment transformer d’un coup de baguette magique les bonnes intentions gouvernementales en efficacité énergétique. Augmentation des couverts végétaux, substitution d’engrais minéraux par des engrais organiques, décarbonation des engins agricoles… le gouvernement semble bien optimiste sur l’impact de ces mesures qui doivent faire économiser près de 15 Mt d’équivalent CO2.
Transport, bâtiment, agriculture : il est bien peu probable que notre tissu économique évolue naturellement de la manière prévue par Matignon.
Vers une décroissance imposée ?
Le plus probable est que le taux de 15% de voitures électriques sera atteint parce qu’une partie des citoyens aura dû renoncer, du fait de normes environnementales croissantes et d’un pouvoir d’achat en berne, à leur véhicule thermique sans pour autant pouvoir s’offrir de voiture électrique. Le parc de véhicules en circulation diminuant, la part des véhicules propres augmentera mécaniquement.
De même, les lois anti « passoires thermiques » feront sortir du parc locatif des millions de logements. En moyenne, la performance énergétique des biens sera améliorée… mais cette amélioration relative augmentera la précarité locative des locataires les moins fortunés.
Il en est de même pour l’agriculture. Outre les mesurettes mises en avant par le gouvernement, le levier le plus efficace sera, aux dires des spécialistes, la réduction du nombre d’animaux élevés sur notre territoire. L’élevage représentant à lui-seul près de la moitié des émissions du secteur, le gouvernement mise sur la baisse du nombre de têtes pour réduire sensiblement l’impact carbone de notre agriculture.
Sur tous ces sujets, le plan de transition énergétique ressemble donc comme deux gouttes d’eau à un plan de décroissance. Moins de voitures, moins de logements disponibles, moins de viande dans notre assiette : en l’état actuel des choses, et même si Matignon s’en défend, les objectifs seront atteints au prix d’une baisse sensible de notre niveau de vie.
Si personne ne paye, tout le monde s’appauvrira
Le seul volet du plan qui permettait d’espérer faire rimer transition énergétique avec pérennisation de notre niveau de vie, à savoir des investissements à impact net positif, a fait long feu.
L’économiste Jean Pisani-Ferry et l’inspectrice générale des Finances Selma Mahfouz ont livré, le jour des annonces d’Elisabeth Borne, une estimation des dépenses à engager pour effectuer une transition énergétique qui ne se traduirait pas par un effondrement de notre économie : 66 Mds€ par an, dont 34 Mds€ assumés par les finances publiques.
S’il s’agit certainement d’une estimation conservatrice, l’ordre de grandeur évoqué a le mérite de mettre les citoyens-contribuables en face de la réalité : les enjeux financiers de la transition énergétique se montent à plusieurs points de PIB et la question principale est de déterminer qui doit régler l’addition.
Le recours à la dette aurait pu se justifier dans la mesure où les dépenses d’infrastructure sont parmi les rares à bénéficier aux générations futures. Autoroutes, voies ferrées, centrales nucléaires et fermes photo-voltaïques sont des actifs qui créent de la valeur sur le long terme, et qui peuvent légitimement être financés par l’impôt différé qu’est l’endettement public.
Mais, alors que les finances publiques sont déjà exsangues et que la dette est déjà surutilisée pour régler les dépenses courantes, cette voie a paradoxalement été balayée d’un revers de main par Bruno le Maire.
Reste la possibilité d’augmenter immédiatement les prélèvements obligatoires, un grand classique tricolore. Mais au vu des sommes nécessaires, il faudrait frapper fort et sur une assiette large. Le rapport de Jean Pisani-Ferry mentionne explicitement les actifs financiers et immobiliers des 10% des foyers les mieux lotis. Avec un actif net de 3 000 Mds€, la manne est alléchante… mais, en visant le dernier décile dans sa globalité, le gouvernement irait bien au-delà du réflexe égalitariste français qui consiste surtout à vouloir faire payer les autres.
Brandir une taxe ne touchant que les 42 milliardaires français aurait été politiquement idéal… mais budgétairement inefficace. Pour trouver des dizaines de milliards supplémentaires par an, Jean Pisani-Ferry préconise de faire main basse sur 5% du patrimoine de ces 4 millions de foyers français jugés « riches ». Une mesure mathématiquement correcte, mais une bombe politique sachant que le dernier décile inclut tous les ménages possédant un patrimoine supérieur à 633 000 €.
Bruno le Maire a dû immédiatement monter au créneau pour rassurer son électorat. Dès le lendemain de la publication du rapport, il affirmait catégoriquement que « l’impôt n’est pas une solution, notre politique est de baisser la pression fiscale ».
Le plan de Matignon est donc une juxtaposition de mesures symboliques et d’actions fortes mais non financées – qui ne pourront donc pas, en l’état, être mises en place. Il ne reste plus qu’à espérer que le secteur privé puisse, par son pragmatisme et avec ses propres capitaux, mener à bien les investissements nécessaires à la décarbonation de notre économie.
Sans quoi, et même s’il s’en défend, l’État nous imposera de fait une décroissance « au nom du climat ».