En France plus que nulle part ailleurs, la culture nationale est protégée. Les palettes d’argent public et de réglementations derrières lesquelles se cache le petit monde de la culture officielle subventionnée sont censées prémunir notre culture nationale du danger de la concurrence étrangère.
Cet état de fait est à tel point ancré dans les mentalités qu’à écouter nos politiciens et les caciques du secteur, on a l’impression que la perfusion financière des artistes d’Etat cooptés constitue un énième droit-créance qui mériterait d’être gravé dans le marbre de la Constitution.
Quand les professionnels du « monde de la culture » reprendraient bien une louche d’argent public
On ne présente plus Delphine Ernotte. Début janvier, la présidente de France Télévisions déclarait devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale que pour « jouer à armes égales » face à Netflix et autres Disney+, les groupes audiovisuels publics auront besoin de plus d’argent public.
Et pour cause : la télévision publique a vécu engluée dans sa graisse depuis des décennies, sans que quoi que ce soit ne vienne perturber son environnement. Or cette époque est terminée : en 20 ans, les GAFA & co. ont laminé les médias historiques.
Et ce n’est pas quelques centimes que la centralienne est venue réclamer puisque la France est selon elle en « guerre [une de plus…] culturelle » contre les Etats-Unis.
Comme il est naturellement exclu de produire des contenus de qualité afin de séduire les téléspectateurs, c’est évidemment au prétendu « Etat-stratège » qu’il revient de sauver la télévision publique en déployant tout l’« arsenal législatif » nécessaire.
Au moins peut-on reconnaître à Delphine Ernotte le mérite de ne pas se voiler la face. Etant incapable de rivaliser avec les acteurs du secteur privé, la présidente de France Télévisions se rabat sur la seule solution que maîtrise le marécage de la culture publique française : réclamer plus de tentes à oxygène en faisant pleurer dans les ministères.
Il est d’ailleurs temps que l’Etat se bouge puisqu’avec les confinements, la situation s’est dangereusement dégradée, comme en a averti Isabelle Adjani début mai.
Heureusement, nos artistes officiels, à tel point nécessiteux qu’ils s’en trouvent réduits à demander l’aumône publique, ne manquent pas d’oreilles pour les écouter.
Les politiques au chevet des artistes subventionnés : la naissance d’un nouveau droit-créance ?
Avez-vous déjà entendu un politicien français déclarer que la culture allait devoir se serrer la ceinture ? Moi non plus.
Sans doute le plus radical à ce sujet est-il Jean-Luc Mélenchon, pour qui chaque individu qui tient un atelier pâte à modeler devrait avoir un accès direct à votre porte-monnaie.
Pas très étonnant comme raisonnement, puisque dans les rangs de la France Insoumise, les artistes se comptent non pas en wagons mais en péniches.
Le point de vue d’Emmanuel Macron est-il différent ? Pas vraiment. Dès le 6 mai, le président réagissait aux appels du « monde de la culture » en promettant « un grand programme de commandes publiques » et en « accompagn[ant] financièrement » des créations « avec peu de public ou pas de public », afin de permettre aux artistes d’« inventer un été apprenant et culturel » […] « sans se poser la question du modèle économique ou autre. »
N’hésitez pas à me faire signe en commentaire si vous distinguez l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre les visions mélenchonienne et macronienne.
Je vous invite également à m’indiquer si vous êtes vous aussi choqué de ne pas avoir été rémunéré pour vos travaux d’arts plastiques réalisés entre la 6ème et là 3ème. Si je réunis assez de monde, il n’est pas exclu que je lance une pétition sur Change.org en vue de faire reconnaître nos droits en qualité d’intermittents du spectacle.
A la décharge du président, je me permets de citer l’« écrivain en bâtiment » Didier Goux :
« Il a raison notre Grand Syndic de faillite : il est toujours préférable de soigner ses parasites bruyants plutôt que des pue-la-sueur silencieux. Ceux-ci, il suffit de les distraire en donnant de jolies couleurs aux départements et en transformant le pays en une sorte de grand Monopoly covidien. Et pendant que les uns avanceront de trois cases, trop contents d’avoir évité la prison, les autres recevront 20 000 sans jamais avoir quitté la case départ. »
La reconnaissance de nos créations artistiques me semble d’autant plus urgente que, le président ayant pris goût à nous garder claquemurés, c’est bien plus que notre été qui risque de se retrouver « apprenant et culturel ».
A ce stade, si vous êtes encore hésitant à changer de statut professionnel, c’est uniquement parce que je ne vous ai pas présenté mon meilleur argument pour rejoindre le « monde de la culture » !
Quand la culture efface tes dettes !
Prenons par exemple le cas de Luc Besson. Alors que Front Line, holding détenue à 99,99% par le réalisateur du Grand Bleu, était en très mauvaise posture financière, la Nef Lumière, société détenue à 87,5% par la Caisse des dépôts (et à 12,5% par Vinci), a renoncé au mois de juillet à la caution de 45 M€ qu’elle réclamait à la holding, au titre des quatre années restant à courir de l’ancien bail de la Cité du cinéma, le pôle cinématographique porté par Luc Besson financé à 90% par la Caisse des dépôts (plus de 150 M€).
Naturellement, les représentants de Luc Besson ont tenu à préciser qu’« aucune autorité publique n’a ‘plaidé’ pour EuropaCorp. Le ministère de la Culture n’est pas intervenu. » Les mauvaises langues diront que cela n’a peut-être même pas été nécessaire compte tenu de la porosité entre le monde politique et le « monde de la culture. »
Comme le rappelle Capital :
« Luc Besson dispose de solides réseaux en Macronie. Il a connu Emmanuel Macron lorsqu’il était banquier d’affaires chez Rothschild (2008-12) et qu’il s’était occupé du financement de la Cité du cinéma. Depuis, le réalisateur parle du président de la République comme d’un ‘ami’.
Mais ce n’est pas tout. Régis Lefebvre, le dircom et lobbyiste d’EuropaCorp, est un ami proche d’Edouard Philippe et a été directeur adjoint de la campagne LREM-Modem aux élections européennes. Quant à Françoise Nyssen, elle a été administratrice d’EuropaCorp de 2012 à 2016, puis, lorsqu’elle a été ministre de la Culture entre 2017 et 2018, son agenda officiel a fait état de deux rendez-vous avec Luc Besson. »
En matière de soutien au « monde de la culture », la couleur politique importe peu puisque lorsqu’il s’est agi de faire financer la construction de la Cité du cinéma par notre argent, ce sont ses réseaux sarkozystes que Luc Besson a fait jouer. Le réalisateur déclarait ainsi en 2009 :
« Je suis allé voir Claude Guéant, qui a dit que le projet était formidable, et a utilisé son influence pour que les choses soient plus faciles. Nicolas Sarkozy était aussi très favorable. »
Il suffit d’un tweet d’Hélène Kaplan pour parfaitement résumer ce dont il retourne.
Espérons au moins que la situation actuelle fera gamberger les artistes patentés – on peut toujours rêver.
Quoi qu’il en soit, peu importe que vous n’en puissiez plus de la culture d’Etat : vous allez bientôt payer encore plus, comme nous le verrons samedi prochain…