La Chronique Agora

Tim Geithner en tournée dans l’Europe

▪ Nous évoquions hier un secrétaire américain au Trésor qui s’adresse au grand public « en regardant ses chaussures ». Cela s’est confirmé ce mercredi lors de son passage à l’Elysée. Le style « je te dis la vérité les yeux dans les yeux », ce n’est visiblement pas son truc. Le « face à la caméra », il ne supporte pas.

L’ancien président Giscard d’Estaing non plus ne supporte pas… mais cela concerne directement la tournée européenne de M. Tim Geithner et il le fait savoir : « de quoi se mêle-t-il ? Est-ce que nos ministres des Finances vont mettre la pression sur la Fed à la veille de ses réunions de politique monétaire » ?

Des FOMC dont les décisions nous affectent pourtant bien davantage que les rares sommets européens. Ces derniers ne débouchent en effet le plus souvent sur rien, sinon sur des coups de bluff que les marchés ont tôt fait de percer à jour.

Comme il est de coutume avant chaque réunion « de la dernière chance », les rumeurs fusent… surtout celles qui comblent d’aise les opérateurs anglo-saxons.

On parle par exemple de la possibilité d’interventions discrètes mais résolues de la BCE chaque fois que ça chauffe sur les marchés de taux… d’un renforcement de l’effet de levier du FESF… de la création d’une banque d’investissement destinée au portage « temporaire » des dettes souveraines de l’Eurozone… d’une usine à gaz impliquant le FMI dans le financement d’un super-FESF, etc.

Et puis les Allemands démentent systématiquement dès qu’il est question de monétiser la dette d’une manière ou d’une autre. Cela douche les marchés et les met de mauvaise humeur pour le reste de la journée.

▪ Nous avons tenu mardi matin (« nous », c’est tous les rédacteurs des Publications Agora) une réunion stratégique pour évaluer la situation. Je ne vous dirai rien de ce qu’ont présenté chacun des participants — c’est « top secret » pour quelque temps encore — mais je peux bien révéler ce qui fut un des temps forts de mon intervention.

J’ai beaucoup entendu ces derniers jours des stratèges de grandes banques et de sociétés de gestion affirmer que l’Allemagne allait autoriser la monétisation des dettes européennes parce qu’elle n’a pas le choix : elle attend juste que la discipline règne parmi les membres de l’Eurozone.

Certains espèrent même qu’elle assouplira sa position lorsqu’une majorité de pays aura pris l’engagement formel de se conformer à la Règle d’or. Pour ma part, j’ai réaffirmé connaître par avance la réponse d’Angela Merkel : ce sera « NEIN » !

Facile… C’est ainsi qu’elle balaye ce genre d’espoirs dès que la situation semblerait l’exiger depuis deux ans (jour pour jour) que l’Europe est empêtrée dans la crise grecque.

Pourquoi dirait-elle oui aujourd’hui, après tant d’occasions (et de notations « AAA ») perdues ? Pourquoi dirait-elle oui après-demain — juste pour égayer le sommet de Bruxelles ? Rappelons qu’aucun mécanisme, aucune procédure, aucun traité n’a encore pris forme.

Ce serait du grand n’importe quoi !

Qu’adviendrait-il en cas d’attaque massive contre la dette italienne et française au cours des prochaines semaines (alors que 80% des opérateurs considèrent déjà que la France n’a plus de Triple A) ?

Toutes les munitions du FESF (250 milliards d’euros tout au plus à ce jour) y passeraient en quelques heures. A quoi viendraient se rajouter toutes les réserves du FMI, s’il lui prenait la fantaisie de lui prêter main forte !

Mais les marchés aiment qu’on leur joue la petite musique de la planche à billets…

Ils ont certes fusé à la hausse mercredi matin peu après une émission obligataire allemande qui a reçu un bon accueil : cinq milliards d’euros de Bunds à cinq ans émis avec une forte demande. Cependant, les 50 points de gains initiaux du CAC 40 (et les +1,5% des places européennes) étaient liés à des rumeurs de mise en oeuvre d’un second mécanisme de garantie des dettes souveraines en complément du FESF — l’autre possibilité étant l’activation du futur MES par anticipation.

▪ Des rumeurs d’approbation d’un « mécano financier » visant à contourner l’interdit de la monétisation par la BCE se succèdent depuis 10 jours. Celles de mercredi matin ont été démenties une fois de plus par l’entourage d’Angela Merkel.

Pour ne rien arranger, le briefing de la presse par l’Elysée (une tradition avant chaque sommet européen) a été annulé tant les divergences franco-allemandes s’avèrent grandes à 24 heures de l’événement. Quand nous écrivions hier que le couple franco-allemand fonctionnait aussi harmonieusement qu’un mariage forcé entre membres de deux tribus ennemies, nous étions en dessous de la vérité !

Les projets de convergence poussés par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy sont loin de faire l’unanimité auprès des autres partenaires européens. Ces derniers ne supportent pas d’être considérés comme quantité négligeable — la réforme des traités se fera avec ou sans eux, a martelé Nicolas Sarkozy.

Timothy Geithner, que nous évoquions en préambule, avait l’air aussi réjoui et confiant dans les chances de succès du sommet de Bruxelles que les experts de la Commission européenne dans les chances de voir la Grèce rembourser l’intégralité des 50% de dette qui n’ont pas été effacées fin octobre.

L’Angleterre s’est déjà exprimée pour avertir qu’elle n’approuverait des modifications aux traités que si cela préserve ses propres intérêts. C’est à hurler de rire quand on sait à quel point « l’intégration des politiques budgétaires et fiscales européennes » et le « renforcement des contrôles et des sanctions » font partie de la culture politique britannique depuis 40 ans d’appartenance à l’Union européenne (et les Irlandais, qui font partie intégrante de l’Eurozone depuis sa création, sont formatés de la même façon).

▪ Face à une situation d’une extrême gravité — pour reprendre les propres termes de François Baroin –, les marchés finissent par envisager que toutes les options deviennent possibles pour sauver la Zone euro.

La dernière rumeur en date a commencé à circuler mercredi soir : le G20 avancerait 600 milliards de dollars (environ 475 milliards d’euros) au FMI, qui à son tour volerait au secours de l’Europe.

Cela ferait des Etats-Unis le premier contributeur devant l’Allemagne, le Japon et la France. Est-ce là le message en forme de cadeau de l’Oncle Sam que serait venu délivrer Tim Geithner à l’Elysée ce mercredi ?

Soit le secrétaire d’Etat au Trésor US est un excellent acteur qui joue parfaitement son rôle d’observateur convaincu que la situation est sans issue (pour mieux tromper les spéculateurs et les agences de notation)… Soit les marchés se bercent une nouvelle fois de douces illusions — auxquelles ils auront cessé de croire d’ici 24 heures, ou même avant !

▪ Toujours est-il qu’une véritable euphorie — comparable à la fausse rumeur sur un « FESF bis » mercredi matin — propulsait le Dow Jones vers les 12 250 points une demi-heure après la clôture de Wall Street. Le CAC 40 grimpait quant à lui vers 3 225 points aux environs de 22h30 en transactions hors séance. Il s’agit d’une réédition du scénario de préouverture mercredi matin et pour des motifs similaires.

Dans ces conditions, si la rumeur du G20 est fondée (ce serait une authentique surprise que de voir les Etats-Unis participer au sauvetage d’un euro qu’ils s’acharnent à discréditer depuis deux ans), il est assez logique que Wall Street ait occulté les derniers communiqués de Standard & Poor’s publiés dans l’intervalle.

L’agence de notation est devenue littéralement intarissable. Elle poursuit le fil de son réquisitoire implacable, exposé la veille et étayé par les difficultés de refinancement qui acculent Dexia, Commerzbank, Groupama à une nationalisation plus ou moins explicite, et a décidé de placer sous surveillance négative les notes des principales banques françaises (et d’autres grands emprunteurs institutionnels français) mais également allemandes et italiennes.

Sans oublier la notation de l’Union européenne, un émetteur relativement marginal mais qui a récemment avancé de l’argent aux PIIGS ainsi qu’à la Hongrie et à la Roumanie, des emprunteurs qui n’inspirent guère confiance.

Les actions se sont montrées extrêmement volatiles, ce qui n’a pas été le cas de l’euro (il finit presque stable à 1,3400 $) ou du pétrole (-0,1% à 100,4 $).

▪ Alors… le monde sera-t-il sauvé d’ici vendredi, ou pas ?

Pour les cambistes, toutes les rumeurs du jour semblent être rentrées par une oreille et ressorties par l’autre — alors que l’euro aurait dû réagir vigoureusement à plusieurs reprises. Les cambistes font ils preuve d’autisme ? A moins que les marchés actions ne soient le seul endroit où se manifeste le réel… ou celui qui favorise toutes les opportunités de manipulation des cours.

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