La Chronique Agora

En votre absence, la vie continue

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Notre absence ne crée pas le vide. Les évènements s’empilent, dont certains pourront compter dans nos vies.

Une semaine de plus s’achève… ralentie pour cause de Thanksgiving.

Mais on ne sait jamais.

Selon les vétérans de la finance, les jours qui précèdent un jour férié sont particulièrement révélateurs de l’humeur du marché.

Les traders n’aiment pas se mettre en danger alors qu’ils sont loin de leurs terminaux. C’est-à-dire que s’ils pensent qu’il y a une chance de krach, ils vendront en avance afin de pouvoir profiter de leur congé l’esprit en paix.

Quoi de neuf ?

En attendant, nous sommes de retour chez nous, à Baltimore, après six mois à l’étranger.

« Quoi de neuf ? » avons-nous demandé.

« Le charme de la vie ordinaire », nous a répondu une voix familière.

Samedi dernier, nous avons assisté à une cérémonie en mémoire de l’un de nos cousins, Joe, décédé il y a deux semaines. Dimanche, on baptisait l’un de nos petits-enfants. Un part. Un autre arrive. Match nul.

« Les gens s’inquiètent du changement de politique commerciale de la Chine… ou de l’issue du match des Ravens. Ils passent leur temps sur leurs iPhones et leurs ordinateurs. La vraie vie continue autour d’eux… et ils ne s’en rendent même pas compte.

« Ils ne se concentrent sans doute pas sur les bonnes choses, les bons endroits et les bonnes personnes.

« Un homme gagne un milliard de dollars en Californie. Une femme gagne les élections en Arizona. Un transsexuel traîne un musée de New York devant la justice parce qu’il n’y avait pas les bonnes toilettes.

« Mais chez eux, juste sous leur nez, ils ne voient rien. Nous n’avons même jamais rencontré la femme de ton cousin ».

Nous n’avions pas beaucoup vu Joe ces 50 dernières années. Au début des années 1960, nous travaillions avec nos cousins dans les champs de tabac — réquisitionnés pour ce dur labeur par des oncles en quête désespérée de main-d’œuvre bon marché.

Mais en juin 1966, nous avions terminé le lycée. En septembre, nous nous étions tous dispersés — qui pour rejoindre l’armée… qui pour fonder un foyer et une carrière… qui pour partir à l’université… ou simplement disparaître.

En 1970, au moins trois de notre petit cercle d’amis étaient morts. L’un d’entre eux avait succombé à une overdose. Un autre avait été tué dans une rixe dans un bar. Le troisième est mort à la guerre.

Le reste d’entre nous tentait simplement de relever les défis de la vie ordinaire — gagner sa vie, se marier, avoir des enfants, et s’en tirer du mieux qu’on peut.

Et la vie a continué… pendant un demi-siècle.

Une vie en photos

La cérémonie de samedi était la première de ce qui promet d’être une longue série. Notre cousin est décédé septuagénaire… d’une maladie « liée à l’âge ».

C’est-à-dire qu’il n’est pas mort prématurément d’une crise cardiaque, d’un accident de la route ou d’un accident médical.

Il est mort comme le reste d’entre nous le sera — d’une chose aggravée par une autre et mise en mouvement par l’usure du temps. Nous avons tous plus de 70 ans… et nous avons tous une main perdante.

Joe a déjà encaissé ses jetons.

Mais là, épinglée sur un tableau, se trouvait la vie que nous n’avons jamais vue.

Les photos montraient Joe en smoking à son mariage… avec ses frères, admirant une moto… à la plage avec ses deux sœurs… lors de la remise de diplôme de sa fille… sur un tracteur… chez lui… en vacances… durant des mariages et des anniversaires…

Toute une vie en photos… et nous n’étions sur aucune d’entre elles.

Nous sommes allé en Europe et en Amérique du Sud. Joe est resté aux Etats-Unis. Nous avons étudié l’économie et la finance. Joe a distribué le courrier.

« Tant de gens passent tant de temps à s’inquiéter des élections et de l’économie », a continué la voix familière. « Ils manquent complètement ce qu’il se passe vraiment autour d’eux, dans leurs propres familles — les choses qui comptent vraiment. Nous passons à côté de beaucoup de choses… simplement parce que nous ne sommes pas là ».

En notre absence…

Le baptême de notre petite-fille, le dimanche, a attiré autant de parents que l’enterrement, mais l’occasion était plus heureuse… le début d’une vie, non la fin.

Nous nous sommes rassemblés à l’église le matin, avons aspergé d’eau la tête de la petite, et sommes rentrés à la maison pour une réception. Là encore, nous avons renoué avec des gens que nous avions à peine vus ces trois dernières décennies.

Nombre d’entre eux avaient pris de l’âge depuis la dernière fois que nous les avions vus — grisonnants, marchant légèrement penchés… comparant leurs séjours à l’hôpital.

Leurs enfants avaient grandi eux aussi. Ils parlaient désormais d’une nouvelle génération… dont les noms ne nous étaient pas familiers.

Eux aussi vivaient leur vie.

« Quand est-ce que c’est arrivé ? » avons-nous demandé à la voix familière.

« Pendant notre absence », fut la réponse. « La vie ordinaire ne s’arrête pas simplement parce que nous sommes en train de vagabonder ailleurs. Elle continue. Nous savons ce que nous gagnons de nos voyages… mais nous ne savons pas ce que nous perdons ».

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