La Chronique Agora

Testament d’un colonel

L’Occident se prépare à une énorme crise du crédit. Les banques centrales pourront toujours financer leurs opérations. Mais elles ne pourront pas protéger la valeur de leurs propres monnaies.

« Ayez pitié de la nation dont les gens sont des moutons

et dont les bergers les égarent.

Ayez pitié de la nation dont les chefs sont des menteurs,

dont les sages sont devenus muets

et dont les réactionnaires passent par les ondes comme des fantômes.

Ayez pitié de la nation qui n’élève sa voix que louer le conquérant

et qui acclame le tyran comme le héros

et voudrait régler le monde

par la force et par le torture. »

– Lawrence Ferlinghetti

Sur les marches de la vieille église, se tenait un vieil homme, avec un vieux drapeau… honorant la mort d’un vieux soldat.

Le défunt était aussi un vieil ami.

La journée était chaude. Mais l’intérieur de l’église en pierre était frais. Il y avait une centaine de personnes en deuil. Nous avons pris le temps, au milieu d’une journée de travail, de faire nos adieux, ignorant ainsi les gros titres alarmants.

La France est en émoi. Le Daily Mail rapporte :

« La France se bat pour empêcher Le Pen d’accéder au pouvoir : Les socialistes exhortent les Français à les soutenir et à ‘tout faire pour empêcher’ la victoire de l’extrême droite aux élections de dimanche. »

L’extrême droite n’est peut-être pas aussi solide que le prétendent les fauteurs de crise. Partout en Europe (comme aux Etats-Unis), cette droite progresse. Souvent qualifiée de mouvement populiste ou nationaliste, elle est facilement confondue avec un véritable changement de cap.

Or un changement de cap fondamental consisterait à inverser la croissance de l’Etat, à réduire ses dépenses et à renoncer à la guerre. Les « populistes » ont diverses idées sur ces sujets – certaines sont bonnes, d’autres sont mauvaises – mais, pour autant que nous le sachions, aucune n’est vraiment favorable à un changement radical. Et pour autant que nous puissions en juger, rien de ce qu’ils proposent ne fera dérailler la débâcle financière qui s’annonce.

L’Occident se prépare à une énorme crise du crédit. Les banques centrales et les gouvernements centraux seront toujours en mesure de financer leurs opérations et de stimuler les prix des actifs. Mais ils ne seront pas en mesure de protéger la valeur de leur propre monnaie. Les investisseurs avisés – y compris les banques centrales étrangères – se préparent en achetant de l’or. Nous aussi.

Pendant ce temps, nous disions au revoir à un vieil ami.

Nous avons chanté. Nous avons dit nos prières. Nous avons pris l’hostie, mais pas la coupe… (On ne partage pas le vin dans les services catholiques français.)

Et, à la fin, nous nous sommes alignés pour asperger le cercueil d’eau bénite. C’est alors que nous avons remarqué qu’il manquait quelque chose. Pierre était un colonel retraité de l’armée française. En règle générale, le gouvernement honore ses soldats en drapant le cercueil d’un drapeau. Mais il n’y avait pas de drapeau.

Nous connaissions Pierre depuis que nous avions rejoint le choeur de l’église. Nous étions tous deux chanteurs de basse. Pierre n’avait aucune oreille musicale. Nous l’avions donc placé au centre, là où il pouvait suivre.

Pierre nous avait dit, en parlant de sa profession militaire de toujours : « C’est parfois une sale affaire. »

Les gens se tournent vers le gouvernement pour réduire l’incertitude de leur vie. Ils n’aiment pas nécessairement leur gouvernement. Mais ils préfèrent de loin se faire voler par leurs propres dirigeants, systématiquement et plus ou moins pacifiquement, plutôt que de subir la violence, et le vol à l’arrachée d’envahisseurs étrangers.

Ensuite, les élites font l’éloge de leurs hommes en uniforme, mais les utilisent pour renforcer leur propre pouvoir et accroître leur propre richesse.

Le général Smedley Butler, décoré deux fois de la médaille d’honneur, a vu de ses propres yeux comment cela fonctionne :

« J’ai passé trente-trois ans et quatre mois dans le service militaire actif et, pendant cette période, j’ai passé le plus clair de mon temps à servir de gros bras pour les grandes entreprises, Wall Street et les banquiers. »

C’est la guerre d’Algérie qui a le plus troublé Pierre. En 1956, 400 000 soldats français se trouvaient dans ce pays d’Afrique du Nord. Ces troupes avaient été appelées pour aider à réprimer une rébellion de « terroristes » locaux. Après sa défaite en Indochine, l’armée française a néanmoins été la première à utiliser de nombreuses tactiques qui, plus tard, seront employées par les Etats-Unis au Vietnam – l’hélicoptère, le napalm et les « hameaux stratégiques » – avec des résultats tout aussi lamentables.

« [La guerre d’Algérie] était évidemment ingagnable, nous a-t-il dit. Mais ce n’était pas le pire. Elle détruisait également l’armée française. On attendait de nous que nous fassions des choses qui n’étaient pas correctes. Torturer des prisonniers pour obtenir des informations. Ignorer les pertes civiles. Répliquer aux meurtres par d’autres meurtres.

Une armée peut gagner contre une autre armée. Elle ne peut pas gagner contre des terroristes… ou appelez-les ‘combattants de la liberté’, si vous voulez. Car plus elle réprime, plus les gens soutiennent les terroristes. L’armée commence alors à agir comme une force de police… et non comme une véritable armée. Et généralement, c’est une force de police corrompue et brutale. Elle peut garder le contrôle de la situation… pendant longtemps. Mais pas pour toujours. » 

Qu’il s’agisse du choix de Pierre ou de celui de sa famille, le cercueil était nu.

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