La Chronique Agora

Taxation et souveraineté : le dilemme européen

Une politique fiscale raisonnable permettra toujours aux entrepreneurs de créer plus de richesse, et aux particuliers de profiter pleinement des fruits de leur travail.

Depuis la crise financière de 2008, la concurrence fiscale a été mise à mal, notamment par l’Allemagne et la France.

Le discours politique, surtout depuis que la crise financière a provoqué une crise de la dette souveraine quelques années plus tard, était le suivant : les soi-disant « paradis fiscaux » vidaient les coffres de pays par ailleurs en parfaite santé financière. En tant que citoyen luxembourgeois, j’ai entendu ces arguments à maintes reprises. Ce n’était jamais la faute de la France si l’industrie française et les personnes fortunées, persécutées par l’interminable puits sans fond qu’est le Trésor public à Paris, quittaient le pays ; ce n’était dû qu’au fait que le Luxembourg pratique un modèle fiscal plus compétitif.

Depuis lors, la France et l’Allemagne ont détourné leurs griefs à l’égard des différents Etats membres, et ont concentré leur attention sur Bruxelles, où elles tentent d’uniformiser et d’égaliser le régime fiscal européen, et si nécessaire par la voie réglementaire. Il y a quelques années, Bruno Le Maire a proposé d’instaurer la taxe numérique ; s’il n’a pas réussi à la faire appliquer à l’échelle de l’UE, il l’a fait en France. Si l’on en croit la myriade d’entreprises technologiques françaises qui se sont développées depuis lors, cette politique a été un énorme succès… ah non, oubliez.

Lorsque l’on examine la diversité du régime fiscal européen, un certain nombre d’éléments ressortent. Si l’on prend l’exemple de la taxe numérique mentionnée précédemment, on note qu’elle est actuellement prélevée dans 11 pays européens. L’Autriche, le Danemark, la France, la Hongrie, l’Italie, la Pologne, le Portugal, l’Espagne, la Suisse, la Turquie et le Royaume-Uni ont tous adopté une forme de taxe numérique, allant de 1,2% en France à 7,5% en Hongrie. Des pays comme la Suède, la Finlande ou l’Allemagne n’ont pas adopté de taxe numérique.

Si l’on se concentre sur les taxes qui sont prélevées dans tous les pays européens, les taux de la TVA sont presque tous supérieurs à 20%, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni prélevant 21% sur chaque article acheté. Les pays nordiques tels que la Suède et la Norvège appliquent tous deux un taux de 25%, tandis que le Luxembourg applique la TVA la plus basse, à savoir 17%. La Suisse est un pays à faible taux d’imposition, où la TVA n’est que de 8,1%.

L’impôt sur les sociétés, quant à lui, est plus difficile à mesurer, car s’il existe un taux général, de nombreux pays pratiquent une myriade de déductions et de décisions fiscales qui compliquent l’analyse, mais si l’on s’intéresse au niveau de base, l’Allemagne, l’Italie et la France sont les plus gros contributeurs, avec respectivement un impôt sur les sociétés de 29,9%, 27,8% et 25,8%. L’Irlande et Chypre se distinguent avec des taux d’imposition des sociétés inférieurs à 13%.

Il y a ensuite les impôts sur la fortune, pour lesquels certains gouvernements, en particulier le gouvernement français, ont tenté de fixer des contributions très élevées pour les personnes à haut revenu. Mais quels sont les taux actuels ? Il s’avère que la plupart des pays européens ne prélèvent pas d’impôt sur la fortune. La Suisse, la Norvège et l’Espagne prélèvent un impôt sur le patrimoine net, c’est-à-dire sur le patrimoine net de dettes, tandis que la France, la Belgique, les Pays-Bas et l’Italie prélèvent un impôt sur le patrimoine, qui s’applique sur certains actifs. En France, il s’agit d’un impôt sur la fortune immobilière, tandis que l’Italie taxe les actifs financiers détenus à l’étranger, sans intermédiaire italien, par des contribuables résidents individuels à hauteur de 0,2% et de 0,4% pour les actifs détenus dans certains pays.

Il y a ensuite l’impôt sur le revenu des personnes physiques qui, lui aussi, est très large, sauf si l’on prend des exemples comme celui de l’Estonie, qui pratique un impôt forfaitaire de 20%. Pour une comparaison adéquate, examinons donc les taux d’imposition les plus élevés sur le revenu des personnes. Le Danemark (55,9%), la France (55,4%), l’Autriche (55%), la Belgique (53,5%) et l’Espagne (54%) sont en tête de liste, tandis que l’Ukraine (19,5%), la Hongrie (15%), la Moldavie (12%), la Bulgarie et la Roumanie (10% chacune) sont en queue de peloton.

Cela dit, il est important de noter que les taux d’imposition n’indiquent rien sur le montant des recettes fiscales réellement perçues par un pays ; ils ne nous donnent aucun indice sur la productivité. On peut avoir une économie très déficiente et criblée de corruption, comme la Moldavie, et pratiquer des impôts faibles qui n’ont aucun effet sur le bien-être général du pays. On peut avoir un pays comme la Belgique, où les taux d’imposition élevés font fuir les plus fortunés, privant ainsi le pays de recettes qui auraient pu autrement lui revenir. Une politique fiscale raisonnable permettra toujours aux entrepreneurs de créer plus de richesse, et aux particuliers de profiter pleinement des fruits de leur travail.

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