La Chronique Agora

Petite histoire du tabac… et des monopoles d’Etat

▪ Thanksgiving a été une réussite, cette année, pour votre correspondant. Nous avions prévu de secourir une vieille grange à tabac — grâce aux muscles vigoureux de nos propres fils et de deux de leurs amis. Notre vieil ami Tommy, qui a vécu ces 60 dernières années grâce à l’agriculture et au terrassement, est lui aussi venu jeter un oeil… simplement pour offrir conseils et encouragements.

"Ah, voilà, ils souffrent"… a-t-il dit, observant les jeunes hommes avec leurs pelles et leurs tarières.

Une fois les trous prêts, nous avons amené des pieux de 150kg, traités, et les avons plantés autour du périmètre intérieur. L’idée était simple : il s’agissait de rénover la grange en remplaçant les fondations actuelles par des pieux solides. L’ancienne charpente de chêne avait pourri ; nous y avons fixé les nouveaux pieux.

Ce projet était un défi. D’abord parce que le maître d’oeuvre ne savait pas ce qu’il faisait. Ensuite parce que les ouvriers avait encore moins d’expérience que lui. Enfin parce que nous étions tous perdus dans le jargon polyglotte des métiers de la construction. Nous connaissons à peine la différence entre une solive, un seuil et un montant en anglais. Tenter de communiquer en trois langues compliquait encore la tâche. Tout bien considéré, nous aurions été flatté par quiconque aurait appelé notre équipe de la "main-d’oeuvre non-qualifiée".

Néanmoins, lorsque nous nous sommes enfin installés pour le dîner de Thanksgiving, nous étions confiant. Le plan semblait fonctionner. Les granges à tabac disparaissent peut-être plus vite que les vétérans de la Deuxième guerre mondiale, mais la nôtre n’en fera pas partie.

Dans la grange se trouvaient encore de vieux outils, abandonnés depuis des décennies.

"C’est une vieille perche à tabac en bois de hickory, taillée à la main", avons-nous expliqué aux Français.

"Les plants de tabac sont accrochés à ces perches pour que les feuilles sèchent. Elles sont ensuite récoltées et emballées en ‘mains’. Ces mains sont ensuite placées dans ce… eh bien, je ne sais pas comment ça s’appelle… un panier, je suppose… les mains sont emballées dans ces choses, avant d’être amenées au hangar à tabac d’Upper Marlboro et vendues aux enchères".

"Est-ce toujours légal de faire pousser du tabac ?" demanda l’un d’entre eux.

"Le tabac a toujours été sévèrement réglementé en France", a-t-il continué.

"Au 18ème siècle, il fallait la permission du roi pour le cultiver. Et je crois qu’il faut encore la permission du gouvernement. Mais si on l’avait, on avait un monopole et on pouvait gagner beaucoup d’argent".

▪ Après le tabac… quoi ?
Aux Etats-Unis, le tabac a commencé dans le Maryland au début du 17ème siècle, les colons de Virginie l’apportant avec eux lors de leur installation dans la Baie de Chesapeake. Quelques années plus tard, c’était assez littéralement une culture en or. Il était utilisé comme devise, les billets à ordre et autres contrats étant réglés en livres de tabac plutôt qu’en onces d’or.

L’or n’est pas une devise parfaite. C’est simplement la meilleure devise que nous ayons pu trouver pour l’instant. Le tabac était précieux. Mais l’offre pouvait être augmentée relativement rapidement.

Au début, la consommation de tabac en Angleterre était limitée aux riches ; eux seuls pouvaient se le permettre. Mais à mesure qu’on consacrait de plus en plus de surface agraire au tabac dans le Nouveau monde, les prix chutèrent dans l’Ancien. Le commun des mortels s’empara rapidement du tabac. Au 20ème siècle, il était omniprésent. Les stars de cinéma fumaient sur grand écran. Les réunions, en entreprise, ne se passaient pas sans cendrier. Les soldats mourants demandaient une cigarette — du moins dans les films.

Dans les années 50, les garçons de ferme de la région de Chesapeake conduisaient des Chevrolet ou des Ford flambant neuves. On leur donnait généralement une acre ou deux sur lesquelles ils pouvaient cultiver du tabac pour leur propre compte. A 16 ans, ils avaient un joli bas de laine.

Mais dans les années 70, les autorités… et la concurrence… mirent à mal l’industrie du tabac. La culture populaire se retourna contre le tabagisme ; on l’accusa de causer de graves maladies. On interdit le tabac dans les endroits publics — bars y compris. Les fumeurs devinrent des parias. Les gens à la mode affirmèrent ne pas pouvoir en supporter l’odeur. Les fumeurs durent rester dehors… qu’il pleuve ou qu’il vente.

Si le tabac est out, la marijuana, elle, est hot. Les baby-boomers ont toutes sortes de maux, de douleurs et de complexes que "l’herbe" pourrait soulager. Le capitalisme de copinage cherche des parts de marché. Comme le tabac, la marijuana est en train de devenir un monopole d’Etat, la plante étant cultivée dans des serres spécialement adaptées et approuvées par le gouvernement. De grosses sommes vont être encaissées — mais pas par des garçons de ferme.

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