▪ Nous n’allons pas tenter de vous expliquer les raisons des errements du CAC 40 mercredi entre 3 790 et 3 835. Personne ne s’y risquerait, en fait, tant la séance fut décousue et volatile.
Une volatilité certainement amplifiée par des volumes quasi inexistants (moins de 2,4 milliards d’euros échangés) et une succession d’inversions de positions spéculatives par des opérateurs ayant opté pour un paramétrage compris entre trois et cinq minutes.
Nous restons bien dans ce contexte de partie de poker que nous décrivions hier, avec des joueurs dépourvus de la moindre conviction, misant quelques jetons pour coller à la tendance mais sans éprouver la tentation d' »envoyer du lourd » pour bluffer la table.
Tout le monde semble avoir compris que le premier qui bouge se verra contrer par l’un ou l’autre des opérateurs de mèche avec la Fed : c’est elle qui distribue les cartes et qui « recave » ses obligés. Aucune chance donc de se voir servir une suite ou un carré… et tous les risques au contraire de voir l’adversaire vous contraindre à un quitte ou double potentiellement ruineux.
Le discours dominant des gérants ne varie guère : la consolidation actuelle constitue un bon point d’entrée sur les marchés.
Les 50 points de base (au minimum) de hausse des taux longs ne remettent pas en cause leur sentiment d’une tendance positive sur les actions pour l’ensemble de l’année 2013. Ils continuent de croire que la « Grande rotation » au détriment des produits de taux (bons du Trésor, obligations d’entreprise, emprunts high yield) est en marche.
▪ Les Bisounours sont de retour
C’est tout de même curieux de constater que chaque fois que nous entendons le choeur des Bisounours entonner le grand air du « c’est la dernière chance d’investir pour les retardataires « … les volumes d’échanges trahissent au contraire une abstention complète des prétendus amateurs de chasse aux bonnes affaires.
Bien entendu, lorsque les indices remontent — sous forme de canaux haussiers irréversibles, peu importe l’actualité économique –, nous avons droit à la déferlante des « on vous l’avait bien dit ».
Mais la mécanique est bien plus vicieuse que cela : si de vrais acheteurs, misant du vrai argent, se présentent… ils se font très rapidement inonder de papier — les grosses mains deviennent vendeuses.
Il est facile de constater que les cours ne montent avec du volume que lorsque les vendeurs à découvert se font retourner ; ce sont eux qui alimentent alors la hausse.
Dès qu’ils ont soldé leurs positions — comme cela s’est passé typiquement vendredi dernier –, la hausse perd soudain toute consistance.
Le même scénario de prise à contrepied s’est déroulé sous nos yeux hier matin. Les places européennes étaient en repli de 0,5% en moyenne à une heure de l’ouverture (repli général des places asiatiques, nouveau plongeon de Moscou). Elles entamaient curieusement la séance sur un gain de 0,1%, avant de voir leurs scores bondir vers +0,5% ou +0,6% en l’espace d’une demi-heure.
Si quelqu’un parvient à nous démontrer que ce n’était pas une nouvelle illustration de short squeeze, nous faisons 50 pompes et nous mettons la vidéo en ligne sur Dailymotion.
▪ Et pourtant…
Comme il fallait s’y attendre, le pseudo-rebond des places européennes comme des indices américains (rattaché à aucune statistique ni actualité favorable) a tourné court.
Le CAC 40 (-0,44%) en a terminé sous les 3 800 points, à 3 793,7, après avoir testé un plancher vers 3 790 points (ex-zénith du 28 janvier dernier).
A Wall Street, les gains initiaux se sont évaporés en l’espace d’une demi-heure. Le Nasdaq se retrouvait en repli de 0,75% après tout juste trois heures de cotation — cela malgré le fléchissement du dollar (revenu sous 1,3320/euro) qui aurait pu doper les exportatrices.
A un moment ou un autre, il ne suffit plus de « faire un prix » pour trouver des acheteurs. La preuve : même les ultra-riches (auxquels CNBC consacre de nombreuses émissions après la clôture des marchés américains, contre aucune sur les 50 millions d’utilisateurs de bons alimentaires) finissent par se lasser de leur collection de Ferraris.
C’est au point que si vous proposez de leur vendre votre F40 au prix d’une Dacia d’entrée de gamme, ils ne vous feront aucune offre… De toutes façons, ils en possèdent déjà deux (dont une en version décapotable, l’autre peinte en jaune) et le parking de leur manoir de Bel Air est plein.
Eh oui, la crise n’épargne personne !
▪ Qui est sorti d’affaire ?
Heureusement, nous autres Européens en sommes définitivement sortis, si nous en croyons François Hollande… et ce n’est pas l’incrédulité de William Buiter, l’économiste en chef de Citigroup, qui nous fera douter de la pertinence de l’avis présidentiel.
M. Buiter se gausse de l’optimisme élyséen : c’est probablement un jaloux parce que les Etats-Unis, eux, ne sont pas sortis d’affaire.
La preuve : 48 heures seulement après le rehaussement de la perspective de la note américaine par Standard & Poor’s, la première émission obligataire inscrite sur le calendrier de la Fed (21 milliards de dollars de T-Bonds de maturité 10 ans) se solde par un quasi-fiasco.
La dette américaine n’a trouvé preneur qu’au prix d’un rendement de 2,21%, le plus élevé observé depuis l’automne 2011 (la hausse atteint 27,5% depuis le début de l’année).
L’émission, malgré son rendement attractif, n’a été couverte que 2,5 fois contre 2,9 fois en moyenne lors des huit précédentes opérations… d’où la forte tension du 10 ans (à 2,24%) observée en seconde partie de séance.
Une tension qui s’avérait fatale à Wall Street. Les marchés américains alignent une troisième séance de repli consécutif — du jamais vu depuis le 1er janvier 2013. Le Dow Jones en termine à 14 995 points ; le S&P 500, qui lâche 0,84% à 1 612,5 points, affiche un repli cumulé de 1,85% depuis le début de la semaine.
Mais l’élément le plus caractéristique d’une remise en cause de la tendance haussière, c’est l’accès de nervosité que trahit le VIX : il progresse de 7,5% à 18,35 (le pire score de clôture de 2013).
Si une « Grande rotation » commence à se matérialiser, c’est bien celle de la psychologie des sherpas du marché. Ils commencent à constater l’échec de leur tentative de contraindre les épargnants d’investir dans les actifs à risque. Ils se retrouvent donc dans l’incapacité de liquider massivement les positions qu’ils ont accumulées grâce aux billets de Monopoly imprimés par la Fed… et le papier commence à leur brûler les doigts.
Faute de pouvoir compter sur l’habituel déferlement des foules naïves et avides, ils ne sortiront pas du marché au plus haut comme ils en avaient l’habitude. Leur priorité va consister maintenant à ne pas perdre d’argent dans un coup de poker qui semble mal engagé.
La meilleure solution pourrait consister à prier un complice d’éteindre la lumière et de crier au feu… puis de profiter de la confusion générale pour répandre les cartes du « sabot » sur le tapis vert, ce qui annulerait automatiquement le coup.
Mais cela discréditerait totalement les tenanciers du casino financier, sans compter le risque que tout dégénère en bagarre générale : pas de quoi émouvoir une équipe de faux monnayeurs !
Cela vous paraît un peu gros ? Détrompez-vous : voyez comment le gouvernement grec vient d’éteindre la télé publique mardi soir… en criant « au feu » au sujet du budget englouti par les trois chaînes locales !