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▪ Nous avons vu mercredi que les dépôts overnight à la BCE ont atteint le record de 827 milliards d’euros le 5 mars. Pour qu’ils reviennent à des niveaux plus « normalisés » (même si on imagine mal un retour aux 100 millions d’euros d’avant 2007), il faudrait en tout cas que les banques puissent gérer trois types de problèmes :
1) D’abord, faire baisser leur aversion au risque
Il existe en effet des risques réels de credit crunch dans nombre de pays européens, avec un net ralentissement de la progression des crédits dans des pays tels que la France, l’Italie et l’Espagne.
Cette aversion au risque se traduit par un renchérissement du coût du crédit pour les entreprises et les ménages. On a vu quel rôle pouvait jouer les banques centrales pour faire durablement évoluer le comportement des banques (les LTRO ne sont qu’un calmant, pas le médicament).
2) Les nouvelles contraintes prudentielles et comptables imposées aux banques peuvent contrarier le financement de l’économie
J’ai souvent évoqué dans ces colonnes le fait que la réglementation est systématiquement en retard et ne se renforce que sous la pression des crises. C’est ce que l’on appelle savamment la pro-cyclicité.
Par exemple, le futur environnement réglementaire Bâle III qui va rendre (ou plutôt qui rend déjà) le coût de la liquidité et du capital plus cher intervient dans un contexte macro-économique inadapté : croissance économique inexistante en Europe ; concurrence de plus en plus forte entre émetteurs publics et privés sur les marchés de capitaux ; rééquilibrages à venir des flux de capitaux internationaux avec une disparition progressive des excédents d’épargne des pays émergents.
Ce n’est pas quand la croissance est faible et que le capital est rare et cher qu’il faut durcir les règles prudentielles. Il y a des moyens plus efficaces pour discipliner les banques. C’était quand la croissance était forte et que la liquidité et le capital étaient abondants et peu chers qu’il fallait le faire.
Ces deux nouveaux ratios réglementaires devront donc être gérés avec intelligence :
– le LCR (pour liquidity coverage ratio) est un ratio de court terme qui exige des banques de détenir un stock d’actifs sans risques, facilement négociables, au regard des flux nets décaissés stressés sur un mois. Ce ratio peut être défini comme un stress test sur la liquidité à horizon de 30 jours. Le LCR oblige les banques à constituer une réserve d’actifs liquides. Il faudrait donc être très vigilant sur le périmètre des actifs dits liquides (grandes discussions en ce moment !) afin de ne pas créer des risques de surévaluation et de trop forte concentration d’un même type de titres dans les bilans bancaires. On sait que quand tout le monde fait la même chose en même temps, cela finit souvent très mal (certains appellent cela le mimétisme et les comportements moutonniers). Dit autrement, à la mode des Publications Agora : « quand tout le monde pense la même chose, plus personne ne pense ». Eh bien au niveau des marchés des capitaux, il en va de même ;
– le NSFR (pour net stable funding ratio) est un ratio à long terme qui vise à obliger les banques à financer par des ressources stables une part significative de leurs actifs à long terme dans un contexte de crise. Le risque de ce ratio qui doit être mis en place d’ici à 2019 est de tuer toute activité de transformation des banques, une des sources les plus stables de rentabilité.
En effet, le PNB (produit net bancaire lié à la marge de transformation) risquerait d’être mis à mal : « dans cette activité de ‘l’intermédiation-transformation’, il s’agit de transformer une ressource à court terme en ‘crédits à long terme emploi long’. Par exemple, l’argent de 100 livrets A (dépôts de court terme) va être prêté sur 10 ans à un industriel qui a besoin d’investir (long terme emploi long). L’affaire se complique car le taux du livret est variable et le taux consenti à l’industriel sera fixe. Cette activité générera des risques de taux, de liquidité et de crédit ».
3) On imagine mal que les banques reprennent du risque souverain périphérique après l’épisode grec
Les souvenirs de restructuration, de haircuts et d’impacts sur les comptes de résultat 2011 et 2012 sont loin d’être effacés — eux.
Le PSI (pour private sector involvement) grec peut laisser penser que d’autres types de PSI pourraient être enclenchés un jour ou l’autre pour des émetteurs en crise de solvabilité ou au bord de cette crise. Il n’est aujourd’hui plus tabou d’envisager la restructuration partielle d’autres dettes souveraines sur les cinq ans qui viennent — y compris celles d’Etats importants de la Zone euro.
De gros investisseurs m’interrogeaient l’autre jour très concrètement sur l’intérêt d’investir sur des papiers émis par le FESF. Je répondais alors qu’il s’agissait sans doute de l’investissement le plus absurde d’un point de vue optimisation du couple risque/rendement puisque vous investissiez sur une signature représentative de la qualité de crédit moyenne de l’ensemble des pays de la Zone euro (excepté les trois pays déjà secourus par ce fonds puisque leurs garanties accordées n’ont désormais aucune valeur). Donc vous investissez sur une signature dont le rendement moyen est aujourd’hui encore assez faible au regard du risque très fort de dégradation future de son rating.
Pire, si un jour ce FESF est transformé en banque de plein exercice s’approvisionnant en liquidités auprès de la banque centrale, il aura pour vocation de prêter aux contreparties les moins solides : d’une part, aux Etats les plus fragiles et d’autre part, aux banques insuffisamment capitalisées.
Il est donc évident que la qualité de bilan de ce FESF ne peut que se détériorer fortement. Tout comme le collatéral que les banques apportent à la BCE dans des MRO ou LTRO pour pouvoir continuer à se refinancer : ce sont toutes les obligations pourries, poubelles, mais la BCE a décidé qu’elle prenait désormais « tout ». Par « tout », nous entendons des obligations d’Etats souverains fragilisés ou quasi insolvables ou bien des actifs toxiques…
L’exemple du FESF est doublement intéressant. D’une part, il montre que cette institution aura par définition de plus en plus de difficultés à émettre à de bonnes conditions de coût sur les marchés pour financer les plans de sauvetage des Etats en difficulté. D’autre part, il montre que toute la stratégie d’investissement sur les marchés financiers des banques doit être repensée compte tenu du repricing nécessaire du risque de nombreux émetteurs. Il faudra savoir refuser d’investir sur tel ou tel titre même si d’un point de vue réglementaire et prudentiel, l’on peut y avoir un fort intérêt.
[NDLR : LTRO, faillite des Etats, Zone euro en danger, LTRO… Qu’est-ce que tout ça signifie pour votre argent en général — et votre assurance-vie en particulier ? Mory a la réponse, par ici : âmes sensibles s’abstenir…]