Je vous ai parlé hier du ratio de solvabilité, qui était évalué dans les stress tests. Mais, dans le monde des banques, il y a un autre « hic » : la liquidité.
Qu’est-ce que la liquidité d’une banque ?
C’est tout simple. En fait, une banque utilise de l’épargne empruntée aux clients ou emprunte sur les marchés financiers de l’argent pour financer son activité de crédit.
Plus l’épargne de la clientèle est stable et de maturité longue (dit autrement : plus vous avez d’argent sur vos comptes et plus vous le laissez longtemps), ou plus l’argent emprunté sur les marchés l’est à long terme, alors plus la banque est dans une situation confortable en termes de liquidité. Elle a de quoi voir venir. Elle n’est pas dans l’angoisse d’aller rechercher fréquemment (tous les mois ou trimestres par exemple) de l’argent auprès des clients, auprès d’autres banques ou sur les marchés pour continuer à exercer sereinement son activité de prêts à l’économie.
La liquidité est donc un problème différent de la solvabilité. Un établissement financier peut être considéré comme solvable et suffisamment capitalisé mais faire faillite pour une autre raison : l’illiquidité !
▪ Il faut donc pouvoir stresser sa liquidité
Cet exercice de modélisation est excessivement difficile puisqu’il s’agit de mesurer la confiance que les clients ont en leur banque, la confiance des banques entre elles — en le système bancaire en général et en des établissements bancaires extrêmement différents.
Les exemples de Northern Rock en 2007 et de Dexia en 2011 montrent que la crise actuelle est aussi et surtout une crise de confiance, donc de capacité des banques à collecter de la liquidité auprès des clients et sur les marchés. C’est surtout la liquidité qui pose problème en fait — bien plus que la solvabilité. Rappelons que les ratios de solvabilité de Northern Rock et de Dexia sont tombés car ils ne pouvaient même plus refinancer à court terme leurs actifs (fermeture des marchés et fuite des dépôts clientèle).
Donc bien souvent, la plupart des crises sur les marchés financiers sont liées à des problèmes de liquidité. Plus précisément à l’impossibilité pour certains acteurs d’acheter des actifs financiers et/ou à l’obligation d’autres acteurs de vendre. Les raisons de cet état de choses sont multiples :
– excès d’endettement empêchant d’acheter des actifs financiers ;
– perspectives de rentabilité des actifs financiers trop faibles au regard des coûts de financement des positions (donc absence d’acheteurs et présence de vendeurs) ;
– règles prudentielles conduisant à des ventes forcées (respect de seuils limites, atteinte de stop loss) ;
– contraintes commerciales conduisant à vendre pour faire face aux retraits de clients particuliers ou institutionnels, eux-mêmes soumis à diverses contraintes ;
– contraintes comptables de pilotage du compte de résultat conduisant à vendre des actifs sains sur des plus-values pour financer les moins-values réalisées sur d’autres actifs.
▪ La BCE assure la liquidité… pour l’instant
Dans un monde idéal, lorsque les bilans bancaires seront suffisamment assainis et que la transparence et la simplicité seront revenues… le déficit de confiance du public vis-à-vis des banques et des banques vis-à-vis d’autres banques disparaîtra avec, à la clef, un retour progressif à la normale au niveau du fonctionnement du marché interbancaire. On en est encore loin aujourd’hui. La BCE continue à se substituer au marché interbancaire en injectant des liquidités en quantité illimitée dans le système et en mettant en place des appels d’offres extraordinaires sur des durées anormalement longues pour un institut d’émission.
Je vous explique. Le repo est l’opération par laquelle la banque centrale prête aux banques (les banques apportant en garantie ce que l’on appelle du collatéral : des créances commerciales éligibles ou des titres obligataires éligibles à ces refinancements de la banque centrale). Eh bien, la BCE a annoncé début octobre un repo long terme 12 mois démarrage novembre 2011 et un repo long terme 13 mois démarrage décembre 2011, censés permettre aux banques d’avoir des liquidités suffisantes pour le passage de fin d’année 2011 et le passage de fin d’année 2012).
Juste un chiffre pour illustrer cette anomalie. Depuis mars 2008, la masse de liquidité allouée aux banques européennes chaque mois lors des opérations d’appels d’offres de la BCE se situe en moyenne autour de 565 milliards d’euros. Or la répartition de cette somme est très anormale : 152 milliards le sont lors des opérations normales de refinancement à une semaine… mais 413 milliards le sont lors d’opérations de repos extraordinaires sur des durées de 1 à 12 mois !
Autre élément à prendre en compte : il ne suffit pas de stresser le prix de la liquidité ; il faut pouvoir également la stresser en volume et pouvoir apprécier un certain nombre d’éléments tels que :
– la réserve en titres liquides, sécurisés et très bien notés, de l’établissement et la capacité de ces titres à être facilement négociables y compris dans des situations de marché perturbées ;
– les réserves excédentaires détenues auprès de la banque centrale ;
– l’évaluation de la richesse du collatéral mobilisable (ce que les banques possèdent comme actifs ou prêts dans leurs bilans et qui peut être apporté en garantie pour obtenir des refinancements de la part de la banque centrale) ;
– la qualité et l’importance des créances hypothécaires et des créances aux collectivités territoriales pouvant être adossées à l’émission d’obligations sécurisées (obligations foncières, obligations à l’habitat, covered bonds) ;
– la stabilité et la diversification des ressources clientèle, la maturité moyenne de ces ressources, les clauses contractuelles…
Sur ce sujet, des stress crédibles doivent montrer si oui ou non un établissement peut continuer à prêter et à financer l’économie (particuliers, PME…) même en cas de stabilité de la collecte d’argent ou de légères fuites des dépôts à vue en particulier. C’est-à-dire que si l’argent confié par les clients ne progresse pas — ou si l’on assiste à des retraits — et que malgré tout cela la banque continue à refinancer sans problème son activité de crédits, c’est plutôt bon signe quant à son profil de liquidité.
On sait donc aujourd’hui qu’il y a moins de risques à stresser des événements qui pourraient avoir une dimension systémique que de continuer à publier des stress tests satisfaisants mais peu crédibles quant aux tests réalisés sur la solvabilité et la liquidité des banques.
On nous dira que si l’on stresse des scénarios catastrophes, on risque de rentrer dans une spirale infernale de prophéties auto-réalisatrices. Pas forcément si l’on y associe des réponses fortes au niveau politique, institutionnel et au niveau de la recapitalisation des banques et de l’évolution de leur business model.