** Nous avions naïvement imaginé que la septième séance de baisse des places européennes mardi serait la dernière. Après tout, un rebond de 4% du S&P et un score de +250 points sur le Dow Jones étaient de nature à susciter quelques vocations parmi une population d’investisseurs qui ont carrément oublié, depuis six mois, comment se rédige une fiche portant la mention "achat".
Coïncidence du calendrier, cette journée de mercredi était la première de la période de "stress test" aux Etats-Unis. Ce terme recouvre un sondage en "taille réelle" sur les besoins en fonds propres des 19 plus gros établissements de crédit américains : le Congrès débloque préventivement 400 milliards de dollars pour prévenir toute insuffisance de fonds propres.
Les opérateurs européens n’ont retenu que le mot "stress" et probablement associé le mot "test" à la détection d’une maladie nécessairement incurable. Rien de tel n’est à déplorer pour l’instant ; cependant, la question d’une montée au capital des banques par le biais d’actions préférentielles (conférant un statut de créancier prioritaire à ceux qui les détiennent) qui dilueraient les actionnaires actuels continue de faire débat.
** Nombre d’experts — dont une brochette de prix Nobel d’économie — soutiennent qu’une nationalisation pure serait plus efficace et plus sécurisante qu’une phase d’observation. Cette dernière durerait le temps de savoir si des investisseurs privés, principalement des fonds souverains, seraient prêts à prendre le risque d’un renflouement des banques américaines sachant que la première tentative s’est soldée par un désastre.
Ceux qui se sont fait carboniser en quelques mois sont échaudés : il leur faudrait la certitude de pouvoir récupérer leur mise (y compris la première) pour qu’ils prennent un tel risque… or jamais le gouvernement américain n’a jamais été aussi peu certain de quoi que ce soit, et surtout pas du montant des pertes encourues d’ici 2010/2012.
Les marchés ne se font pas d’illusions : le contribuable sera appelé à descendre en soute pour tenter de colmater les brèches du Titanic avec de la toile cirée et un fer à souder. La réussite l’entreprise dépend la rapidité des prises de décision car tout est désormais une question de minutes. Le mythe de l’insubmersibilité a vécu, les ingénieurs se sont en partie trompés sur l’efficacité des cloisons étanches… qui ne le sont pas tant que cela. Ils ont déjà trop tardé à ordonner de verrouiller les compartiments de la partie centrale du navire.
Dans les circonstances actuelles, il ne s’agit plus de regagner le port le plus proche pour réparer la coque, il s’agit avant tout d’éviter de sombrer… Un précieux temps a été perdu à nier l’importance des voies d’eau, et chacun ignore si le point de non retour n’a pas déjà été atteint.
** Le "pacha", les quartiers-maîtres et l’équipe d’ingénieurs ne savent qu’une seule chose : en cas de naufrage, il n’y aura pas assez de canots de sauvetage pour tout le monde. Cap’tain Bernanke, auditionné ce mercredi par une commission financière du Congrès, se veut rassurant au sujet de l’inflation, laquelle ne devrait pas constituer une menace avant plusieurs années.
Il affirme qu’il n’existe aucun de projet de nationalisation de Citigroup (s’il ne s’agit pas d’un "projet", appelons-le "plan B" ou "opération bouée canard") mais reconnaît que l’Etat pourrait monter de façon significative au capital des banques durant une période suffisamment longue pour que leur situation financière s’améliore.
Il estime également que le prix de maisons devrait revenir à sa "valeur fondamentale". Nous ignorons ce que cela signifie sur un plan pratique mais chacun a compris que la baisse ne serait donc pas terminée… En tout cas, cela n’a pas contribué à rassurer Wall Street, dont la consolidation était prévisible après son envolée de mardi.
** Beaucoup d’opérateurs redoutaient une correction de forte amplitude qui ruinerait les espoirs de voir les indices américains et européens s’éloigner de leurs planchers remontant à mars 2003 ou octobre 2002.
Le Dow Jones n’a pas tardé à reperdre près de 200 points au bout d’une heure de cotation, le S&P dévissant de 2,3%. Cela a précipité la rechute du CAC 40 sous les 2 700 points, avec l’inscription d’un nouveau plancher annuel de 2 662 points ; le gap des 2 668 points du 1er avril 2003 a donc enfin été complètement refermé.
Les places boursières ont dévissé de 2% en quelques dizaines de minutes en découvrant un nouvel effondrement du marché secondaire de l’immobilier aux Etats-Unis. Il se traduit par un recul de 5,3% des reventes de logements anciens, avec un total de transactions qui est tout simplement le plus bas observé depuis 12 ans (4,49 millions en rythme annuel contre plus de 6,5 millions il y a un an).
Le sursaut des indices américains en seconde partie de séance (le Nasdaq ou le S&P gagnaient jusqu’à 0,8% à une demi-heure de la clôture) n’a malheureusement pas tenu la distance. Wall Street a complètement "laissé filer le score" au cours du dernier quart d’heure, les indices américains rechutant de 1,1% et le Dow Jones de 150 points en ligne droite.
** La journée de jeudi s’annonce plutôt mal pour la Bourse de Paris, qui pourrait aligner une neuvième séance de baisse : ce serait une grande première historique. Le CAC 40 (-0,4%) est parvenu à limiter la casse ce mercredi mais ne parvenait pas à se maintenir au-dessus des 2 700 points, alignant bel et bien une huitième séance de repli consécutif.
Avec une perte annuelle de 16%, Paris donne le sentiment d’être une nouvelle fois victime d’une vague de ventes forcées émanant de fonds qui liquident à tout prix ce qui peut encore l’être. Sans cela, le plongeon de GDF-Suez ou d’EDF depuis 15 jours s’explique difficilement en l’absence d’augmentation de capital, de dépréciations massives d’actifs, de risque de chute du chiffre d’affaires comparable au secteur automobile.
Même constat sur les autres places européennes : l’Eurostoxx 50 reculait de 0,6% et le Dax de 1,4%. Ces deux indices affichent désormais une perte record de 20% en huit semaines sur l’année 2009.
En Allemagne, la contraction de 2,1% du produit intérieur brut allemand (PIB) au quatrième trimestre (par rapport au troisième) indique qu’une dépression économique se fait menaçante outre-Rhin. La BCE devrait en tenir compte début mars et réduire comme prévu le taux directeur de 50 points de base. Pourtant, J.-C. Trichet n’y consacre que très peu de commentaires tandis qu’il semble intarissable sur la question si cruciale de l’intolérable dérive des déficits budgétaires depuis le début de la crise.
** Même si le sujet est totalement anecdotique (il ne figure jamais dans les compte rendus de la BCE et J.-C. Trichet ne s’en est jamais inquiété de façon explicite), le chômage connaît une brusque poussée haussière en France au mois de janvier : +4,3%. Le nombre de chômeurs nouvellement inscrits (90 200) est près de deux fois supérieur à celui de décembre 2008.
Sur un an, le chômage explose de 15,4% pour un total de 2,2 millions. Cela ranime de bien mauvais souvenirs, lesquels remontent à la triste année 1993… celle de la faillite du Crédit Lyonnais dont J.-C. Trichet était — en sa qualité de directeur du Trésor — le représentant de l’Etat et le principal actionnaire. Il avait approuvé, sinon supervisé, le maquillage des comptes de l’année 92 afin de masquer l’équivalent de sept milliards d’euros de pertes… mais c’était peut-être pour sauver des emplois : on ne l’y reprendrait plus !
Philippe Béchade,
Paris