La Chronique Agora

Stress test en boîte d'allumettes

** Nous avons pris beaucoup de plaisir ce week-end à écouter les économistes discourir doctement sur le processus du stress test. Ils en connaissent la vocation mais ils en ignorent l’essentiel des détails… et s’avèrent incapable de formuler le moindre avis sur la fiabilité de la méthodologie.

Autant parier sur l’issue d’un tournoi de tennis entre 16 joueurs qui ne se sont pas affrontés depuis des mois devant le grand public en se fiant à la longueur de leur short ou à la taille de la visière de leur casquette.

Une seule certitude, le terrain est de dimension réglementaire et les lots de balles neuves sont bien de couleur jaune. Mais si l’arbitre des rencontres — dénommé Tim Geithner — jouit d’une bonne réputation, il est difficile de déterminer à l’avance si la météo permettra que les matchs se déroulent dans de bonnes conditions.

L’appellation stress test semble induire que les nerfs des participants ont été soumis à rude épreuve, mais nous doutons que cette épreuve ait empêché grand monde de dormir.

En effet, sans aller jusqu’à prétendre que tout cela compte pour du beurre, l’évaluation de la capacité de résistance des banques à une aggravation virtuelle de la crise économique nous semble un exercice bien artificiel et sans véritable force probante.

Rien ne peut remplacer le réel… comme l’ont démontré toutes les simulations de risque de l’avant-crise. Elles se sont d’ailleurs révélées complètement inopérantes lorsque la confiance s’est brusquement volatilisée avec l’effondrement des ratios de solvabilité.

** Croyez-vous qu’un TARP de 750 milliards de dollars — ou tout autre corne d’abondance débitant à flot continu des liasses de billets verts fraîchement imprimés — soit en mesure de rétablir la fluidité des échanges interbancaires ?

Les six derniers trimestres écoulés ont démontré que non, et l’indispensable stabilisation du marché immobilier aux Etats-Unis et en Europe est encore loin d’être amorcée.

Les ventes de logements neufs ont rechuté de 0,6% en mars après un mois de février où s’était matérialisé un "effet ketchup". Ce dernier faisait suite à une période hivernale où les transactions avaient été pratiquement gelées par les intempéries et un nombre record de ventes aux enchères de biens de seconde main mais proches de l’état neuf.

** La meilleure comparaison que nous puissions formuler concernant le stress test, ce serait une partie de poker avec des allumettes en guise de jetons de 1 000 $: Tim Geithner a fait jouer une partie avec la totalité des mises dont disposait chacun des joueurs au moment de distribuer les premières cartes, puis une deuxième en les réduisant de moitié — ce qui complique la tâche de ceux qui sont un peu juste.

Mais croyez-vous que cela ait dissuadé quiconque d’envoyer "le tapis" puisqu’il ne s’agissait que d’allumettes et non de vraies piles de jetons échangeables en espèces sonnantes et trébuchantes à la fin de la partie ?

18 grandes banques sur 19 auraient triomphé de l’épreuve — la plupart d’entre elles ont déjà touché beaucoup d’argent public. Qu’en sera-t-il toutefois des milliers d’autres qui ne représentent individuellement aucun risque systémique — et n’ont eu le droit a aucun subside… mais qui représentent collectivement plusieurs centaines de milliards de dollars de sinistres auxquels le fond de solidarité bancaire est incapable de faire face ?

Les vrais problèmes de fond ne sont donc pas résolus — mais les marchés traversent une de ces phases de reprise technique où l’euphorie ambiante triomphe de toutes les épées de Damoclès, même après avoir reçu une profonde entaille de -4% comme lundi dernier.

** Le CAC 40 a bien réagi dès le mardi 21 avril sur le palier des 2 900 points et n’aura mis que trois séances pour retrouver le seuil — et le zénith mensuel — des 3 100 points. Même si le gain hebdomadaire est symbolique (+0,35%), Paris est parvenu à aligner une septième semaine de hausse d’affilée.

Il faut remonter à l’automne 2005 pour retrouver trace d’un épisode haussier aussi durable et c’est la deuxième semaine consécutive qui s’est achevée au plus haut. Tout se passe comme si l’optimisme culminait désormais à la veille de chaque week-end, contrairement au schéma observé trois mois auparavant et jusqu’à début mars.

Il s’agit même d’un record historique depuis les deux mois de hausse ininterrompue (huit semaines) de fin octobre à la mi-décembre 2005 car le total des gains dépasse les 24% d’une seule traite (contre +10% à l’automne 2005).

A 3 102 points en clôture vendredi, les dernières traces du trou d’air du 20 avril ont été intégralement effacés et les sommets du mois d’avril (atteints le 17 avril) ont été retracés in extremis.

** A Wall Street, les derniers chiffres de la semaine ont reçu un bon accueil ; le Dow a repris près de 130 points (à 8 076 points) et le Nasdaq plus de 2,5%. Si les ventes de logements neufs aux Etats-Unis ont diminué (comme indiqué plus haut) en mars — soit un rythme annualisé de 356 000 unités commercialisées –, le département du Commerce revoit en hausse de 6% les ventes du mois de février (à 358 000).

Les commandes de biens durables ont reculé de 0,8% en mars et de 0,6% hors défense. Cependant, les investisseurs restent favorablement impressionnés par les derniers trimestriels publiés. American Express, qui annonçait des pertes moins pires qu’attendues, a bondi de 20% vendredi et Microsoft s’est envolé de 10,5% malgré des ventes en recul. Le numéro 1 des logiciels a annoncé un plan de réduction des coûts, comprenez des licenciements.

Les économistes se réjouissent presque à l’avance d’une contraction de 5% du PIB américain sur les trois premiers mois de l’année 2009, après les -6,3% du quatrième trimestre 2008. Ce sera toujours mieux que la Russie qui revoit ses estimations de -2,5% à -6% !

** En France, les nouvelles provenant du secteur de la consommation sont plutôt rassurantes avec un rebond de 1,1% des dépenses des ménages au mois de mars — et après -1,8% au mois de février. Le secteur du tourisme connaît cependant un ralentissement marqué avec une chute de 19,8% de la fréquentation en février (après -5,7% en janvier) — le taux d’occupation des hôtels s’effondre à 51,5%. Le haut de gamme — les quatre étoiles et plus — ont même subi un repli de 10 points le mois dernier.

Le tourisme et la restauration figurent quantitativement parmi les principaux secteurs créateurs d’emplois en France ; lorsque la récession pointe son nez, le taux de chômage explose — ce qu’il a fait ces trois derniers mois. Pour mars, le gouvernement dit s’attendre à de mauvais chiffres… mais pas pires qu’en février. Avec l’accumulation des "pas pires", la barre des quatre millions (officiels) pourrait cependant être atteinte d’ici le 31 décembre prochain.

Le gouvernement espagnol espère de son côté que la barre des cinq millions ne sera pas franchie dans l’intervalle, et nous parions que l’Angleterre, malgré ses statistiques truquées — et ses deux millions d’handicapés imaginaires –, sera la première à la dépasser.

Philippe Béchade,
Paris

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