▪ Noyés dans les commentaires des uns et des autres sur les actualités européenne et française récentes, plusieurs faits importants sont passés inaperçus, ou presque, sur les écrans cathodiques et numériques hexagonaux. Ces événements sont déterminants pour celles et ceux qui s’intéressent aux métaux précieux.
Ces événements viennent de l’est et leur dénominateur commun est un personnage politique très décrié à l’ouest mais qui est probablement un des plus fins stratèges, voire visionnaires, en charge des destinés d’un Etat à ce jour. Vladimir Poutine, qu’il est de bon ton de vouer aux gémonies, non seulement est en passe de sortir la Russie du marasme économique mais est probablement en train d’écrire les premières pages de l’histoire monétaire future.
▪ Stratégie d’encerclement
La coutume médiatique veut que les méchants soient présentés en rouge et que les gentils paraissent drapés dans la bannière étoilée. Pour certains, la proximité des célébrations du 70ème anniversaire du Débarquement va probablement faire paraître cette réflexion incongrue.
Depuis l’effondrement salutaire du Rideau de fer, la stratégie américaine a consisté essentiellement à encercler la Russie et à chercher à l’isoler de ses voisins européens |
Sans renier la dette énorme que les Européens doivent au peuple américain, les faits parlant d’eux-mêmes, force est néanmoins de constater que depuis l’effondrement salutaire du Rideau de fer, la stratégie américaine a consisté essentiellement à encercler la Russie et à chercher à l’isoler de ses voisins européens pour empêcher un bloc, de l’Atlantique à l’Oural, de se former. Bien évidemment, une habile utilisation des médias et la paresse intellectuelle de millions de lecteurs et d’auditeurs ont permis d’en faire porter systématiquement la responsabilité à l’Ours.
▪ Roumanie, Bulgarie…
Très concrètement cette stratégie d’encerclement s’est traduite, par exemple, par la mise en place de bases américaines dans les pays quasi-limitrophes de la Russie. Ces pays (Roumanie et Bulgarie hébergent ainsi la Joint Task Force East), poussés avec succès par le lobbying américain dans les bras de l’Union européenne (ce qui n’est pas, pour le moment, le cas de la Turquie malgré les efforts considérables déployés par les Etats-Unis), accueillent aujourd’hui tous des bases américaines.
LA LISTE NOIRE DE L’INVESTISSEMENT |
▪ Kosovo…
Le Kosovo, province serbe arrachée à la Serbie — allié historique de Moscou — après des manipulations médiatiques hors du commun suivies d’une opération militaire non approuvée par les Nations unies, accueille lui une des plus grandes bases (Ferizaj) de la région, construite dès la fin de la Guerre de sécession en 1999.
L’accord d’autonomie attribuée au Kosovo par la Serbie en 1999 s’est transformé comme par magie en indépendance en 2008 assurant ainsi, après des négociations ad hoc entre Américains et Kosovars, la pérennité de la présence des Etats-Unis sur cette terre ex-serbe et ouvrant ainsi la boîte de Pandore aux aspirations des séparatistes de tout bord qui pullulent en Eurasie.
Agitez un chiffon rouge devant un taureau et qui plus est, dans son pré carré, n’est pas la meilleure façon de l’amadouer |
▪ Géorgie…
Au même moment le président géorgien, qui lui-même se débattait avec deux provinces ayant fait sécession, motivé par un fort soutien de Washington, engageait des négociations pour entrer dans le giron de l’OTAN. Agitez un chiffon rouge devant un taureau et qui plus est, dans son pré carré, même s’il s’agit ici d’un ours, n’est pas la meilleure façon de l’amadouer. La suite vous la connaissez.
▪ Pologne…
La Pologne quant à elle a été le siège d’une bataille diplomatique entre Américains et Russes après l’annonce de l’installation d’une barrière anti-missile par les Etats-Unis, soi-disant destinée à prémunir l’Europe d’hypothétiques agressions balistiques iraniennes. Ce projet, abandonné en 2009 par le gouvernement américain, devait resurgir en 2013 sous une forme plus "light" avec la mise en place, dans un premier temps et de façon provisoire de missiles Patriot en 2011, avant l’installation définitive à l’horizon 2018 du système SM3-IIA en Pologne et en Roumanie.
▪ Puis maintenant c’est au tour de l’Ukraine.
Dans un entretien rapporté par le magazine Bild, l’ex-chancelier allemand Helmut Schmidt résumait ainsi la situation :
"… la politique occidentale repose sur une grande erreur : l’existence d’un peuple ukrainien, d’une identité nationale. En vérité, on a affaire à une Crimée, à une Ukraine orientale et à une Ukraine occidentale. La Crimée, jadis pays des Tatars, fut ajoutée à l’Ukraine dans les années 50 grâce à un ‘cadeau’ fait par le chef de l’Etat soviétique Khrouchtchev. L’Ukraine occidentale se compose en grande partie d’anciens territoires polonais, tous catholiques. Alors que l’Ukraine orientale, majoritairement russe orthodoxe, fait partie de la Russie kiévienne, l’ancien coeur de la Russie. L’Occident semble ne pas vouloir prendre ces éléments en compte."
Aujourd’hui nous savons de façon quasi certaine que les Etats-Unis ont favorisé, voire fomenté, aidés par l’Union européenne, un coup d’Etat pour renverser le président ukrainien en place. Même si ce dernier est loin d’être un saint, celui-ci tenait son siège des bulletins déposés dans les urnes par le peuple ukrainien. Il est vrai que Ianoukovitch avait commis un crime impardonnable en refusant d’entériner le traité d’association avec l’Union européenne de juin 2013, ce que la constitution ukrainienne lui permettait légalement.
Helmut Schmidt n’est pas tendre avec les comploteurs européens :
"… Bruxelles s’impose également trop sur la scène politique mondiale, bien que la plupart des commissaires n’y comprennent pas grand-chose. L’exemple le plus récent est la tentative de la Commission de l’UE d’annexer l’Ukraine. Ainsi que celle d’attirer à elle la Géorgie. Faut-il rappeler que la Géorgie ne se trouve pas en Europe. C’est de la mégalomanie, nous n’avons rien à faire là-bas !"
Toutes ces manoeuvres américaines font partie, et depuis longtemps, d’une stratégie, reconnue et publique, de sécurisation des ressources énergétiques |
▪ Stratégie de sécurisation des ressources énergétiques
Toutes ces manoeuvres américaines font partie, et depuis longtemps, d’une stratégie, reconnue et publique, de sécurisation des ressources énergétiques. De la même façon que l’Afghanistan était (depuis bien avant septembre 2001 — lire les minutes de cette réunion de février 1998 du comité pour les relations internationales du Congrès américain, vous y retrouverez la Géorgie, l’Afghanistan, l’Iran, etc.) sur le trajet du projet américain d’oléoduc entre la Caspienne et l’océan Indien, l’Ukraine est (ou "était", désormais ?) sur le trajet d’un projet du même ordre entre le pétrole de la Caspienne et l’Europe.
Après l’impossibilité de sortir le pétrole par l’Iran (reconnue dès 1998), puis l’échec à pacifier l’Afghanistan pour y construire l’oléoduc qui devait déboucher dans l’océan Indien, l’Ukraine reste, ou restait, le meilleur atout pour doubler et suppléer aux insuffisances de l’oléoduc Baku-Ceyhan (débit insuffisant et traverse la Géorgie).
La géographie commande la stratégie — ou, comme l’écrivait Napoléon Bonaparte, "la politique des Etats est dans leur géographie".
Le pétrole de la Caspienne est coincé entre la Russie au nord et le bloc Iran-Afghanistan au sud. Prenez une carte et tirez un trait depuis le Turkménistan et le Kazakhstan jusqu’en Ukraine : vous traverserez l’Azerbaïdjan, largement acquis aux thèses américaines, la Géorgie objet de manoeuvres de captation, puis la mer Noire. Puis juste derrière l’Ukraine, s’ouvre l’Europe ! L’Ukraine c’est aussi, et surtout, un incroyable réseau de transport de gaz et de pétrole immédiatement disponible et une importante capacité de stockage…
[NDLR : Cet article est extrait de L’Investisseur Or & Matières. Pour le découvrir en intégralité — et tout savoir sur la stratégie russe, les enjeux de la région et les conséquences que cela ne manquera pas d’avoir sur vos investissements, cliquez ici.]