▪ Souvenirs, souvenirs… C’était il y a un an jour pour jour. Le CAC 40 venait d’inscrire son plus bas depuis la mi-mars 2003, à 2 456 points en milieu de séance — avant d’en terminer juste au-dessus des 2 500 points.
Voici ce que nous écrivions le lundi 9 mars 2009, sans imaginer que le marché parisien s’apprêtait à enregistrer le plus spectaculaire rebond de son histoire :
« Le CAC 40, qui cédait 1,5% à la veille du week-end, effectue le retracement des niveaux planchers de la période du 11 au 13 mars 2003 et de la zone des 2 554 points. Le score hebdomadaire du SBF 120 (plus représentatif de la tendance) s’avérait négatif de 6,5% ».
« L’essentiel de cette chute s’expliquait par un nouvel effondrement collectif des valeurs financières. Aux Etats-Unis, ce sont pas moins de 651 000 emplois qui ont été détruits en février après 655 000 (révisé de 598 000) en janvier et après un mois de décembre catastrophique (-681 000 au lieu de -577 000). Le taux de chômage repasse de 7,6% à 8,1% ».
« La barre des 10% de sans-emploi devrait être franchie avant l’été aux Etats-Unis. Le taux de chômage réel est quant à lui de 15% ; il existe en moyenne quatre demandes pour un poste à pourvoir — et encore, ce n’est que par le truchement d’une pyramide des âges plus favorable aux entrants sur le marché du travail ».
« Paris pulvérise au passage tous ses records de séquence de repli avec 16 séances de baisses sur une série de 19 et seulement 10 journées de hausse sur les 44 dernières, soit un ratio inférieur à 4 contre 1 ».
« Le cumul des pertes avait atteint 21% entre le 1er janvier et le 17 mars 2008 — c’était sans précédent depuis 2003. Le score 2009 dépasse désormais les -21,5% compte tenu d’un nouveau plancher annuel inscrit à 2 521 points vendredi ».
« Ne cherchez pas, il n’y a aucun précédent depuis 70 ans — et comme un bulldozer fou qui tombe en panne, ce ne sera certainement pas à proximité d’un point de ravitaillement indiqué sur la carte (…), en d’autres termes, ça peut rebondir n’importe quand ».
▪ Un an plus tard, nous voyons le CAC 40 flirter avec les 4 000 points (à 2% près hier matin). Il a repris 60%, le S&P 70% et le Nasdaq — au plus haut de l’année 2010 à 2 333 points — a quant à lui regagné très exactement 80% depuis un plancher de 1 265 points.
Très franchement, lorsque nous dressons le portrait des économies occidentales 12 mois après qu’elles ont entamé leur convalescence, nous ne constatons rien de comparable avec le redressement amorcé en mars 2003. Ce dernier se caractérisait par un rebond de l’immobilier, de la consommation, de l’investissement et de l’emploi… et une envolée, jugée phénoménale à l’époque, de 50% pour Wall Street.
L’économie américaine navigue encore largement sous la ligne de flottaison dans tous les compartiments clés un an après la culmination de la crise. La hausse de 5,9% du PIB américain n’est que le fruit de la fiction statistique et de l’injection massive et sans réelle cohérence de centaines de milliards de dollars dans le système bancaire.
La mauvaise dette du privé (banques et assureurs) a été transférée vers le secteur public — c’est-à-dire le contribuable. Le mot d’ordre demeure « pas de crédit » ; les ventes de logements neufs ont plongé de 11,2% en janvier, les reventes de logements anciens de 7,2%, et les stocks d’invendus sont remontés à plus de neuf mois début 2010.
Mais il y a pire : la moitié des ménages américains ayant emprunté en 2006 et 2007 perdent de l’argent sur le bien qu’ils ont acquis à l’époque. 25% d’entre entre eux sont en difficulté… pour ne pas dire dans l’incapacité de faire face à leurs remboursements après le rehaussement du montant des échéances prévu dans leurs plans de prêts à mensualités révisables.
Ils étaient 13% à avoir fait défaut fin 2008, 15% en mars 2009. Et ils seront probablement 30% à se retrouver sous l’eau d’ici la fin du premier semestre 2010. C’est à ce moment-là que se matérialisera une très forte accélération des réajustements à la hausse des mensualités sur les prêts « Alt-A » et « ARM » va se matérialiser au deuxième trimestre 2010. Et ce processus ira de plus en plus vite tout au long de l’été prochain pour culminer — comme en 2008 — au moment de la rentrée.
▪ Dans le même temps, les indices de confiance retombent vers leurs niveaux d’avril 2009 dans la région du Michigan (littéralement sinistrée avec un taux de chômage officiel de 15% et plus de 20% des logements en vente mais qui ne trouvent pas preneur).
Le rythme des mises en faillite de banques ne ralentit pas depuis le début de l’année. Elles sont déjà plus de 20 à avoir été liquidées par la FDIC. Cette dernière réclame une hausse des cotisations auprès de celles qui sont encore valides, prévoyant une ardoise de 400 milliards de dollars cette année dans le secteur des prêts immobiliers. Cela nous semble très optimiste car nous parions sur un montant deux fois plus important en incluant les surfaces commerciales.
En ce qui concerne la remontée des embauches dont les marchés se sont si bruyamment réjouis vendredi dernier, elles sont pour une large part dues au recrutement de personnel temporaire pour le prochain programme de recensement national. Nous espérons que ces nouveaux fonctionnaires seront dotés de bonnes chaussures de marche… car plus d’un million d’Américains vivent désormais dans les bois et ne figurent plus sur aucun registre officiel (emploi, impôts, permis de conduire, assurance maladie, carte d’électeur).
Ils seraient plus de trois millions à être sans domicile fixe (1% de la population américaine) et 15 millions (soit 5% des citoyens des Etats-Unis) en situation d’extrême précarité, avec des niveaux de ressources qui les situent bien en deçà du seuil de pauvreté. Cette proportion a plus que doublé en 18 mois ; les personnes concernées ne survivent que grâce à la charité publique (congrégations religieuses, fondations, oeuvres de bienfaisance).
Ce sont les nouveaux « non-consommateurs ». C’est de très loin la catégorie qui progresse le plus rapidement : du jamais vu depuis les années 30. C’est aussi une réelle nouveauté par rapport à la précédente période de récession s’étendant de début 2001 à mi-2003.
Ceci se traduit très concrètement par un recul annuel de 2% du chiffre d’affaires de Wal-Mart (pourtant le numéro un mondial du hard discount) sur le territoire américain en 2009.
▪ En dépit de tout ce qui précède, le Nasdaq pulvérisait lundi soir un nouveau record annuel à 2 335 points — soit un score supérieur de 80% à celui du plancher du 9 mars 2009.
Mais où se situe donc l’embellie économique justifiant cet anti-krach haussier ? En Chine… où le volume des crédits accordés par les banques vient de chuter de près d’un tiers en six semaines ? En Inde… où la bulle immobilière est en train d’exploser tandis que les infrastructures ferroviaires et routières restent gravement déficientes ?
Les ventes de voitures particulières, achetées à crédit dans 90% des cas, ont fusé de 20% en février, mais il n’y avait déjà plus de place pour circuler autour de Bombay, Madras ou Bangalore… Et que dire de Calcutta qui présente toujours, pour les automobilistes et les touristes, un visage comparable à celui qui prévalait peu après l’indépendance !
Peu importe. Wall Street n’a que faire de ses réalités qui dérangent : le S&P 500 s’apprête à retracer les 1 150 points, et le Nasdaq est attendu vers 2 500 avant fin mars.
▪ Les relais à la hausse ont cependant fait défaut de ce côté-ci de l’Atlantique lundi. Les places européennes n’ont pu aligner une sixième séance de gain consécutif sur une série de sept.
A la mi-journée, le S&P 500 conservait encore ses chances de matérialiser un « sept sur sept » qui tiendrait davantage de la réplication mécanique des achats techniques (qui ne sont jamais très éloignés de la manipulation indicielle) que de la conviction haussière.
A Paris, la règle de la hausse du lundi a pourtant été respectée lors des premiers échanges… et jusqu’à 20 minutes de la clôture.
Le CAC 40 affichait une progression de 0,4% dès l’ouverture, établissant un plus haut vers 3 924 points, son meilleur niveau depuis la clôture du 20 janvier (3 928 points). Cependant, ce scénario traduit bien plus la désertion des vendeurs — qui obéissent au principe « on ne vend pas un rally haussier » — que la détermination des acheteurs. En effet, il ne s’est échangé que 2,45 milliards d’euros hier, un volume très faible.
Mais le plus important était de donner le sentiment que le rally amorcé le 9 mars 2009 est irréversible. Aussi irréversible que la faillite d’une vingtaine d’Etats américains, habilement camouflée par les médias derrière les déboires de la Grèce… et dont Wall Street s’efforce depuis début janvier de tirer le meilleur parti, faute de véritable reprise aux Etats-Unis.