La Chronique Agora

Les sous-marins de la discorde

Tensions diplomatique entre la France et ses « partenaires » – Australie, Etats-Unis, Grande-Bretagne – autour des sous-marins de Naval Group. Cela a de profondes implications au niveau géopolitique, notamment concernant la Chine…

La plus grosse OPA du moment, c’est celle de Joe Biden – et de son complice Boris Johnson – sur le contrat de fourniture de sous-marins à l’Australie d’un montant de 60 Mds€ (répartis sur plusieurs décennies), alors que la France pensait avoir définitivement verrouillé l’affaire en signant une commande ferme avec Canberra il y a deux ans.

L’affaire est proprement rocambolesque, puisque l’on comprend que les Etats-Unis négociaient secrètement une nouvelle offre concernant des sous-marins à propulsion nucléaire, alors que l’Australie s’était engagée à n’utiliser qu’une propulsion conventionnelle, ce qui l’avait conduite à privilégier les submersibles conçus par Naval Group.

Le choix n’était pas seulement technique : en achetant français, l’Australie assurait la préservation de l’équilibre entre l’allié naturel britannique (la reine d’Angleterre est toujours la souveraine légitime de l’Australie) et la puissance dominant le Pacifique – les Etats-Unis – d’un côté, puis la Chine, le principal client et partenaire commercial de l’île-continent, de l’autre.

Un nouveau partenariat

La stratégie aurait donc changé. L’Australie tourne le dos à la Chine et se jette dans les bras des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

Les trois forment un nouveau partenariat géostratégique baptisé AUKUS (A pour Australia, UK pour United Kingdom et US pour United States) et qui viserait à renforcer la maîtrise du Pacifique par une alliance anglo-saxonne. Alliance à laquelle le Japon pourrait à son tour être associé, afin de contrebalancer la puissance de la marine chinoise – et l’influence de Pékin – dans la zone maritime indo-pacifique.

La France se retrouverait du coup marginalisée, avec comme seul point d’appui la Nouvelle-Calédonie, puis le lointain archipel polynésien et les Marquises.

Si la Nouvelle-Calédonie votait pour son indépendance en décembre (troisième référendum), l’Elysée aurait pratiquement tout perdu en deux ans, le contrat australien et son influence sur la zone Pacifique Sud et la mer de Corail.

En effet, les eaux territoriales s’étendent environ 500 km au-delà des côtés dans toutes les directions, ce qui en fait une zone maritime immense. Et la France ne serait même plus prioritaire comme destinataire du nickel ou du cobalt calédonien, sur lequel la Chine s’empresserait de faire main basse.

Impuissance diplomatique

Pour en revenir au coup de force de Joe Biden – dont l’unilatéralisme et la brutalité sont comparées à celles de Donald Trump –, toute la presse française mais également internationale parle d’un coup de poignard dans le dos, d’une décision sidérante, d’un coup de Trafalgar… dont Naval Group va mettre des années à se remettre.

L’expression « coup de Trafalgar » est peut-être la plus appropriée : Boris Johnson s’est empressé de se réjouir bruyamment de l’éviction de la France, car le Royaume-Uni est directement associé à la construction des futurs submersibles australiens, ce qui va donner du travail à des milliers de salariés britanniques (chantiers naval et sous-traitants).

Sur le plan géopolitique, la France se fait évincer sans ménagement par les puissances anglo-saxonnes et vient de faire étalage de son impuissance diplomatique.

Du point de vue chinois, la triple-alliance baptisée AUKUS constitue une provocation et une nouvelle preuve de l’attitude belliqueuse ou belliciste des Etats-Unis. Et que dire de l’Australie, qui rompt avec sa stratégie de relative neutralité vis-à-vis de Pékin, impératifs commerciaux obligent ?

Que ressortira-t-il de cette poursuite de la stratégie de la tension entre l’occident anglo-saxon et l’empire du Milieu ?

La réponse qui vient tout de suite à l’esprit est : « rien de bon ».

Comme il n’est rien ressorti de bon de l’animosité d’Emmanuel Macron envers le Royaume-Uni lorsqu’il s’est agi de négocier les conditions du Brexit avec Theresa May… Et les rapports se sont même largement envenimés avec l’arrivée au pouvoir de Boris Johnson.

La pharma aussi…

Il y a 10 jours de cela, la plupart des observateurs ont vu la main de Boris Johnson dans la rupture du contrat avec le laboratoire Valneva (l’hypothèse d’un manque d’efficacité du vaccin ne tient pas la route, les résultats des essais de phase III ne sont pas encore connus).

Et comme on dit, jamais deux sans trois : en avril dernier, Novacyt – fabricant de tests antigéniques – s’était fait « planter » sans raison valable par la DHSC (ministère de la Santé et des Affaires sociales britannique). Un important stock de tests de 28,9 M£ lui était resté sur les bras, ce à quoi il faut ajouter le coût de fabrication (6,9 M£ supplémentaires), soit une facture de près de 35 M£ au total !

En résumé, nous voyons s’exacerber des tensions sino-américaines, sino-australiennes, australo-françaises et clairement franco-britanniques : cela augure mal des relations commerciales entre ces différents pays.

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