La Chronique Agora

La soudaine flambée de l’or trahit l’anticipation d’un QE3

Ah, quel merveilleux symbole de l’inventivité et de la prospérité à l’américaine que la réussite d’Apple… mais cette impression est largement factice et ne résiste pas à l’analyse.

A part un effet image positif, les Etats-Unis ne tirent guère avantage des 13,5 milliards de dollars de profit et des 46,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires engrangés d’octobre à décembre — la période la plus faste de l’année avec Thanksgiving et Noël.

▪ Apple : une jolie vitrine qui ne rapporte rien à l’économie américaine
Si les produits stars de la firme fondée par Steve Jobs sont conçus en Californie, les tablettes sont fabriquées en Chine — ce qui permet d’afficher des marges supérieures à celles de l’industrie du luxe. Quant aux profits, ils sont ventilés dans divers paradis fiscaux.

Apple est aujourd’hui avec Wal-Mart le premier vecteur de déficit commercial aux Etats-Unis. Le Fisc américain ne touche au bout du compte que des pièces jaunes en regard de la formidable manne bénéficiaire accumulée au fil des ans.

Comme Apple ne verse pas d’argent à ses actionnaires, il n’y a pas moyen de renflouer les caisses de l’Etat avec les 15% qui sont prélevés sur les dividendes.

Ces 15% d’imposition sont devenus un enjeu électoral puisque le favori des sondages dans le camp républicain n’a payé que 14% d’impôt sur les 23 millions de dollars engrangés l’an passé. Il s’agit là d’un taux largement inférieur à celui qui frappe les revenus des employés de la classe moyenne.

Michelle Obama avait invité mardi soir la secrétaire de Warren Buffett qui paye proportionnellement plus d’impôt que son richissime patron — lequel reconnaît bien volontiers que cette situation est injustifiable.

Peu importe, les ultra-conservateurs et les membres les plus virulents du Tea Party continuent de défendre bec et ongles le système actuel. Ils combattent farouchement tout projet de loi visant à alourdir la fiscalité qui s’applique aux riches et aux ultra-riches.

Il va continuer d’être facile de faire de l’argent avec de l’argent puisque la Fed confirme sa politique ultra-accommodante de taux zéro. Cela permet d’emprunter de l’argent gratuit pour l’investir dans des produits financiers qui rapportent sans risque 2% ou 3% (comme les bons du Trésor américain) ou plus (comme les actions) lorsque les conditions économiques semblent s’améliorer.

▪ L’immobilier américain sortirait-il la tête de l’eau ?
L’un des marronniers de ce début d’année, c’est l’embellie que connaîtrait le secteur immobilier. Les prix semblent se stabiliser et les dépenses de logement étaient en progression en novembre et en décembre — mois traditionnellement peu favorables.

Wall Street peut remercier la clémence de la météo : elle permet aux chantiers de construction de n’avoir connu pratiquement aucune interruption depuis le début de la période hivernale, ce qui maintient un flux de dépenses à un niveau étonnamment élevé pour la saison.

Mais admettons que l’embellie se confirme — elle recouvre des réalités extrêmement disparates. Les beaux quartiers bénéficient d’un engouement qui ne se dément pas dans les grandes capitales économiques et administratives de la côte Est, mais cela ne fait pas une tendance.

Les riches se livrent simplement à une surenchère pour afficher leur statut social privilégié et habiter à proximité des meilleures écoles (celles où il ne manque pas un prof sur quatre) ou de leurs luxueux bureaux.

Un des signes réellement les plus encourageants, c’est la multiplication des dossiers de refinancement des prêts hypothécaires conclus dans les années 2006/2008. Cela va permettre à de nombreux propriétaires de ressortir la tête de l’eau et de mieux respirer financièrement — et surtout de ne pas se retrouver à la rue, ce qui est à nos yeux essentiel.

En revanche, les crédits accordés pour un premier achat demeurent à un niveau désespérément bas et les banques disposent encore de stocks pléthoriques de logements saisis.

▪ Fin de la consommation, bonjour l’épargne
En ce qui concerne la consommation, elle se maintient à un niveau que nous pouvons qualifier d’inespéré compte tenu de la stagnation des salaires et du volume global des revenus distribués.

Là encore, il y a une explication dont nous vous laissons juger s’il faut s’en réjouir (comme Wall Street) ou s’en inquiéter. Les Américains désépargnent (-4% en 2011) à un rythme qui s’accélère à mesure que le rendement des placements sans risque se rapproche de zéro, sous l’action résolue de la Fed qui fera tout pour que cette situation perdure jusqu’en 2014.

Il s’agit clairement d’un choix économique délibéré. L’épargne tue la consommation, elle étouffe donc la croissance et conduit les entreprises à différer leurs investissements. Cela pèse également sur la croissance du PIB — l’investissement constitue une variable mécanique déterminante de la comptabilité nationale.

▪ Une inflation « contenue » qui coûte quand même cher
Là où nous émettons de sérieux doute au sujet du discours de la Fed ce mercredi, c’est au niveau de l’inflation sous-jacente : Ben Bernanke affirme qu’elle reste « contenue ».

Mais demandez aux automobilistes qui payent désormais le gallon d’essence 4,5 $ ce qu’ils en pensent. Il leur en coûte 40% de plus qu’au printemps 2009, 10% de plus qu’en janvier 2011. Quant à ceux qui se chauffent au fioul, ils peuvent bénir l’hiver le plus clément du 21e siècle.

Dans un pays où tout le monde (ou presque) a besoin de sa voiture pour aller travailler, il s’agit d’une ponction très significative sur le pouvoir d’achat. Le seuil de douleur pourrait être très rapidement atteint, car faut-il encore le rappeler, les bas salaires continuent de baisser !

Les salariés américains ne vont pas continuer très longtemps de vider leur livret d’épargne pour faire le plein de leur véhicule. Il faut se souvenir que Wall Street s’était violemment retourné à la baisse en juillet 2008 lorsque le baril avait franchi les 120 $ et que les ventes de détail ont commencé à flancher. A tout cela s’était ajouté naturellement le krach systémique des subprime au mois d’août, lequel avait tétanisé les consommateurs et gelé l’industrie du crédit.

▪ Encore et toujours la hausse pour Wall Street
Mais Wall Street n’a que la hausse des actions en tête. Les indices américains ont enregistré une montée en flèche à la mi-séance, avec un S&P qui prenait 0,6% et un Nasdaq qui s’envolait de 1% à 2 815 points. Le Dow Jones, lui, a pris 0,5% — refranchissant ainsi le cap des 12 700.

La Fed réitère le constat d’une croissance qui demeure lente et d’un taux de chômage trop élevé. Il n’en fallait pas plus pour faire ressurgir les spéculations sur la mise en oeuvre prochaine d’un QE3 sous forme de rachats ciblés de créances hypothécaires.

▪ Une évocation de QE3 provoque l’envolée de l’or et la chute du dollar
Wall Street évacue la question de la flambée du pétrole qui en avait résulté et le souvenir que les précédents QE n’ont eu aucun impact ni sur la croissance, ni sur le chômage. Tout ce qui compte, c’est que cela fera au moins grimper la Bourse !

Cette anticipation d’un QE3 (et peu importe l’appellation qui lui sera attribuée) semble tellement inéluctable que l’or s’envole littéralement de 2,5% à 1 701 $ tandis que le dollar plonge en direction des 1,31 euro.

Nous pressentons que Pékin doit apprécier ce scénario. Il avait conduit le pays au bord de l’explosion sociale un an auparavant, ce qui avait débouché sur une série de mesures restrictives destinées à combattre l’inflation.

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