La Chronique Agora

Société Générale : les marchés avaient (encore) tort

Rien ne sert de plaire aux marchés à court terme : le parcours de la Société Générale en est le parfait exemple.

Il ne s’agit pas ici de vilipender les marchés financiers et leurs excès, ni de nous ranger parmi les critiques simplistes de la sphère politique, qui passent généralement sous silence le rôle indispensable des marchés financiers dans le financement de l’économie.

Certes, lorsque l’on débute sur les marchés financiers, on nous apprend qu’ils ont toujours raison. Les arguments avancés sont relativement simples : d’une part, chaque transaction entre un acheteur et un vendeur s’effectue à un prix qui ne peut être que la vérité du moment ; d’autre part, il est risqué de vouloir avoir raison seul contre le marché.

Oui, mais cette idée n’est valable qu’à un instant t, éphémère. Avec du recul et de l’expérience, on finit par comprendre que les marchés ont, en réalité, presque toujours tort. Leurs exigences de rentabilité court-termistes sont souvent déconnectées de la réalité économique, et ils se trompent régulièrement dans la valorisation des actifs. Tantôt, ils surévaluent violemment certains actifs, entraînant des krachs ; tantôt, ils les sous-évaluent tout aussi brutalement, provoquant des corrections sévères et offrant ainsi de belles opportunités d’investissement.

Nous avons un exemple édifiant de l’absurdité du court-termisme, avec l’évolution boursière de la Société Générale au cours des 18 derniers mois. Mais nous pourrions trouver bien d’autres exemples ce type.

Petit flashback

Nous sommes le 18 septembre 2023, le cours de la Société Générale chute de 12% suite à la présentation du plan stratégique par son nouveau dirigeant. Pourtant, il n’y a aucun risque systémique bancaire en jeu. Nous sommes bien loin du mois de janvier 2008, où une crise de solvabilité menaçait la banque et faisait planer le spectre d’une faillite. A titre de comparaison, le 24 janvier 2008 – jour où l’affaire Kerviel est révélée au public – l’action ne perdra « que » 8%.

Nous sommes également loin du mois d’août 2011, en pleine crise des dettes souveraines de la zone euro, où circulaient des rumeurs plus ou moins fondées sur des tensions de liquidité touchant plusieurs établissements bancaires, dont la Société Générale. Ce contexte particulièrement anxiogène avait conduit à une chute de 17% du cours de l’action en une seule séance, le 10 août 2011, avec une variation intraday vertigineuse de 36% entre le plus haut et le plus bas.

Mais ce 18 septembre 2023, la sanction des marchés est purement absurde : une baisse de 12% du titre SG, simplement parce que le plan stratégique présenté par le nouveau dirigeant n’a pas été jugé suffisamment « market friendly ».

Certes, une légère réévaluation à la baisse de l’objectif de ROE est annoncée. Mais elle s’inscrit dans un contexte sain : celui du relèvement de la cible de solvabilité (13% de ratio CET1, au lieu de 12%, excusez du peu), donc davantage de fonds propres. Alors oui, à court terme, c’est contrariant. L’augmentation de la solvabilité nécessitera une augmentation des fonds propres, et plus ceux-ci seront élevés, plus le ROE sera mécaniquement réduit, toutes choses égales par ailleurs.

Autre annonce qui déplaît fortement et qui découle directement de la précédente : un taux de distribution des dividendes probablement plus faible que celui des concurrents (autour de 40%, contre 50% à 60% ailleurs), afin de mettre en réserve une plus grande part des résultats pour restaurer la solvabilité.

Mais le patron de la Société Générale, Slavomir Krupa, n’a que faire du court-termisme des marchés et de la déception suscitée par l’annonce de la baisse de l’objectif de rentabilité des fonds propres. Pour lui : « La question n’est pas le taux de distribution des dividendes, mais plus largement le retour global à l’actionnaire, qui comprend bien entendu le dividende, mais également l’évolution du cours de l’action. Et entre deux opportunités de placement concurrentes, le juge de paix en la matière, c’est surtout le niveau auquel vous investissez et l’évolution du cours de bourse cinq ans plus tard. »

Et d’ajouter : « L’ambition n’est pas de promettre des choses que l’on ne sera pas en mesure de délivrer, mais plutôt de proposer des changements réalistes qui servent l’intérêt de l’entreprise. »

Près de 18 mois plus tard, la démonstration est faite : le court-termisme paie rarement.

En une année, la Société Générale aura finalement vu son cours progresser de 55%. Son résultat net a bondi de 69% en un an, atteignant 4,2 milliards d’euros. Sur l’année, le produit net bancaire (l’équivalent du chiffre d’affaires pour une banque) a, quant à lui, progressé de 6,7%, pour s’établir à 26,8 milliards d’euros. Mieux encore, la banque est désormais en mesure de « rendre » à ses actionnaires 1,7 milliard d’euros, dont 872 millions d’euros sous forme de rachat d’actions.

Alors qu’analystes et actionnaires sanctionnaient capricieusement le titre il y a près de 18 mois, oubliant que tout plan de redressement implique des sacrifices et de la patience, le Conseil d’administration a décidé de porter le taux de distribution à 50% du résultat net, contre 40% un an plus tôt. L’établissement en a désormais les moyens, la mise en réserve du résultat après distribution étant désormais conséquente.

Au-delà de la cession d’actifs jugés non stratégiques, qui a permis de renforcer la solvabilité du bilan, la banque a également su améliorer sa rentabilité, mise à mal en 2023 par le contexte de taux. Rappelons que dans un environnement de translation à la hausse de la courbe de la courbe des taux, un risque temporaire de baisse des revenus existe, en raison du décalage entre l’augmentation plus rapide du coût du passif et celle du rendement des actifs.

En l’absence de couvertures via des dérivés de taux, ou si celles-ci sont mises en place trop tardivement, les conditions de refinancement deviennent immédiatement plus coûteuses pour les banques, tandis que la revalorisation des barèmes de crédit prend plus de temps à se matérialiser.

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