La folie boursière a atteint de nouveaux sommets ces derniers temps – un signe que les politiques non-conventionnelles des banques centrales touchent à des extrêmes malsains et dangereux pour l’investisseur boursier.
Des hedge funds positionnés en vente à découvert (short selling) face aux boursicoteurs (mais aussi à des institutionnels), alimentés en liquidité via « l’argent par hélicoptère » du gouvernement, subissent des short squeezes impressionnants.
Et si tout ceci était annonciateur d’une implosion des marchés financiers – aux Etats-Unis, mais pas uniquement ?
Certes, le catastrophisme ne sert à rien… et passer son temps à rechercher les futurs cygnes noirs annonciateurs de krachs n’a pas grand sens. Car si ces cygnes noirs sont annoncés et que les catastrophes qui les caractérisent sont anticipées, discutées et analysées, tout le monde sera préparé financièrement et psychologiquement, si bien que ces catastrophes ne se produiront jamais.
Ce qui se passe aujourd’hui est purement le produit de l’inconscience des banques centrales.
Les banques centrales ont inondé le monde de liquidités trop peu utilisées dans l’économie réelle… et surtout utilisées avec de moins en moins de discernement sur les marchés financiers. On peut rajouter à cela, ces dernières semaines, une amplification médiatique sur les réseaux sociaux relayée consciemment ou non par un certain Elon Musk.
Signal Advance, GameStop… et la stupidité
Il y eut la cupidité-stupidité sur Signal Advance suite à un tweet de Musk qui concernait en fait une toute autre société. La valeur est malgré tout passée de 0,58 $ le 07/01 à 70,33 $ le 11/01, soit une hausse de 12 000% en deux séances : cela n’a bien entendu aucune justification fondamentale imaginable, même dans les rêves les plus fous de disruption.
Encore plus absurde, ce titre valait toujours 5,50 $ le 28/01, soit une progression stratosphérique de 850% par rapport au cours de 0,58 $ du 07/01. Cela défie les lois élémentaires de l’économie et de la finance, qui ne peuvent pas être durablement transgressées sans dommage. Tout ceci pour une entreprise qui affiche 6,3 Mds$ de chiffre d’affaires pour une capitalisation boursière de 210 Mds$ aujourd’hui.
Il y a aussi ces derniers jours cette cupidité-arrogance qui consiste à parier systématiquement contre les positions short de hedge funds : +1 650% sur GameStop entre le 11/01 et le 27/01 (avec des hausses aussi insolentes que délirantes de 135% le 26/01 et de 93% le 27/01.
Tout cela pour une entreprise qui ne distribue pas de dividendes et dont le price earning ratio (notion qui reste essentielle même si elle n’est pas à la mode) n’est pas calculable car il n’y a pas de bénéfices – et pire, pas de bénéfices anticipés.
Décidément, je préférerai toujours ne pas gagner d’argent (il ne s’agit pas pour autant d’en perdre) en restant intelligent que d’en gagner en devenant idiot.
Il y a aussi ce short squeeze sur AMC Entertainment : +805% entre le 11/01 et le 27/01 (reconnaissons tout de même un -50% sur la journée du 28/01). Là encore pour une entreprise qui est incapable d’afficher un PER mais qui a la particularité d’être vendue à découvert par des fonds spéculatifs et donc susceptible d’être « short squeezée » grâce à l’action de traders petits, moyens ou gros.
Stupidité et arrogance
Au-delà de ces constats, je ne prends parti ni pour les uns ni pour les autres. En effet, il ne me semble pas essentiel de choisir entre les comportements soi-disant « Robin des bois » d’investisseurs individuels… et la prétendue expérience et expertise au service d’investisseurs finaux de fonds spéculatifs.
Petite précision au passage, on appelle ces derniers « hedge funds », en anglais, donc fonds de couverture en français. Cela alors même que leur logique a toujours été une logique de spéculation et non de couverture – ce qui n’est pas un mal en soi, mais encore faut-il appeler les choses par leur nom…
Ces apprentis traders pourront toujours rétorquer qu’ils sont fiers d’être stupides et insolents puisqu’ils ont gagné beaucoup d’argent. La belle affaire ! Ils comprendront un jour – sans doute pas si lointain – que l’on ne gagne jamais d’argent durablement sur les marchés financiers en étant cupide, stupide ou arrogant, encore moins en ayant deux de ces travers… ou pire les trois à la fois.
Dès lors, ce n’est même plus un krach qu’il faut anticiper consécutivement à un resserrement monétaire traditionnel de banque centrale (inenvisageable) ou à un défaut d’une grande banque ou d’une entreprise majeure (peu probable).
Il faut plutôt craindre ou espérer une implosion des marchés financiers. Crainte ou espérance ? Tout dépend de son « idéologie », de son métier ou de sa situation personnelle. C’est un vaste débat, je crois personnellement à l’utilité économique et sociale des vrais marchés financiers, mais pas à celle de ces marchés financiers qui sont devenus « nationalisés » ou « manipulés » par le put des banquiers centraux.
A court terme, il faudra surveiller les dégâts collatéraux consécutifs aux pertes colossales de hedge funds vendeurs à découvert ; les pertes sont estimées à près de 250 Mds$ en 2020 et déjà autour de 90 Mds$ depuis le début de 2021.
Comment cela finira-t-il ?
On sait comment cela peut finir : il faut rembourser par anticipation des financements octroyés par les courtiers et répondre à des appels de marge. Cela revient à vendre, à n’importe quel prix, les actifs et arbitrages. Pire, les faillites de certains fonds peuvent conduire certains établissements à vendre les milliards de dollars de titres qu’ils avaient reçus en garantie de la part de ces fonds.
Cela amplifiera les ventes forcées et dans ces situations, on ne se pose pas de questions, on vend tout ce que l’on possède de « liquide ». Il s’agit alors de ce que l’on appelle sur les marchés financiers le « flight to liquidity » : on vend tout, or, Nasdaq, Bitcoin, obligations à haut rendement, obligations corporate et même obligations d’Etat s’il le faut.
A moyen terme (mais dès cette année car le moyen terme des marchés n’est pas celui du cycle économique), il faut se préparer à la fin programmée des politiques monétaires ultra-accommodantes. Elles commencent en effet – on le voit avec ces nouveaux comportements spéculatifs – à provoquer des conséquences contre-productives et des risques d’effets de richesse négatifs pour les investisseurs de long terme.
Ce début d’ébauche de politique monétaire moins accommodante serait alors caractérisé par une réduction des programmes de rachat d’actifs pour les moins pessimistes, ou un arrêt des programmes de rachat d’actifs pour les plus pessimistes.
On n’imagine pas un seul instant une normalisation de la politique monétaire avec baisse de la taille du bilan des banques centrales et donc des ventes d’actifs. Nous allons donc sans doute assister à une lassitude des banques centrales.
Nous considérons que le relais sera désormais assuré par des politiques économiques d’aides directes à l’économie, et de moins en moins par des politiques monétaires consistant à fournir de la liquidité aux banques et aux marchés financiers.