La Chronique Agora

Et si on parlait de droit divin ?

▪ La royauté de droit divin était une théorie politique qui se tenait. Mais encore fallait-il croire en Dieu. Il fallait aussi croire qu’Il distribuait les tâches. Il fallait croire qu’Il se souciait peu que Ses employés et agents fassent n’importe quoi… voire contredisent carrément Ses ordres. Si l’on observe l’histoire des monarques censés avoir reçu l’autorité divine, on pourrait en conclure que Dieu était un maître d’oeuvre très tolérant… ou très négligent. Adultère, meurtre, vol, mensonge — c’est tout juste si ses ouvriers obéissaient à l’un des commandements divin.

En tant que théorie du gouvernement, le « droit divin » aurait fait l’affaire même sans rois. Certains étaient des hommes raisonnables. D’autres étaient des tyrans. Nombre d’entre eux étaient incompétents, en grande partie inutiles et idiots. A eux tous, il était très difficile de croire qu’ils avaient été choisis par Dieu… sans penser également que Dieu choisissait au hasard Ses dirigeants les plus importants. Les rois n’étaient pas particulièrement intelligents. Pas particulièrement hardis ni particulièrement timides. Pas particulièrement sages ni stupides. Dans l’ensemble, ils étaient comme tout le monde. Parfois malins. Parfois bêtes. Parfois bons. Parfois méchants. Et toujours soumis à influence.

Vers la fin du XVIIIe siècle, le « droit divin » a perdu ses partisans. Tant l’Eglise que la monarchie ou le système féodal semblaient perdre des parts de marché. Suite aux Lumières, les gens commençaient à se poser des questions. Le début de la Révolution industrielle et de la « révolution énergétique » les rendait nerveux.

▪ En 1776, Adam Smith publia sa Richesse des Nations, affirmant que le commerce et la production étaient source de richesse. Le gouvernement commença à sembler être un obstacle et un coût largement superflu. Son rôle bénéfique se limitait, déclara Smith, à faire appliquer les contrats et protéger la propriété.

L’école du laissez-faire économique maintenait que le gouvernement était « un mal nécessaire », à restreindre autant que possible. Le « gouvernement qui gouverne le mieux », disait Jefferson, « est celui qui gouverne le moins ».

Le gouvernement était censé dégager le terrain pour que la « main invisible » guide les hommes vers des vies productives et fructueuses. Smith était d’avis que le bras attaché à la main invisible était celui de Dieu. D’autres pensaient que même Dieu n’était pas nécessaire. Les hommes, sans planification centrale ou Dieu pour les guider, créeraient un « ordre spontané » qui serait bien plus plaisant que celui mis en place par les rois, les dictateurs ou les assemblées populaires.

Cette théorie du gouvernement en tant que telle mène à ce que nous connaissons aujourd’hui sous le terme « libéralisme ». Les libéraux débattent encore quant à l’autorité que le gouvernement devrait posséder. Ils se disputent sur ce que le gouvernement devrait faire et sur la taille qu’il devrait avoir. Mais tous les libéraux sont d’accord avec Jefferson. Et tous pensent que les gouvernements du monde entier, en l’an de grâce 2011, sont trop gros.

Nous avons de la sympathie pour ce point de vue. Nous ne sommes pas libéral. Simplement, nous n’aimons pas qu’on nous dicte notre conduite.

Mais le libéralisme n’est pas franchement une théorie politique. Il n’essaie pas vraiment d’expliquer pourquoi le gouvernement est ce qu’il est. En fait, le libéralisme est une rêverie prescriptiviste se concentrant sur ce que le gouvernement devrait être. En théorie, un gouvernement devrait être limité, disent les libéraux.

Le gouvernement devrait se mêler de ses affaires, disent-ils. Il devrait régler les différends entre les membres du public… et protéger les gens contre d’éventuels méfaits. Il ne devrait pas siphonner les ressources et la production d’une partie de la population au bénéfice d’une autre. Et alors ? Qui se soucie de ce que veulent les libéraux ?

Tout au long de l’histoire, le gouvernement a fonctionné de manière à peu près contraire. Les insiders qui prennent le contrôle de la puissance policière de l’Etat l’utilisent pour promouvoir leur propre cause. Parfois, cette cause semble être désintéressée. Adolf Hitler, par exemple, n’a pas pris beaucoup de richesse pour lui-même. Staline, lui non plus, n’a pas dévalisé les caisses de l’Etat. Ils ont plutôt travaillé dur et longtemps pour « l’intérêt » de leur peuple. (Il aurait mieux valu qu’ils aient été assoiffés d’or, cela dit. Cela aurait peut-être détourné leur attention).

Que les initiés veulent de l’argent ou du pouvoir, ça n’a pas d’importance. S’ils cherchent de l’argent, ils le prennent aux outsiders — ceux qui, par définition ne contrôlent pas les insiders et ne sont pas avantagés par eux. S’ils cherchent le pouvoir, lui aussi doit être pris à un autre. Ceux qui sont en dehors du cercle paient à chaque fois.

Tandis que les proto-libéraux se concentraient sur les dommages qu’un gouvernement activiste pouvait infliger, les utilitaristes, les positivistes et les collectivistes se concentraient sur le bien qu’il pouvait faire. Selon John Stuart Mill et Jeremy Bentham, un gouvernement devait fournir « le plus grand bien au plus grand nombre ».

A nouveau, ce n’était pas une théorie du gouvernement ; c’était simplement une idée sur le rôle du gouvernement. Une idée idiote, en plus. Qui sait ce qui est « bien » ou ne l’est pas ? Uniquement Dieu… ou les gens eux-mêmes. Dans la mesure où les voies de Dieu sont impénétrables, seuls les gens peuvent décider. Mais comment ? Ils ne peuvent le faire que si on leur en donne la liberté, ce qui nous ramène au libéralisme, la théorie à laquelle les utilitaires, les positivistes et les collectivistes s’opposaient. Ils voulaient une élite qui décide de ce qui était « bien » pour les masses.

Voilà ce qui se passe réellement : les membres de l’élite décident ce qu’ils veulent. Ensuite, ils disent que c’est « bien ».

A suivre…

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile