** La Bourse de Paris vient d’aligner une seconde séance consécutive de progression. C’est la huitième hausse sur une série de 12 séances contre trois seulement de repli — mais quels replis ! — et une de stabilité depuis le rebond amorcé sur les 2 880 points.
Il est peut-être trop tôt pour affirmer que les vendeurs à découvert vont commencer à ressentir un certain inconfort. En effet, ceux qui jouent la baisse depuis la cassure des 4 000 points le 6 octobre dernier n’ont jamais tremblé lors des récents sursauts indiciels — au mieux quelques convulsions haussières spectaculaires, vite circonscrites. Un détail technique risque cependant de les alerter : les volumes d’échanges s’étoffent à nouveau puisque, hier, 4,5 milliards d’euros ont changé de mains, contre seulement 3,3 milliards d’euros mardi dernier — et 3,5 milliards d’euros en moyenne du 1er au 4 décembre.
Le franchissement des 4 260 points marque également l’effacement d’une résistance qui n’avait plus été franchie depuis le 17 novembre dernier. Notre principal regret est que les 1,55% de hausse du marché parisien n’aient pas permis au CAC 40 de déborder la barre symbolique des 3 300 points. L’indice parisien s’était en effet hissé jusque vers 3 340 points peu avant 17h, et le rally haussier en direction des 3 500 points semblait bien enclenché.
Le CAC 40 a bénéficié ce mardi de l’envolée des géants du secteur du luxe et de la distribution avec +11,5% sur PPR, +6,6% sur LVMH, +4% sur Carrefour et +3% sur Hermès. Il s’agit cependant d’un pari sur le désir des consommateurs les plus aisés d’Asie et du continent américain de continuer à mordre dans la vie à plein portefeuille.
Nous doutons que la période actuelle soit propice à une débauche d’achats ostentatoires… mais après tout, la crise est trop sérieuse pour dépenser triste quand on n’a pas de problèmes de fin de mois et le que le principal souci est d’arbitrer entre Moscou, New York, Saint-Moritz ou Saint-Barthélemy pour passer les fêtes de fin d’année.
** Pour ceux qui surveillent avec anxiété la valeur de leur portefeuille boursier — nous pensons d’abord aux retraités américains dont les pensions sont directement impactées par la valeur des actifs sous-jacents –, cette journée de mardi risque de laisser un goût amer puisque le Dow Jones et le S&P ont corrigé de pratiquement 3% en séance et de 2,7% en clôture.
Wall Street, qui avait entamé la journée sur une petite vague de prises de bénéfices, n’a cessé de décliner à mesure que s’éloignait la perspective d’une approbation rapide du plan de sauvetage du secteur automobile américain par le Congrès. La Fed a en outre fait savoir qu’il ne fallait pas compter sur elle pour accorder un prêt de 15 milliards de dollars aux "Big Three" — oui un prêt, pas un don.
** Cette valse-hésitation générale — en dépit de la volonté affichée par toutes les parties de sauver des centaines de milliers d’emplois — ne devrait guère nous émouvoir mais nous ressentons tout de même un léger malaise en découvrant dans le fil des dépêches d’agence, publiées presque simultanément mardi soir. En effet, la banque allemande Hypo Real Estate va bénéficier de 10 milliards d’euros (12,9 milliards de dollars) de garanties publiques supplémentaires de la part du fonds allemand de soutien au système bancaire. Ceci porte à 30 milliards d’euros le montant des sommes apportée par le SoFFin.
En y ajoutant les 50 milliards d’euros reçus par Hypo Real de la part d’un syndicat de banques avec l’appui total de la Bundesbank, cela représente l’équivalent de 100 milliards de dollars qui servent non pas à sauver 10 000 emplois (et encore) mais à boucher des trous pour circonscrire le risque d’effet domino au sein du système bancaire européen.
Mais comment se fait-il que l’argent soit si facile à trouver — et nous parlons de centaines de milliards de dollars — lorsqu’il s’agit de sauver des équipes de financiers surpayés qui ont mené le système à la ruine ? Ils continuent pourtant de réclamer — ce doit être la force de l’habitude — des bonus par paquet de 10 millions de dollars. Et pourquoi faut-il en arriver à la menace d’un désastre social pour obtenir à l’arrachée quelques poignées de milliards dollars qui peuvent sauver de la galère des centaines de milliers de salariés ?
** Les ménages américains tenteront de trouver un semblant de réconfort avec les derniers chiffres concernant l’immobilier. Si l’indice des promesses de vente a reculé de 0,7% à 88,9 au mois d’octobre (c’est moins pire que prévu), celui de septembre a été révisé en hausse à 89,5.
De façon assez surprenante, le score du mois d’octobre 2008 n’est inférieur que d’un point à celui de la période correspondante il y a un an. Il s’était alors produit un net tassement dès le milieu de l’automne 2007, alors même que les actions battaient des records, sous les vivats des épargnants et des spéculateurs de tous poils.
En Europe, les investisseurs ont bien accueilli le redressement inattendu de 8,3 points de l’indice ZEW du moral des investisseurs et des industriels allemands mais la dégradation de la situation économique au-delà des frontières germaniques semble avoir été largement négligée.
Le déficit commercial de la France, le principal partenaire de l’Allemagne, a atteint 7,07 milliards d’euros, contre 6,25 milliards d’euros en septembre. Notre Premier ministre, François Fillon, déclarait dans la foulée que le retour à l’équilibre budgétaire ne serait pas atteint avant 2012. En deux mois, les délais avancés par Matignon ont tout simplement doublé.
** Jean-Claude Trichet, qui semble d’humeur taquine, a rappelé mardi matin qu’en ces temps difficiles, il était plus que jamais indispensable d’équilibrer les budgets. Il n’explique pas comment y parvenir avec l’effondrement des recettes fiscales… ce n’est pas son problème. Il est aussi, selon lui, indispensable de respecter scrupuleusement les objectifs de déficit prescrits par le traité (d’un autre âge) de Maastricht.
Même en période krach, la pente naturelle de l’économie reste de 3%, et rien ne le fera changer d’avis. La terre est plate et la croissance doit être enfantée dans la douleur, l’infaillibilité de la BCE ne saurait être remise en cause, tous ceux qui osent remettre en cause les dogmes maastrichtiens s’exposant à une excommunication.
** Aux Etats-Unis au moins, les maîtres à penser s’autorisent quelques écarts par rapport à l’orthodoxie libérale. Et l’anecdote la plus amusante de ce mardi concerne le psychodrame qui se joue autour du remplacement de l’équipe dirigeante de General Motors.
Le nom de Carlos Ghosn, le PDG de Renault, a circulé ces dernières 48 heures mais la piste la plus sérieuse semble être celle de Jack Welch — oui "Neutron Jack" dont nous vous avons beaucoup parlé ces dernières semaines. Jack Welch, l’homme qui, mi-novembre, venait plaider en direct sur CNBC en faveur de la mise en faillite du secteur automobile, au nom des préceptes ultralibéraux qui ont fait les beaux jours de General Electric à la fin des années 90 et au début des années 2000 !
Croyez-vous que si le Congrès validait sa nomination à la tête de GM pour utiliser au mieux les milliards accordés au groupe, M. Welch s’empresserait d’orchestrer la liquidation de son entreprise et d’approuver la signature de 50 000 lettres de licenciement dès sa prise de fonction ?
Si nécessité fait loi aux Etats-Unis, en Europe, c’est la BCE qui fait de la loi une nécessité !
Philippe Béchade,
Paris