La Chronique Agora

Si Ben Bernanke sort la grosse éponge, Wall Street a compris : tous aux igloos !

 

▪ Comment le mieux résumer cette journée du mercredi 10 février 2010, sinon par ce refrain qui revient en boucle dans les centres commerciaux nord-américains durant toute la période de Noël :

« Oh the weather outside is frightful,
But the fire is so delightful,
And since we’ve no place to go,
Let it snow! Let it snow! Let it snow ».
[« Oh, le temps est épouvantable là dehors/Mais dans la cheminée le feu est délicieux/Et puisque nous ne devons pas sortir aujourd’hui/Qu’il neige, qu’il neige, qu’il neige ! » NDLR]

Et comme l’expliquait si bien Bill Bonner hier — lui qui nous décrivait la situation en direct depuis Baltimore –, à part regarder la neige tomber, il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire à l’est des Appalaches et jusqu’aux collines du Vermont. Les journaux télévisés américains retransmettent des images rares, comme celles de l’aéroport de Washington désert… ce qui ne s’était pas vu depuis le 12 septembre 2001.

Plus de 50% des vols sont annulés depuis New York ou Boston alors que les pistes sont encombrées d’une couche de neige de 30 centimètres — à Baltimore, c’est plus du double. Les équipes de dégivrage des avions sont submergées, les services de traiteurs ne sont plus approvisionnés parce que les livraisons de repas et boissons par la route sont interrompues.

La plupart des administrations américaines se retrouvent en congé forcé, plus d’un quart des élèves du pays n’ont plus cours, les parlementaires sont priés de rester dans leurs circonscriptions, le Capitole est désert, les hommes (et femmes) d’affaires déjeunent en famille, la Maison Blanche ne reçoit plus la visite d’un seul journaliste… et tout se passe très bien ! Le grand cirque politico-économique et médiatique fait relâche et Wall Street baigne dans la ouate (les clients passent confortablement leurs ordres depuis chez eux).

Personne n’envisage avec horreur l’impact négatif sur le PIB américain des deux journées déjà perdues à cause des caprices de la météo… Vancouver manque en revanche de neige et cela a déjà coûté des millions de dollars canadiens pour acheminer sur les sites olympiques de quoi permettre aux skieurs et snow-boarders d’en découdre.

La Colombie britannique a facilement trouvé les budgets pour étendre sur le sol de l’ouest canadien ce dont les habitants de la côte est des Etats-Unis aimeraient tant se débarrasser… mais il n’y a plus un dollar disponible lorsqu’il s’agit de secourir les sans-abris qui manifestent devant le village olympique.

A Washington, aucun SDF ne manifeste… car il n’y a personne pour les filmer et aucun membre du Congrès pour écouter leurs doléances !

▪ Oui décidément, cette trêve impromptue, presque d’une autre époque, que nous offre Dame Nature prouve que personne ne regrette véritablement le mode de vie frénétique (pour ceux qui ont encore un travail) qui constitue le véritable socle de l’American Way of Life. On peut survivre une journée sans consommer et sans passer des listings au peigne fin pour traquer le moindre fléchissement des ventes !

Wall Street s’accommode parfaitement de cette parenthèse. Elle lui laisse même le temps de la réflexion pour analyser le communiqué transmis par la Fed aux médias, puisque Ben Bernanke n’a pu aller présenter en personne son analyse économique et monétaire sur la colline du Capitole, désertée par ses hôtes habituels.

Les cours ont nettement reflué dès la parution d’un texte qui confirme l’abandon prochain (aucune date n’a été évoquée, ce sera « en fonction de la conjoncture ») de la politique d’assouplissement quantitatif.

La Fed envisage très sérieusement d’imiter la Banque centrale chinoise. Rappelons que cette dernière a choisi de remplacer une hausse du taux directeur pure et simple par une hausse de la rémunération des dépôts et du taux de l’escompte consenti aux banques.

Ce « reverse repo » devrait permettre d’éponger les excès de liquidités alimentant depuis des mois des stratégies spéculatives qui ont abouti à la formation de nombreuses bulles d’actifs.

▪ Wall Street comprend le message — il y aura désormais moins d’argent pour spéculer — et certains s’en inquiètent (les indices américains ont reperdu jusqu’à 1% au cours de la première heure de cotation)… Cependant, le fait accompli a semblé jouer très rapidement ; le Dow Jones revenait à l’équilibre vers 18h et tentait de s’y maintenir à la mi-séance, avant d’en terminer sur un repli symbolique de -0,2%.

La tendance haussière qui prévalait en début de journée en Europe a été contrariée par la publication à 14h30 du déficit du commerce extérieur des Etats-Unis. Ce dernier s’est fortement creusé au mois de novembre, à 40,2 milliards de dollars, contre 36,4 milliards en octobre — soit une hausse de plus de 10% en un mois.

Analystes et économistes anticipaient au contraire en moyenne un déficit commercial en léger repli autour de 36 milliards de dollars, grâce à la faiblesse du billet vert, censée donner un coup de fouet aux exportations.

Loin de plomber le dollar — ce qui n’aurait étonné personne –, ces chiffres provoquaient au contraire un net affaiblissement de l’euro sous les 1,38 $. La monnaie unique est même repassée sous les 1,37 $ en milieu d’après-midi, ruinant les espoirs de poursuite du rebond des places européennes amorcé lundi.

L’Euro-Stoxx 50 est parvenu in extremis à se maintenir au-dessus des 2 700 points — mais il terminait bien loin des 2 725 points inscrits à 12h précise. De même, Paris accusait nettement le coup mais parvenait à reprendre un peu d’altitude au cours des dernières minutes de la séance. Le CAC 40 est remonté de 3 620 points à 3 635 points (+0,63%) mais a clôturé bien loin des 3 673 points testés entre midi et 14h.

Au-delà des scores, qui nous semblent bien anecdotiques, nous avons noté une spectaculaire intensification du courant vendeur à partir du moment où les 3 650 points ont été refranchis. Heureusement que les acheteurs, inspirés par la hausse initiale de l’euro, ne faisaient pas dans la demi-mesure : 4,605 milliards d’euros ont été échangés. Pas mal pour une journée de quasi-paralysie de l’économie américaine !

Mais même s’il fallait gagner Wall Street en scooter des neiges, rien n’empêcherait ceux qui ont commencé à se délester le 11 janvier dernier de poursuivre l’écrémage de leurs portefeuilles et la réduction des effets de levier.

Si la Fed et la Chine se mettent à éponger simultanément les excès de liquidités, Wall Street n’obéira plus qu’à un seul mot d’ordre : tous aux igloos !

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