La Chronique Agora

Séismes financiers et signaux visibles

▪ L’actualité économique est porteuse de sombres présages… Avant de la commenter, toutefois, nos pensées vont aux victimes du tremblement de terre qui a dévasté le centre de Taïwan.

Il en va des grands séismes financiers comme des grands séismes tectoniques : il s’agit de la libération soudaine et paroxystique d’énormes quantités d’énergie suite à la formation de "verrous" géologiques empêchant le coulissage ou la subduction graduelle de plaques continentales.

Au lieu d’assister à une succession ininterrompue de petits séismes — certes inconfortables mais peu destructeurs –, une longue période de calme apparent masque l’accumulation de tensions dynamiques… jusqu’à ce que la limite physique de résistance des roches soit atteinte.

C’est alors que la croûte terrestre se réajuste d’un coup. Des décennies de glissements potentiels de quelques centimètres, à peine perceptibles dans les zones où tout se passe en douceur, se transforment en un unique craquement de plusieurs mètres d’amplitude.

Des plages plantées de parasols disparaissent sous l’eau en quelques minutes, des voies ferrées se tordent comme des spaghettis, des falaises surgissent, des lacs disparaissent comme si le sol se transformait en une éponge géante, des pans entiers de glaciers se détachent en même temps que la roche sur laquelle ils reposaient… le tout sur fond de grondement de fin du monde.

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En ville, tout le monde se précipite dans la rue, n’emportant que ce qui se trouvait à portée de main. Pas le temps de fermer le gaz, pas le temps de récupérer les papiers importants et les bijoux dans le coffre-fort… Le seul impératif, c’est de sauver sa peau et de ne pas finir enterré sous les décombres.

A chaque fois, l’effet de surprise est total : comment éviter la panique et les victimes ?

A chaque fois, l’effet de surprise est total : comment éviter la panique et les victimes ?

Partant du principe que les zones à risque sont connues mais que le timing des séismes est impossible à prévoir, les Japonais imposent des normes anti-sismiques draconiennes aux architectes et aux entreprises de BTP. Résultat, ça secoue, la vaisselle tombe, certains murs se lézardent… mais il faut une magnitude 8 et un tsunami à suivre pour qu’on déplore des victimes dans l’archipel.

▪ Côté marchés, en revanche…
En ce qui concerne la sphère financière, impossible d’installer des blocs de caoutchouc et des réseaux de câbles sous les fondations des marchés dérivés. De toute façon, si les dispositifs anti-sismiques actuels permettent de sécuriser une tour de 50 étages, sur les marchés dérivés, les effets de levier ont vite fait de rajouter 400 étages à la structure initiale.

Et si l’on installe un stabilisateur pour un immeuble de 100 étages (comme dans la tour Taipeh 101), les brasseurs d’argent multiplient aussitôt sa hauteur par 10. C’est une fuite en avant sans fin.

Tant que la terre ne tremble pas, toutefois, la tour "Market Infinity", telle le haricot magique, s’élève fièrement au-dessus de la tête des banques centrales qui fournissent le béton et le verre en quantité illimitée.

La Fed a arrêté mais la BCE, la Banque du Japon (BoJ) et surtout la PBOC (banque centrale chinoise) redoublent d’efforts… en pure perte. En effet, plus elles promettent, plus les marchés baissent.

Voilà qui devrait nous alerter sur l’imminence d’un prochain séisme. Le "verbe magique" n’agit plus, la planche à billets non plus

Voilà qui devrait nous alerter sur l’imminence d’un prochain séisme. Le "verbe magique" n’agit plus, la planche à billets non plus.

Ce n’est là que le premier des "signaux faibles" (variations de champs magnétiques, émissions de gaz rares) — si précieux aux yeux des sismologues — auxquels devraient s’intéresser de près les investisseurs.

Il en existe bien d’autres ; nous en avons déjà recensé une demi-douzaine.

Par ordre d’intensité croissante — à nos yeux, mais cela reste subjectif –, nous trouvons :

– Tarissement progressif de la liquidité sur les marchés obligataires (ce qui réduit la vitesse de circulation des flux de liquidité).
– Vagues successives d’accroissement de la volatilité au cours des six derniers mois.
– Dégradation du ratio advance/decline et premiers accès de vulnérabilité des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple).
– Indice Baltic Dry au plus bas historique… non pas tant à cause des surcapacités de transport offertes par les armateurs mais parce le volume de marchandises empruntant les voies maritimes se contracte.
– Dans le même registre, le transport terrestre de conteneurs est en perte de vitesse aux Etats-Unis, que ce soit par train ou par camion.
– Les leaders de la grande distribution américaine font face à une baisse de la demande intérieure (d’où des centaines de fermeture de grandes surfaces)… et ce n’est pas la contrepartie d’une montée en puissance symétrique des ventes en ligne ou d’Amazon, dont les perspectives déçoivent également.
– La productivité américaine a chuté fortement au quatrième trimestre 2015.
– Les salaires ont progressé mais les ventes de détail stagnent. Les dépenses des consommateurs US sont loin de refléter le plein emploi des statistiques officielles. Les 47 millions d’Américains abonnés aux bons d’alimentation enterrent le mythe de la classe moyenne moteur de la croissance auto-entretenue.

▪ Et la croissance, alors ?
Mais, nous direz-vous, la progression du PIB US ces dernières années, ce n’est pas qu’une pure fiction statistique : il y a des chiffres crédibles et concordants.

Oui, mais cette croissance du PIB repose d’abord sur deux postes de dépense cruciaux : Obamacare et le budget de la défense. Sur ce dernier point, on constate une inflation exponentielle du poste "lutte contre le terrorisme" (espionnage de la population américaine), ainsi que des achats de drones et de chasseurs-bombardiers nouvelle génération (rien n’est trop surdimensionné, rien n’est trop cher aux yeux du Pentagone).

Doublons le budget de la santé et de la sécurité nationale et la France fera 2,5% de croissance… et 5% de déficit au lieu de 3,5% en 2016

Autrement dit : doublons le budget de la santé et de la sécurité nationale et la France fera 2,5% de croissance… et 5% de déficit au lieu de 3,5% en 2016.

Mais revenons à nos signaux faibles et passons aux plus visibles :

– La chute des valeurs bancaires qui font trois fois pire que le benchmark des indices boursiers. Les gérants ne savent pas trop pourquoi les fonds souverains et les family offices sont gros vendeurs… mais ils doivent avoir de bonnes raisons !
– La tension des écarts (spreads) entre bons du Trésor et emprunts à hauts rendements, plus l’envol de la prime des CDS.
– L’effondrement des prix des matières premières et de l’énergie. C’est une évidence pour tout le monde mais il est plus souvent question de surcapacité que de sous-consommation… En outre, l’effondrement du pétrole n’est autre qu’une réplique (-75%) de l’éclatement d’une bulle spéculative sur l’or noir "papier", de juin 2008 à février 2009.
– La croissance chinoise est depuis longtemps repassée sous les 5%, la dévaluation du yuan devient inéluctable. Pékin ne sait plus s’il convient de restaurer un dirigisme pur et dur pour stopper l’hémorragie de devises qui se poursuit à un rythme supérieur à 100 milliards de dollars par mois… alors que le yuan vient juste d’accéder au statut de monnaie de réserve et d’intégrer les DTS du FMI.
– Enfin, le croisement en death cross des moyennes mobiles hebdomadaires trimestrielles et bisannuelles (à 20 et 100 semaines) n’a jamais pardonné au cours des 35 dernières années. Les indices boursiers ont toujours corrigé de -38% au minimum à -66% dans les 24 mois suivants.

A ce stade, s’il n’est pas encore question de séisme, un grondement sourd résonne déjà sous nos pieds, les rats quittent les égouts… quand ce n’est pas le navire, vu la chute des valeurs bancaires qui se retrouveront en première ligne en cas de séisme financier majeur.

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