** Nous ne sommes pas du genre à jouer les naïfs et à nous contenter de commentaires du type : "l’euphorie est rapidement retombée à Wall Street le vendredi 5 juin après un coup de chapeau de +1% des indices américains saluant des chiffres de l’emploi bien meilleurs que prévus… Les marchés sont parfois victimes du fait accompli et certains opérateurs sont réticents à prendre des positions à la veille du week-end".
Ce serait oublier un peu vite que Wall Street avait été arraché à la hausse une semaine auparavant à un quart d’heure de la clôture, en l’absence de tout élément décisif identifiable… si ce n’est la volonté de faire clôturer les indices américains au plus haut depuis le 1er janvier.
Comme nous avions démontré que de nombreux mouvements de cours à la hausse survenus ces derniers jours n’étaient guère justifiés par le contenu de l’actualité macroéconomique au quotidien, nous ne sommes guère surpris de les voir trouver une explication a posteriori.
Il a suffi que la "bonne surprise" la plus spectaculaire de la semaine — révélée vendredi à 14h30 — soit connue de tous pour que les indices US fusent à la hausse l’espace d’une petite heure avant de replonger de 1,5% l’heure suivante.
Les trois principaux baromètres boursiers ont tous inscrit de nouveaux plus hauts annuels au cours des cinq premières minutes (8 840 points pour le Dow Jones, 952 points pour le S&P, 1 866 points sur le Nasdaq), avant de subir un violent mouvement de balancier vers le bas.
En clôture, les scores, proches de l’équilibre, préservaient les espoirs de continuation de la tendance haussière moyen terme. Le Dow Jones affichait +0,15% tandis que le Nasdaq terminait stable ; seul le S&P s’effritait de 0,25%.
Plus globalement, des gains hebdomadaires de 3,1% pour le Dow et de 4,25% pour le Composite témoignent d’une belle capacité de prescience des investisseurs à Wall Street : ils ont anticipé le plus gros écart mensuel à la baisse de l’histoire (175 000) en termes de ralentissement des dégraissages d’effectifs.
** L’enquête mensuelle d’ADP avait recensé 520 000 destructions de postes dans le secteur privé et une dégradation tendancielle par rapport au mois d’avril aux Etats-Unis. Si tel n’est pas le cas au vu de la comptabilité nationale, c’est que l’embellie du mois de mai résulte d’un plus grand nombre de créations d’emplois dans le secteur public (santé, éducation, services municipaux…).
Mais il est une réalité que ne peut masquer l’augmentation du nombre des fonctionnaires (+44 000 contre -13 000 en avril) : le recul du nombre d’heures travaillées par salarié. Cela signifie que les entreprises continuent de voir diminuer leur charge de travail, ce qui n’est pas un signe de reprise.
La hausse du taux de chômage à 9,4% (au plus haut depuis juillet 1993) reste également préoccupante, et la Maison Blanche ne se berce pas d’illusions : la barre des 10% de sans emplois sera franchie dès le milieu de l’été alors que six millions d’emplois ont été détruits en 18 mois, dont trois millions depuis le 1er janvier.
Les plus optimistes expliquent ce phénomène par la hausse du nombre des inscrits sur les listes de demandeurs d’emploi. Le sentiment (l’illusion) que la situation s’améliore sur le marché du travail aurait incité de nombreux Américains — jusqu’alors découragés — à reprendre le chemin des agences de l’emploi.
En d’autres termes, c’est parce que ça va aller mieux qu’au début ça commence par aller — en apparence — plus mal !
** Et si le SIA (association américaine interprofessionnelle de fabricants de microprocesseurs) a calculé que les ventes mondiales des semi-conducteurs devraient chuter de 21,3% en 2009, c’est certainement parce que les acheteurs se réservent déjà pour 2010 !
Et si l’industrie de pointe — tout comme la sidérurgie ou la chimie lourde — continue de licencier, de recourir au chômage technique, de renégocier les salaires et les avantages sociaux à la baisse, c’est certainement au nom d’un avenir qui s’annonce prometteur pour les futurs employés, lesquels s’empressent d’expédier leur CV !
Nous avons même entendu des directeurs de la recherche économique déclarer sur CNBC que l’un des signaux les plus encourageants pour Wall Street, c’est la forte remontée du rendement des T-Bonds (à 3,84% sur le 10 ans, 4,62% sur le 30 ans) — tandis qu’en Europe, les Bunds de maturité 2019 affichent désormais 3,73%. C’est la preuve que le cycle de fuite vers la sécurité s’inverse… et que la confiance dans l’imminence de la reprise se renforce.
** Mieux rémunéré, le dollar a effectivement profité de l’occasion pour se refaire une santé vendredi. Il gagnait 1,4% face à l’euro à 1,3990/euro — reprenant ainsi 1% sur la semaine et près de 2% sur les planchers annuels du milieu de la semaine. Le phénomène de vases communicants dont bénéficiait le pétrole ces dernières semaines ne s’est pas inversé comme cela se produit souvent en de telles circonstances : le baril ne lâche rien à 68,8 $… il subit simplement quelques prises de profits après avoir testé les 70 $.
Mais peu importent les turpitudes du billet vert ou de la monnaie unique : la thématique de la sortie de crise continue de soutenir les marchés financiers européens. Les investisseurs font volontiers l’impasse sur le pessimisme de la Bundesbank, qui s’attend à un repli de 6% du PIB allemand en 2009, ou de la BCE, qui revoit à 4,6% la contraction de l’activité en Zone euro.
Et que dire de la faillite pratiquement avérée du n°2 allemand de la distribution, la célébrissime chaîne de supermarchés de proximité Karstadt ? Elle prétendait il y a tout juste un an mettre la main sur sa grande rivale Metro/Kaufhof… aujourd’hui sollicitée pour éviter un désastre social de magnitude sept sur l’échelle de Merkel — euh non pardon, de Mercalli — (la guerre des super discounts va donc faire sa première victime) !
** Le bond du chômage en France à 9,1%, selon l’INSEE, n’aura pas davantage affecté la Bourse de Paris (+0,82% vendredi dernier), qui terminait en nette hausse sur l’ensemble de la semaine (+1,88%). Le CAC 40 vient donc d’aligner une 12ème semaine de hausse sur une série historique de 13.
Et avant de jeter un oeil sur les indices américains (reflets d’une Amérique qui va mieux) en préouverture ce lundi, ayons une petite pensée pour les salariés de la Bank of Lincolnwood qui est devenue ce week-end le 37ème établissement de crédit américain à s’être déclaré en faillite pour l’année 2009 — contre 25 sur l’ensemble de l’année 2008 et trois seulement, dont la fameuse New Century Financial, en 2007.
* Echelle de classification des séismes, créée en 1902 et utilisée avant l’échelle de Richter (qui date de 1935).
Philippe Béchade,
Paris