Pourquoi la Suisse y arrive-t-elle, et pas nous ?
Comment interpréter le « miracle suisse » ? Et surtout, comment expliquer qu’eux y arrivent, et pas nous ?
Avant d’exposer les raisons de ce succès mondial, il faut tout d’abord torde le cou à un mythe bien ancré dans nos cerveaux français.
La Suisse n’est-elle qu’un immense centre financier surfant sur le secret bancaire ?
Certainement pas.
La Suisse en tant que repaire privilégié pour l’évasion fiscale, c’est terminé depuis 2009. Sous la double pression des États-Unis et du G20, la Suisse a été amenée à alléger son dispositif de secret bancaire. Depuis septembre 2018, les banques suisses échangent automatiquement des informations relatives aux comptes ouverts avec les pays de l’Union européenne et neuf autres États et territoire, mettant ainsi fin au secret bancaire vis-à-vis de ces pays. En 2018, la Suisse a rejoint le système d’Échange Automatique d’Informations (EAI) élaboré par l’OCDE, lequel régule l’échange automatique de renseignements fiscaux (EAR). Notez qu’il avait déjà été mis fin à la pratique des comptes anonymes en 1991. En clair, les citoyens suisses continuent de bénéficier du secret bancaire, mais ce n’est plus le cas de tous les étrangers, en particulier des Français.
Par ailleurs, contrairement à l’image d’Epinal, l’activité économique suisse n’est phagocytée par le secteur financier. En 2017, selon le site indexmundi.com, la contribution des secteurs d’activité au PIB suisse était la suivante :
- services : 73,7% (contre 78,8% pour la France), dont seulement 9% en 2021 pour le secteur financier (banques et compagnies d’assurance) selon le portail finance.swiss ;
- industrie : 25,6% (19,5% pour la France) ;
- agriculture : 0,7% (1,7% pour la France).
Le secteur financier participe certes plus à la création de valeur ajoutée que cela n’est le cas dans la plupart des autres pays, mais son poids dans le PIB n’est pas non plus hors normes.
Contribution du secteur financier au PIB en 2014
Au risque d’en surprendre plus d’un, la production industrielle suisse est en plein bourgeonnement – elle a même doublé depuis la fin des années 1980 !
Au contraire, la production industrielle française périclite depuis que nous avons adopté l’euro, alors même que depuis l’an 2000, la valeur de l’euro s’est déprécié d’environ un tiers face au franc suisse !
Alors comment diable la Suisse est-elle parvenue à doubler sa production industrielle en un peu plus de 20 ans alors que sur cette période, le franc suisse s’est apprécié de 50% par rapport à l’euro ?
Dans une vidéo en date du 15 décembre dernier, Charles Gave apporte une réponse lapidaire : « Les Suisses n’ont pas de problème philosophique quant à la répartition de la valeur ; ce qui les intéresse, c’est la création de valeur (quand les Français s’intéressent à l’argent des autres). »
Quelle réalité pratique recouvre cet état d’esprit ?
Un État suisse qui reste à sa place
Connaissez le nom d’un économiste suisse ? Le nom d’un politicien suisse ? Moi non plus.
Comme l’explique Charles Gave, « Le décrochage de la France, qui croissait plus vite que la Suisse, commence en 1980 », soit 6 ans après que « nos élites ont commencé, hélas, à s’intéresser à la macroéconomie ». C’est ce qui explique que « l’économie Suisse semble vivre sur un long fleuve tranquille, alors que la nôtre n’est jamais sortie de la ‘crise’ depuis 1974 ».
Qui dit macroéconomie dit tout d’abord politique budgétaire. Le niveau des dépenses budgétaires n’a jamais substantiellement dépassé les 30% du PIB en Suisse, alors qu’il est passé en France de 35% du PIB en 1975 à 61,5% en 2020.
Autrement dit, l’État suisse se cantonne (huhuhu) à ce qu’il sait faire. Il s’ensuit que comme il y a moins de fonctionnaires à payer et moins d’argent à « redistribuer », l’État suisse a moins besoin de ponctionner sa population et ses entreprises, et de creuser sa dette souveraine.
Pour autant, les enfants ne sont pas moins bien instruits en Suisse qu’en France, les malades moins bien soignés et les trains n’arrivent pas moins à l’heure en gare de Genève qu’en gare Saint-Lazare – c’est précisément le contraire.
Notez par ailleurs que des propositions étatistes comme l’intégration à l’UE, une sixième semaine de congés payés obligatoire ou encore la mise en place d’un revenu universel de base ont toutes été rejetées par référendum par les citoyens suisses lesquels, jusqu’à présent, n’ont pas succombé au chant des sirènes du socialisme.
Et cela n’est sans doute pas sans rapport avec le fonctionnement institutionnel de l’État helvète.
La Confédération suisse est l’un des pays les plus démocratiques au monde
Au niveau institutionnel, la Confédération est organisée autour de deux principes fondamentaux qui garantissent le caractère démocratique du régime suisse :
- La Suisse refuse le jacobinisme centralisateur à la française. Il s’agit de l’un des pays les plus décentralisés au monde, lequel regroupe 26 cantons (ou États fédérés) qui ont chacun leurs propres constitution, parlement, gouvernement et tribunaux.
- Le référendum d’initiative populaire permet le traitement des questions politiques à l’échelon le plus proche des citoyens, dans le respect du principe de subsidiarité, profondément ancré dans l’identité suisse. Les Suisses sont donc des citoyens au sens littéral du terme, en cela qu’ils votent régulièrement sur des sujets qui ont un impact direct sur leur vie quotidienne. On est sans doute sur ce qui se fait de mieux en matière de démocratie directe.
Il s’ensuit que la Suisse est un monde qui ne souffre pas (encore) d’un surcroît de « grands hommes », comme le déplorait Frédéric Bastiat à l’égard de la France jacobine.
D’ailleurs, la Suisse vote assez peu de lois. Comme les citoyens sont plus intégrés dans le processus législatif que cela n’est le cas en France, les lois sont mieux respectées et la Justice fonctionne mieux.
Ces quelques généralités ainsi posées, nous profiterons de notre prochain billet pour entrer dans les détails.