▪ L’attitude de l’Allemagne depuis décembre 2009 (et la première alerte sérieuse sur la solvabilité de la Grèce) continue de nous intriguer.
Le ministre des Finances allemand Wolfgang Schaüble avait traîné des pieds pour secourir Athènes en janvier 2010, puis à nouveau durant la période de tractations qui a abouti à un premier plan de sauvetage de 110 milliards d’euros (impliquant le FMI qui n’intervient qu’en cas de menace réelle de faillite). Et voilà qu’il propose officiellement une « solution » — l’allongement de la maturité de la dette grecque — dont tout le monde sait qu’elle équivaut à un incident de crédit aux yeux des agences de notation.
La BCE, compte tenu de la faiblesse de ses fonds propres (cinq milliards d’euros) ne peut faire face à l’équivalent d’un « haircut » — même limité à 10% — sur les 60 milliards d’euros d’emprunts grecs qu’elle détient. Pas question d’accepter une restructuration sous forme de moratoire sur le versement des intérêts ou de conversion des emprunts courts en dette moyen terme, sur fond de risque de défaut à tout moment entre 2014 et 2018.
Quelle que soit la solution adoptée par les Européens — qui négocient âprement les termes d’un second plan de sauvetage d’une taille égale ou supérieure au premier, mis sur pied il y a tout juste un an… il faudra déployer des trésors de subtilité technique et sémantique pour convaincre Standard & Poors, Moody’s ou Fitch qu’il ne s’agit pas d’une restructuration mais bien d’un effort « volontaire et librement consenti » de la part des créanciers publics et privés en faveur d’un des membres de la Zone euro.
Il ne fait guère de doute que le Portugal et l’Irlande s’empresseront de vouloir bénéficier des mêmes accommodements. La City de Londres et Wall Street, du fait de leur exposition au risque de défaut de Dublin, se retrouveraient alors en première ligne.
Si le principe du volontariat apparaît déjà sujet à caution, qu’en sera-t-il de l’approche strictement comptable ? Une reconduction permet simplement de différer le constat d’une faillite ; gagner du temps ne résout pas le fond du problème.
Qui a envie de miser sur un cheval qui se dirige vers l’abattoir en boitant bas ?
▪ Ce n’est que l’un des aspects de la question soulevée par le cas grec : comment un pays en récession redevient-il solvable lorsque toutes les cures d’austérité les plus drastiques ne permettent pas de contenir la dérive des déficits ?
Même avec la meilleure volonté du monde, il ne sera pas possible de transformer la Grèce, l’Espagne ou l’Irlande en « petite Allemagne » en l’espace d’une décennie. Ces pays ne font pas le même le métier. Le hasard de l’histoire a voulu que l’Allemagne s’impose comme le partenaire privilégié d’un empire chinois en pleine résurrection économique, avec quatre fois plus de clients potentiels que l’ensemble du continent européen.
Faute de pouvoir combler deux siècles de retard industriel en deux décennies, l’Irlande et l’Espagne ont tenté de copier le modèle que leur proposaient l’Angleterre et les Etats-Unis. On parle là des deux pays qui ont axé leur développement sur l’immobilier et les services financiers… et qui font la pluie et le beau temps sur les marchés financiers.
Madrid et Dublin ont été encensés par les économistes libéraux jusqu’en 2008. Le modèle allemand était limite ringard eu égard au taux de croissance affiché par la plupart des pays périphériques de l’Europe depuis l’an 2000.
L’Allemagne affichait certes des excédents commerciaux vertigineux mais un PIB poussif et une consommation intérieure atone. Une équation vertueuse, mais qui produisait un résultat sinistre… et l’orthodoxie toute germanique de la BCE faisait office de véritable repoussoir aux yeux d’un investisseur de culture anglo-saxonne.
Les exemples à suivre, de 2003 à 2008, étaient le Royaume-Uni et l’Espagne. La rigueur allemande — héritée de la peur de revivre le cauchemar des années 20 — faisait figure d’anachronisme total dans un système économique basé sur la « grande modération ». Cette dernière recouvrant le mirage d’un cycle éternel de forte croissance — sans inflation — lié au réservoir inépuisable de main-d’oeuvre bon marché dans les pays émergents.
▪ Mais comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner, les gentilles fées de l’histoire ne sont pas les seules à s’être penchée sur le berceau de l’Allemagne à l’aube du 21ème siècle. Le célèbre mot d’ordre de George W. Bush, « tous propriétaires », a causé des dégâts considérables dans l’ensemble des pays ayant fait de cette maxime leur priorité… pour le plus grand bonheur des établissements de crédit.
Le mirage du pavillon « Sam’suffit » (bien à soi) posé sur son arpent de verdure a fait plonger les Etats-Unis dans un océan de dettes. Des milliers de milliards de dollars de plus-values virtuelles procuraient aux naïfs emprunteurs un sentiment de richesse illusoire — comme si le krach japonais des années 90 était sans valeur prédictive.
N’oublions pas que dans les pays réputés les plus prospères, le taux de propriété est largement inférieur à 50%. Il est de 38% en moyenne en Suisse (et ce taux tombe sous les 20% dans le Canton de Genève ou la région de Berne et Zurich) ; il est de 43% en Allemagne, de 58% en France, de 67% en Angleterre et aux Etats-Unis.
Et maintenant, roulement de tambours : il culmine à 80% en Grèce et pulvérise la barre des 85% en Espagne… Impressionnant, n’est-ce pas !
Mais devinez le nom du champion du monde du taux de propriété… Vous donnez votre langue au chat ? Allez, un petit indice puisque « chat » rime avec… Cuba !
Caramba ! Cuba est bel et bien l’actuel leader planétaire… mais il n’en pas toujours été ainsi. Pas moins de 92% d’Espagnols étaient propriétaires de leur logement en 2002 ; la proportion dépassait 71% outre-Manche en 2003.
Il ne faut pas être sorti major de l’ENA ou titulaire d’une chaire à Harvard pour se poser la question suivante : le taux de propriété ne serait-il pas tout simplement inversement proportionnel à la solidité financière d’un pays à l’entame de la seconde décennie du 21ème siècle ?
Et le plus endetté des pays n’est-il pas le plus proche voisin de Cuba, c’est-à-dire la « toute puissante » Amérique… Qui ne parvient même plus à rehausser de quelques dizaines de milliards le plafond de sa dette ?
▪ Malgré tant de sombres augures économiques, symbolisés ce mardi par la première chute (-0,2%) des ventes de détail depuis juillet 2010, Wall Street confirmait à la mi-journée ses bonnes dispositions initiales. Le Nasdaq grimpait de 1,65% et affichait ainsi une performance comparable à celle de l’Euro-Stoxx 50 (+1,7%).
Le S&P s’adjugeait 1,5%, à 1 292 points ; le Dow Jones gagnait 1,4% à 12 120 points. Ces performances s’apparentaient à celles observées quelques heures plus tôt en Europe. Cependant, la poursuite de l’embellie survenue ce mardi n’est nullement garantie, si l’on tient compte du fait que les indices chinois flirtent dangereusement avec leurs planchers annuels.