La Chronique Agora

La santé est plus forte que l’argent

La crise du coronavirus ne s’apaise pas… et l’on peut douter de l’efficacité des mesures prises par les banques centrales. Et si elles se mettaient en vacances, pour une fois ?

Nous sommes d’avis qu’il est nécessaire de désacraliser les prévisions car ceux qui les font prennent souvent des postures trop extrêmes et trop sensationnelles.

Il y a les éternels pessimistes qui cherchent les futurs cygnes noirs. Mais voyons… si ces cygnes noirs sont annoncés et que les catastrophes qui les caractérisent sont anticipées, discutées et analysées, tout le monde sera préparé financièrement et psychologiquement si bien que ces catastrophes ne se produiront jamais. En d’autres termes, le cygne noir, s’il doit arriver, n’est bien évidemment jamais celui qui est annoncé. La crise du coronavirus est là pour nous le prouver.

Et puis il y a les éternels optimistes qui se reposent sur l’aléa moral que les banques centrales ont installé en tant qu’acheteuses de titres et prêteuses de liquidités en dernier ressort. Aussi malsain que cela paraisse, force est de constater que les marchés financiers ne leur ont pas donné tort ces dernières années.

Oui mais voilà…

… Les marchés boursiers ont plongé en considérant que cette fois-ci, l’aléa moral fourni depuis plus de 10 ans par les banquiers centraux ne sert à rien. Le fameux put des banquiers centraux, qui offrait à l’investisseur une assurance certes non explicite mais quasi-inconditionnelle d’impossibilité de baisse des cours de nombreux actifs financiers en-deçà d’un certain niveau, s’est brutalement désactivé.

Les comportements d’investissement irresponsables et exubérants ne sont plus de mise.

Certes, les crises financières ont été sans cesse repoussées dans le temps parce que les marchés ont toujours été persuadés que les politiques monétaires sont irréversibles sous peine de mettre en danger le système financier international. Mais ce n’est plus le sujet aujourd’hui.

En effet, nous ne sommes ni en 2001, ni en 2007-2008 ni en 2011-2012 (pour ne citer que les périodes de stress extrêmes de ces 20 dernières années où il s’agissait de conjurer une crise financière ou bancaire systémique mettant en danger la solvabilité d’une catégorie d’agent économique). Souvenons-nous des crises les plus violentes de ces 20 dernières années, qui avaient en commun des situations d’excès d’endettement se transformant en crises de solvabilité.

Rappel des crises précédentes…

1/ On se souvient des cours surévalués et délirants des actions des entreprises télécoms surendettées en 1999-2000, avec l’éclatement de bulle qui a suivi.

2/ On se souvient aussi des crédits subprime aux ménages US surendettés et mal-endettés en 2004-2006 et des produits structurés adossés à ces crédits « pourris » — avec comme aboutissement une crise sans précédent de la titrisation en 2007 et des effets de contagion impressionnants, illustrés par la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008.

3/ A partir de fin 2009 et jusque durant l’été 2012, nous avons vécu un autre type de surendettement, celui de certains Etats souverains de la Zone Euro.

Dans ces différentes configurations, la politique monétaire des banques centrales extraordinairement accommodante a pacifié les marchés financiers (en réalité a repoussé sans cesse dans le futur de nouvelles crises financières), en injectant des liquidités dans le système bancaire et en baissant le coût de cette liquidité :

– mesures traditionnelles de baisse des taux directeurs ;

– mesures moins conventionnelles telles que les refinancements à long terme au secteur bancaire (TLTRO de la BCE depuis 2014 par exemple) ou les programmes de rachat d’actifs (QE pour quantitative easing).

A quoi serviraient aujourd’hui des baisses de taux et injections de liquidités supplémentaires ?

Les puissantes banques centrales ont beaucoup de pouvoir mais la crise du coronavirus nous rappelle, s’il en était besoin, que la santé est plus forte que l’argent. Ce n’est pas la création monétaire qui va permettre de produire des tests de diagnostics et de trouver des vaccins.

La planète financière s’est tellement habituée à l’idée selon laquelle le moindre problème pouvait être résolu par l’impression monétaire qu’elle est aujourd’hui sans repères. Même Steven Mnuchin, le puissant secrétaire au Trésor de l’administration Trump semble désemparé lorsqu’il affirme :

« Les banquiers centraux examineront les options de réponse au coronavirus si possible ».   

Soyons sérieux, les bonnes réponses ne se trouvent pas dans l’utilisation de la politique monétaire et l’abaissement d’un demi-point du taux directeur – mais dans l’utilisation de la politique budgétaire. Nous voyons trois raisons à cela.

Premièrement, tous ceux qui étudient ou ont étudié l’économie se souviendront du phénomène de la trappe à liquidités. De la liquidité additionnelle distribuée aux banques, investisseurs ou ménages ne sera pas utilisée pour prêter à une économie qui refuse temporairement de consommer, d’investir ou d’exporter.

En langage plus familier, on ne peut que faire référence au proverbe suivant : « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. »

Deuxièmement, on entend souvent dire que l’aléa moral fourni par les banques centrales et qui consiste à injecter des liquidités pour faire remonter les actifs financiers dits « risqués » (ou pour enrayer leur chute) est positif pour l’économie.

Ceci créerait des effets de richesse psychologiques permettant d’instaurer un réel climat de confiance généralisée dans l’économie. Ce n’est pas si automatique, car les effets de richesse liés à la hausse des actifs financiers peuvent avoir des conséquences plutôt neutres sur l’économie si la propension à épargner des détenteurs d’actifs est plus forte que la propension à consommer.

Cela va-t-il suffire ?

Franchement, dans le contexte de crise actuelle du coronavirus, imagine-t-on que la seule injection de liquidités (comme cela a été quasiment tout le temps le cas depuis 10 ans) suffirait à faire repartir à la hausse les actifs dits « risqués » (actions, obligations corporate…) ?

Probablement pas car, pour la première fois depuis bien longtemps, les marchés actions, notamment, ne vont plus être « drivés » par la liquidité mais vont se reconnecter au bon sens (dit-on en langage courant) ou aux fondamentaux (en langage d’économiste).

Avec de la liquidité fournie indirectement par la banque centrale, un investisseur a-t-il vraiment envie d’acheter une obligation corporate d’une compagnie aérienne ? Ou bien avec cette liquidité additionnelle, va-t-il se renforcer en actions Accor ou LVMH (boîtes extraordinaires certes, mais timing détestable) ou en actions Apple (très négativement affecté par le choc d’offre chinois) ?

Troisièmement, dans cette crise, c’est la politique budgétaire qui doit être privilégiée. Pas la politique budgétaire classique de relance keynésienne par la demande, mais une politique innovante visant à corriger les chocs d’offre, à investir massivement dans la recherche et à faire baisser fortement la fiscalité des entreprises de secteurs en difficultés.

Les marchés comme les particuliers n’ont que faire de taux plus bas, de liquidités nouvelles ou de pouvoir d’achat supplémentaire.

Il faut, par exemple, compléter le plan Juncker qui doit mettre en place dans la Zone euro les projets de « green deals » grâce à la constitution de fonds européens d’investissement dans la transition énergétique et les technologies associées.

Il s’agit de mobiliser les excès d’épargne publics (Allemagne, Pays-Bas) pour réaliser des investissements dans tous les pays de la Zone euro.

On peut alors imaginer que ces excédents budgétaires en Europe (là où ils existent) soient également mobilisés au service de la recherche médicale soit par une politique budgétaire active, soit par le biais de ces fonds européens d’investissement.

Ce sera toujours plus utile économiquement, socialement et surtout humainement, que de continuer à recycler les excédents d’épargne de la Zone euro dans le financement des déficits d’autres pays, notamment US : rappelons qu’aujourd’hui, la Zone euro a remplacé la Chine dans le financement des déficits US puisqu’une partie des excédents d’épargne de l’Eurozone est investie dans l’achat de bons du Trésor US.

Nous disons déficits au pluriel car mécaniquement, lorsqu’un non-Américain achète un bon du Trésor en $US, il finance tout à la fois le déficit budgétaire américain (titre émis par le Trésor US) et le déficit commercial US (achat de dollars contre sa devise).

Et si, finalement, les banques centrales prenaient des vacances ou se « mettaient en grève » (un peu de second degré ne fait pas de mal) ? Car ce n’est pas de politiques monétaires expansionnistes dont le monde a besoin aujourd’hui (pour toutes les raisons que nous avons vues plus haut) mais de politiques budgétaires plus expansionnistes et/ou moins restrictives ici ou là.

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