▪ Les gérants sont des génies ! Ils avaient tous réduit la voilure au début de l’été et se tenaient à l’écart d’un marché manifestement "trop cher".
J’en ris encore intérieurement : avant de partir en vacances début juillet, un de mes contradicteurs sur BFM (j’en avais beaucoup à l’époque, beaucoup moins maintenant) me faisait la leçon, arguant de PER redevenus attractifs alors que le CAC 40 revenait tester la zone des 4 800 points… un beau point d’entrée après 10% de repli.
Je ne dévoilerai pas son nom, d’abord parce que je n’ai aucun contentieux avec lui, mais aussi et surtout parce que 90% de ses confrères tenaient exactement le même discours début juillet.
J’irai même plus loin : ils n’avaient peut-être pas le droit d’approuver la moindre de mes objections, au risque de se faire remonter les bretelles par leur direction.
L’autre thèse la plus volontiers réitérée à longueur d’interview, c’est que le contexte n’avait pas changé. Les banques centrales restaient à la manoeuvre, plus accommodantes que jamais pour les marchés, maintenant un niveau de liquidité optimal, la future hausse de taux de la Fed étant déjà en grande partie "pricée" et devant s’avérer techniquement indolore.
Je n’y changerais pas une virgule aujourd’hui… mais le CAC 40 a perdu 6% de plus et 15% sur ses sommets.
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Ce qui a changé, en revanche, c’est le comportement des gérants. Ils ne recommandent plus de "payer tous les creux" mais de se montrer prudents vis à vis du "couteau qui tombe".
Si le CAC 40 se mettait à rebondir inopinément sur les 4 500 points, ils jureraient alors qu’ils se sont rués — avec un sens de l’anticipation qui fait la réputation de leur maison — sur des titres qui étaient manifestement bradés.
Il leur serait difficile, cependant, d’invoquer le caractère accidentel d’un point bas inscrit par excès de pessimisme. En effet, il ne s’agit pas d’un accident ponctuel mais d’un comportement du marché parisien qui devient récurrent.
▪ Les vendeurs ont le dernier mot
La séance de lundi l’illustrait à merveille. Après une entame de séance pleine d’entrain (+0,8%), suivie de l’inscription d’un plus haut (vers 4 597 points), le CAC 40 en terminait au plus bas (vers 4 515 points). Ce n’est pas bon signe.
Ce sont les vendeurs qui ont encore le dernier mot… pour la troisième séance consécutive |
Cela représente également 2% d’écart négatif entre les extrêmes du jour, et ce sont les vendeurs qui ont encore le dernier mot… pour la troisième séance consécutive.
Si les volumes n’étaient pas aussi anémiques (2,8 milliards d’euros échangés), il y aurait vraiment de quoi redouter que les vendeurs soient passés à l’offensive… Mais les gérants peuvent encore tenter de se rassurer en estimant que ce sont les acheteurs qui se montrent absents.
Autrement dit, "ça baisse dans le vide", mais il ne faudrait pas venir menacer les 4 500 points.
L’argument n’est qu’à moitié convaincant : regardez les volumes échangés lors de la litanie de records historiques du CAC 40 global return au printemps.
Combien de fois avons-nous eu l’occasion d’écrire "ça monte dans le vide" ?
Notamment lors des séances record (et il s’agit bien de records absolus) des 9, 10 et 13 avril (avec des volumes inférieurs à 3,6 milliards d’euros consécutivement) puis de nouveau le 27 avril, avec une culmination historique à 5 283 points (avec seulement 3,8 milliards d’euros échangés).
Lorsque j’évoque ce phénomène avec des gérants, ils avouent n’avoir rien remarqué de troublant… Et pourtant, à chaque consolidation, les volumes grimpaient de 30% à 40% au printemps dernier.
Ce qui me frappe, c’est que leurs yeux voient mais leur cerveau ne "tilte" pas.
Ils voyaient les statistiques chinoises se dégrader… mais n’en tiraient aucune conclusion relative à un ralentissement de la conjoncture mondiale.
Les "Abenomics", au Japon, sont un échec consternant (chute de 0,8% de la production industrielle nippone, en croissance zéro désormais sur 12 mois, à des années lumières des +3% à +3,5% anticipés)… mais ils n’anticipent pas que Tokyo pourrait se mettre à chuter.
Ils voient le pétrole divisé par deux… mais ne craignent pas de voir une épidémie de faillite de producteur de shale oil plomber les comptes des banques américaines.
Tout cela fait déjà l’objet de débats (pas suivis d’effets, mais peu importe), ceci dit. Notre vocation est de regarder au-delà de la Une des articles économiques du moment.
▪ Pourquoi est-ce que personne n’en parle ?
Le prochain sujet d’inquiétude, ce pourrait être la Russie dont le PIB va se contracter de 3,5% cette année (selon une estimation du Kremlin, donc c’est un minimum). Nous allons nous y attarder puisque personne n’en parle !
Selon un rapport de la Commission européenne que se serait procuré le quotidien allemand Die Welt, les mesures de rétorsion mises en place par la Russie (comme l’embargo sur les produits agricoles) en guise de riposte aux sanctions déclenchées au printemps 2014 sur ordre de Washington auraient des effets "relativement minimes" et "gérables".
La Commission européenne ne pronostique qu’une légère contraction du PIB de l’UE, de -0,25% — mais avec certaines disparités correspondant à l’étroitesse des liens économiques des différents pays avec la Russie.
L’Union européenne et la Suisse pourraient perdre 80 milliards d’euros de richesses produites en 2015 |
L’institut autrichien d’études économiques Wifo (à ne pas confondre avec le quasi homonyme allemand IFO) brosse un tableau beaucoup plus sombre. Il estime que l’Union européenne et la Suisse pourraient perdre 80 milliards d’euros de richesses produites en 2015, soit l’équivalent de 1,9 à 2 millions d’emplois menacés.
Il n’est pas question de débattre sur les causes de la récession russe (chacun a son avis politico-économique sur la question et sur la pertinence des sanctions) mais d’identifier les dommages collatéraux les plus visibles et les plus prévisibles.
L’effondrement de plus de moitié du rouble en 18 mois, aggravé par la chute des prix du pétrole, prive mécaniquement la Russie d’une part prépondérante de son pouvoir d’achat.
Comme les sanctions vont être prolongées de six mois (le principe est acquis, l’annonce de la décision est imminente), la situation ne va aller qu’en s’aggravant en 2016.
Et l’Allemagne, qui est depuis le début la plus alignée sur la ligne dure prônée par les Etats-Unis, est de tous les pays européens celui qui le plus à perdre… avec la Finlande (qui partage beaucoup plus qu’une frontière avec la Russie).
Wifo évalue le manque à gagner allemand à près de 27 milliards d’euros, soit plus de 1% du PIB (ce qui compromet 500 000 emplois outre-Rhin).
La France n’est pas épargnée. Ses exportations vers la Russie ont chuté de plus d’un tiers (effondrement des achats de viande, fruits et légumes) selon les chiffres d’Eurostat et du FMI… Sans compter la chute de 27% du nombre des touristes russes à Paris, sur la Côte d’Azur cet été, ou dans les stations de sports d’hiver huppées.
Le PIB de la France pourrait ainsi se trouver amputé de 0,5% (avec 150 000 emplois perdus à la clé). Cela sans compter la situation de crise traversée par de nombreuses filières agricoles (avec des producteurs au bord de la crise de nerfs cet été), qui ont perdu pour longtemps encore un débouché majeur à l’export.
Alors la question est simple : est-ce la Chine qui menace le plus gravement la croissance de l’Europe… ou est-ce la déconfiture de l’économie russe et la désintégration du rouble ?
Allez… une seule préoccupation à la fois. Les vendeurs à découvert vous serviront ce plat indigeste à la sauce Orloff dès qu’ils auront finalisé la préparation de leur prochaine offensive à la baisse… ce qui ne saurait tarder : juste le temps de faire rebondir les indices de 4% ou 5% après le communiqué de la Fed.