La Chronique Agora

La ruine, la vraie

Le capital ne peut pas être consommé ; il doit être épargné et investi avec sagesse et habileté. Tout le reste n’est que distraction… fraude et fantaisie.

« Que l’Histoire a maints passages subtiles, maints corridors

Et issues dérobées, qu’elle nous égare

D’ambitions chuchotantes,

nous leurre de vanités »

– Gérontion, TS Eliot.

Les investisseurs ont entendu hier l’attrait de la Lorelei. Si doux. Irrésistible. Quels plaisirs luxuriants ont-ils pu s’imaginer ? Quelles satisfactions d’un autre monde pourraient-ils offrir ?

Oui, les derniers bruits qui courent leur ont fait comprendre que l’inflation était sous contrôle. C’est ce que rapporte Business Insider :

« L’inflation a été plus faible que prévu, les prix à la consommation étant restés stables au mois de mai. Sur une base annuelle, l’inflation a augmenté de 3,3%. Ce chiffre est légèrement inférieur à l’augmentation annuelle de 3,4% enregistrée en avril, marquant ainsi le deuxième mois consécutif de ralentissement des prix. »

Les rendements obligataires ont plongé après la publication du rapport. Le Trésor américain à 10 ans a chuté de 11 points de base à 4,287%.

« L’IPC plus faible que prévu de mercredi va permettre à la Fed de commencer à réduire les taux d’intérêt dès septembre, puisque nous avons maintenant plusieurs lectures encourageantes de l’inflation, après le pic inquiétant du début de l’année », a déclaré Skyler Weinand, directeur des investissements de Regan Capital, dans une note. « La voie vers un atterrissage en douceur est toute tracée, et la Fed pourrait bien venir à la rescousse du marché dans trois mois à peine. »

Markets Insider a suivi :

« Le cours des actions américaines a augmenté mercredi, les investisseurs ayant pris en compte les données sur l’inflation et les dernières orientations de la Réserve fédérale en matière de réduction des taux, ce qui a permis au S&P 500 d’atteindre un nouveau record de clôture. »

Mais le Dow Jones a perdu tous ses gains lorsqu’il est apparu clairement que Jerome Powell n’était pas tout à fait d’accord avec cette baisse des taux d’intérêt. Le rapport sur l’inflation était « certainement meilleur que ce à quoi presque tout le monde s’attendait », a-t-il déclaré. Mais il a ajouté qu’il voulait s’assurer que l’inflation était sous contrôle avant de réduire les taux.

Ah. Les investisseurs devront donc attendre avant de ressentir la satisfaction attendue.

Quoi qu’il en soit, les baisses de taux de la Fed ne créent pas, comme par magie, davantage de richesse réelle. La richesse est créée par l’augmentation de la productivité… avec plus de production par unité de travail et de ressources. C’est le résultat d’un travail acharné et de patience. Les plaisirs immédiats doivent être repoussés, les leçons doivent être apprises. Le capital ne peut être consommé ; il doit être épargné et investi avec sagesse et habileté. Tout le reste n’est que distraction… fraude et fantaisie.

Après que la Fed a annoncé qu’elle ne réduirait pas ses taux prochainement, CNN a ajouté :

« Cela signifie que les coûts d’emprunt de tous les secteurs de l’économie seront réduits. »

Cela signifie que les coûts d’emprunt, qu’il s’agisse de prêts automobiles ou de prêts hypothécaires, resteront élevés.

L’abaissement du coût du crédit facilite les achats, mais ne facilite pas nécessairement le paiement. Comme nous l’avons vu, l’augmentation du crédit crée une richesse « fictive » à court terme, et non une richesse réelle à long terme. Les vendeurs enregistrent l’augmentation de leurs ventes comme un avantage. Les autorités fédérales les enregistrent comme une augmentation du PIB. Mais tant que la facture n’est pas réglée, la transaction est incomplète.

A mesure que la dette augmente, le coût du service de la dette (les intérêts) augmente et le nombre de débiteurs qui ne seront pas en mesure de payer augmente – y compris le plus grand débiteur au monde, le gouvernement américain. Il en va de même pour la quantité de richesses susceptibles de disparaître lors de la prochaine crise. Cela est particulièrement vrai dans le cas où les emprunts ont été contractés sous de faux prétextes, c’est-à-dire à des taux d’intérêt irréalistes ou artificiellement bas.

Et voilà, la dette augmente.

Les derniers chiffres sont sortis. Selon le Congressional Budget Office, le déficit du gouvernement fédéral pour le mois de mai a atteint les 348 milliards de dollars, soit 108 milliards de plus que l’année dernière. C’est dire, si les chiffres sont bons ! Le CBO prévoit des déficits compris entre 5,2% et 6,3% du PIB pour les dix prochaines années.

Les Etats-Unis sont une nation qui se ruine de la manière traditionnelle, en ajoutant des richesses fictives et des dettes réelles à ses comptes. A La Chronique Agora, nous ne sommes pas les seuls à le remarquer. Le Financial Times est sur le coup :

« Le FMI a exhorté les Etats-Unis à réduire leur fardeau fiscal croissant, déclarant que la forte croissance de la plus grande économie du monde leur donnait une marge de manœuvre ‘amplement suffisante’ pour freiner les dépenses et augmenter les impôts. Gita Gopinath, premier directeur général adjoint du Fonds, a déclaré qu’il était temps pour les économies avancées ‘d’investir dans l’assainissement budgétaire’ et de réfléchir à la manière dont elles prévoient de ramener le fardeau de la dette à ses niveaux d’avant la pandémie.

‘En ce qui concerne les Etats-Unis, nous estimons qu’ils ont largement les moyens de réduire leurs déficits budgétaires, compte tenu également de la vigueur de l’économie américaine’, a-t-elle déclaré lors d’une interview accordée au Financial Times. Ces mises en garde interviennent alors que les économistes et les investisseurs craignent que des années de prodigalité budgétaire de la part des démocrates et des républicains n’entraînent des problèmes pour l’économie américaine. »

Oui, cher lecteur, il y a « amplement matière » à réduire les dépenses. Mais la fraude est plus agréable que la vérité… et augmenter la dette est beaucoup plus attrayant que de la rembourser.

Pour l’instant, les décideurs politiques et les investisseurs sont enchantés par le chant de la Lorelei et la fausse richesse qu’elle produit. Plus tard, ils risquent de s’effondrer sur les rochers.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile