▪ "Vous allez vous taire, oui ?!"
C’est ce que nous aurions aimé dire ce matin.
A la table à côté de la nôtre, un promoteur de hedge fund travaillait dur…
"Proposition de valeur… il faut penser out of the box… on ne parle que de deux points, là… mais la négo est possible… Goldman… notre business model… prioritisons nos priorités… il faut trouver le bon équilibre… bla bla bla"…
Un peu plus tard : "nous ne faisons pas attention au ‘marché’. Nous achetons de bonnes entreprises à bon prix". Un ami expliquait la manière dont son fonds privé fonctionne.
"Nous visons 12% par an", a-t-il continué. "Et c’est ce que nous obtenons, plus ou moins".
Lorsqu’on achète des actions, on accepte le risque de marchés baissiers occasionnels |
Notre ami — qui a lancé son fonds en 2008 — n’est ni haussier ni baissier :
"Lorsqu’on investit en action, on sait qu’il y aura des périodes où les rendements boursiers deviennent négatifs. Mais nous ne nous en inquiétons pas. Lorsqu’on achète des actions, on accepte le risque de marchés baissiers occasionnels. On est rémunéré pour ça. Environ 5% par an, selon mes calculs. Cela s’appelle la ‘prime de risque’, qu’on gagne en échange d’être prêt à subir des périodes de perte".
▪ Marchés boursiers et plate-forme pétrolière
Vous connaissez notre point de vue : nous pensons qu’il faut être un investisseur courageux — ou imprudent — pour rester dans les actions US en ce moment. Elles sont chères. Le risque de perte est considérable. Et il pourrait s’écouler beaucoup, beaucoup de temps avant qu’elles se remettent. Notre ami a un point de vue différent.
"Que pourrait-il se produire, au pire ? Durant la Grande dépression, les actions ont baissé de 90%. J’achète des valeurs que je suis prêt à conserver pendant une dépression. Je gagne plus que la plupart des investisseurs parce que je suis payé pour accepter de souffrir pendant les retournements. Si l’on veut la prime de risque, il faut prendre le risque avec".
Il n’a pas tort.
Il est d’avis qu’investir sur le marché boursier revient un peu à travailler sur une plate-forme pétrolière dans l’Atlantique nord. On est mieux payé — mais on doit être prêt à être séparé de sa famille et de ses amis. Pas toujours, mais parfois. De même, les rendements obtenus grâce au marché boursier sont supérieurs — à terme — à ceux de l’obligataire parce qu’il y a des périodes où un investisseur boursier doit dire adieu à son capital bien-aimé. Il finit par revenir… mais du temps peut passer d’ici là. Tandis que l’investisseur obligataire dort sur ses deux oreilles nuit après nuit, l’investisseur boursier, lui, est de temps en temps contraint de passer de longues nuits sombres loin de son foyer et de sa famille.
Cela ne le dérange pas, bien entendu : il est payé pour ça. C’est la fameuse "prime de risque".
▪ Mais parfois, la situation change
Il y a des moments, selon nous, où cette "prime de risque" disparaît. Il y a des moments où les investisseurs ne voient que la prime et sont aveugles au risque. De toute façon, les autorités sont là pour les secourir — ou du moins le pensent-ils.
A l’occasion, les marchés chutent. Les investisseurs subissent des pertes |
Depuis qu’Alan Greenspan a pris les commandes de la Fed en 1987, ils avaient largement raison sur ce point. Lui et ses successeurs se sont précipités chaque fois que l’édifice chancelait — supprimant le "risque" du marché boursier. Bien entendu, ils ne pouvaient pas l’éliminer complètement. A l’occasion, les marchés chutent. Les investisseurs subissent des pertes. Ils sont toujours forcés de faire leur sac et de quitter la maison de temps en temps.
Mais en faisant suivre chaque rupture boursière par une augmentation du crédit facile, la Fed a substantiellement réduit cette période d’exil. Dans l’exemple le plus récent, par exemple, les valeurs US ont perdu la moitié de leur valeur. Mais grâce aux efforts herculéens des autorités, les investisseurs ont retrouvé leur argent trois ans après seulement.
A mesure que la confiance dans la volonté de la Fed de soutenir le marché augmentait, la prime de risque déclinait. C’est du moins notre hypothèse. Les gens n’ont pas besoin d’être payés pour prendre un risque dont ils ne pensent pas qu’il est réel. Ils font donc grimper les actions jusqu’à un niveau où il y a peu de chance d’un rendement important… et pas de "prime" du tout.
Voilà ce qui pourrait se passer : lors du prochain krach, les autorités viendront à la rescousse comme prévu. Mais avec des taux déjà proches du zéro, que peuvent-elles faire ? Peut-être n’auront-elles pas plus de succès que le Japon, où les actions ont perdu 80% après 1990… et ne se sont jamais remises… en dépit de taux frôlant le zéro ces 20 dernières années !
"J’ai le temps", dit notre ami. (Pour être parfaitement transparent… nous avons investi dans son fonds).