La Chronique Agora

Rien ne va plus pour les plus riches

Par Ingrid Labuzan (*)

Les milliardaires, les amoureux du luxe, les dépensiers ont la vie dure en ce moment. Ruinés, emprisonnés, ou — c’est un moindre mal — privés de leurs lieux de villégiature ou de leurs bijoux préférés, nombreux sont ceux qui connaissent des revers de fortune. Sans compter les financiers à la source de ces débauches de luxe : à vouloir flamber, les banques se sont retrouvées empêtrées dans des affaires ruineuses.

Après le palace, la prison
Il n’est pas là question de Bernard Madoff ou d’autre escroc à la fraude avérée. Avec la justice chinoise tout est plus trouble. Elle manifeste depuis quelque temps certaines velléités à envoyer ses milliardaires, dont la réussite faisait autrefois la fierté du pays, en prison. Les cas de fraudes ou de manipulation des cours de Bourse font l’objet d’enquêtes minutieuses.

Pour calmer la colère sourde des plus pauvres ? Chercher des noises à quelques-uns des 101 milliardaires du pays pourrait peut-être satisfaire les 207 millions de Chinois vivant avec 1,25 $ ou moins par jour.

Un jour de novembre dernier, le richissime Huang Guangyu, fils de paysan et fondateur de Gome Electrical Appliances Holding Ltd, qui possède des boutiques d’électronique dans tout le pays, n’est pas venu au bureau. La police a annoncé qu’il avait été arrêté, suspecté de manipulation de cours en Bourse, sans que l’on en sache davantage depuis. Ses milliards n’ont pu l’empêcher de finir en prison et sa femme est assignée à résidence.

D’après Xiaokang/Caizhi, le magazine du Comité central du Parti, les chances que Huang sorte de prison sont plus que minces. Quant à la survie de l’entreprise, son cours est suspendu et les détenteurs étrangers d’actions, comme JP Morgan ou Morgan Stanley, se sont retrouvés avec un paquet de titres invendables.

Ce cas est loin d’être isolé. Zhang Wenzhong et Yang Bin, eux aussi hommes d’affaires, ont été condamnés à 18 ans de prison et les directeurs de la banque chinoise Citic risquent 10 ans d’emprisonnement et une amende de 10 MHK$ (1,3 million de dollars) à la suite de la mauvaise gestion de la crise que traverse l’établissement, qui a subi de fortes pertes en pariant sur la hausse du dollar australien contre le dollar américain.

Après les resorts de luxe, les cabanons
Aux Etats-Unis, ce sont les faillites de projets immobiliers de loisirs de luxe qui inquiètent. Les banques, en particulier Crédit Suisse, ont littéralement arrosé les promoteurs afin qu’ils laissent libre cours à leurs rêves les plus fous, comme Lake Las Vegas, resort conçu sur la thématique de l’Italie, comprenant une réplique du Ponte Vecchio de Venise.

"En temps normal, les banquiers ne viennent pas à vous, c’est à vous d’aller vers eux (pour obtenir des prêts). Là, ils venaient nous voir avec des présentations PowerPoint très léchées", raconte dans Bloomberg Markets Jean-Pierre Boesflung, un promoteur de complexes de vacances de luxe aux Etats-Unis, d’origine française. "C’était comme de mettre des bonbons devant un enfant de quatre ans. Cela ressemblait à un rêve."

Au total, Crédit suisse a prêté 3,4 milliards de dollars pour huit projets de luxe entre 2005 et 2007. Pas un d’entre eux n’est rentable, ils sont soit en défaut de paiement, soit en faillite.

Pis, ces crédits ont été découpés et ont été revendus, selon le même mécanisme qui a déclenché la crise du subprime. Des morceaux d’emprunts, appelés CLO (Collateralized Loan Obligations) ont changé de main, présentés comme investissement. La Fondation Bill & Melinda Gates en a ainsi acquis pour 1,8 million de dollars.

Après l’or pur, le plaqué
Du côté des marques de luxe, c’est l’hécatombe. Si la maroquinerie et le cuir semblent relativement épargnés, les vêtements, la joaillerie et les montres ont de plus en plus de mal à trouver preneur. Une réalité qui frappe durement des marques comme Tiffany’s, Bulgari ou encore Richemont, dont les ventes ont chuté de 19% en avril et qui s’attend à une fin d’année difficile.

Dans la mode, des groupes comme PPR ou LVMH enregistrent des déboires identiques, y compris sur leurs marques phares, comme Gucci. Quant aux ventes d’Hermès de vêtements et d’accessoires, elles ont reculé de 5,4% au premier trimestre 2009. Son chiffre d’affaires a baissé partout, sauf en Asie (hors Japon). Selon une étude du cabinet de conseil Bain & Company, réalisée mi-avril, le secteur du luxe devrait perdre 10% sur l’année 2009.

Meilleures salutations,

Ingrid Labuzan
Pour la Chronique Agora

(*) Journaliste, Ingrid Labuzan est titulaire d’une maîtrise d’histoire, d’un master d’European Studies du King’s College London et d’un mastère médias de l’ECSP-EAP. Spécialisée sur le traitement de l’information et des médias étrangers, elle a vécu et travaillé pendant six mois à Shanghai. Elle a contribué à de nombreuses publications, dont le Nouvel Observateur Hors-série. Elle rédige désormais chaque jour la Quotidienne de MoneyWeek, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance.

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