La Chronique Agora

La richesse fantôme

a lonely ghost tormented on the stairs

La richesse ne se découvre pas. Elle se crée. Il doit donc y avoir un lien entre les créateurs et les créations… entre les producteurs et leurs produits… et les revenus et le capital.

Aujourd’hui, nous nous interrogeons sur l’argent lui-même. Nous n’arrivons à aucune conclusion… pour l’instant, nous nous y vautrons simplement, comme un cochon se roule dans la boue.

A Washington, l’argent afflue… et les eaux stagnantes du marais montent. Politico rapporte :

« Les six premiers mois du mandat du président Donald Trump ont engendré une manne financière historique pour le secteur du lobbying, avec une demande record d’assistance pour naviguer dans le flot incessant de déclarations politiques de l’administration – ou pour éviter de devenir une cible dans le gigantesque projet de loi républicain.

Un nouveau cercle de courtiers en influence émerge donc dans le marécage trumpien. Les entreprises proches de la Maison Blanche dominent désormais la hiérarchie du lobbying à Washington, selon une analyse de Politico des dernières déclarations trimestrielles.

Aucune n’a autant profité de cette dynamique que Ballard Partners, dirigée par Brian Ballard, ancien collecteur de fonds pour Trump. L’entreprise comptait parmi ses effectifs Susie Wiles, aujourd’hui cheffe de cabinet à la Maison Blanche, et Pam Bondi, ex-procureure générale. Au deuxième trimestre, Ballard Partners a généré 20,6 millions de dollars de revenus en représentant des clients comme Palantir, American Express, TikTok, Ripple Labs ou UnitedHealth. Soit plus de quatre fois les revenus engrangés à la même période en 2024. »

Public Citizen précise :

« Selon le rapport financier de Pam Bondi, déposé en janvier, elle a perçu plus d’un million de dollars entre janvier 2023 et janvier 2025, en tant que lobbyiste, associée et présidente du département Corporate Regulatory Compliance chez Ballard Partners. »

Le véritable talent des hommes de pouvoir réside dans leur aptitude à convaincre les foules qu’ils œuvrent pour leur bien, tandis que l’argent continue d’affluer vers les initiés.

Autre lecture possible : à mesure que l’empire du droit décline, la loi des hommes dégénère. Ils s’enrichissent en prétendant résoudre les problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés.

Mais gardons les yeux fixés sur l’argent. Il ne se dirige pas uniquement vers le lobbying : il irrigue aussi les actifs financiers.

Les actions atteignent – ou frôlent – des sommets historiques. Le S&P 500 dépasse les 6 300 points. Le Nasdaq franchit les 21 000 points. Le Dow Jones s’élève au-dessus des 45 000 points. La capitalisation boursière totale des actions cotées aux Etats-Unis dépasse les 50 000 milliards de dollars.

Les actifs « anti-actions » – or et crypto-monnaies – captent eux aussi des flux croissants. L’or a franchi les 3 400 dollars l’once. Et la semaine dernière, USA Today annonçait une nouvelle envolée du Bitcoin :

« Le Bitcoin a franchi pour la première fois la barre des 120 000 dollars lundi, marquant une nouvelle étape pour la plus grande crypto-monnaie du monde, alors que les investisseurs spéculent sur des avancées réglementaires longtemps attendues, au cours d’une semaine surnommée ‘crypto week’ par les républicains américains. »

Le BTC a même atteint un sommet de 123 153,22 dollars avant de se replier légèrement. Il affiche une progression de 30 % depuis le début de l’année.

Tout semble aller pour le mieux… sauf dans l’économie réelle.

Depuis le début de l’année, le PIB a reculé au premier trimestre. Le deuxième trimestre montre un frémissement, portant la croissance du premier semestre à environ 1 %. Autrement dit, le gain du Bitcoin représente 30 fois celui de l’économie réelle.

Le Bitcoin ne repose pourtant sur rien de tangible. Il ne représente aucun actif durable, ne dispose d’aucune équipe d’économistes, d’aucun organe de pilotage, ni d’aucune garantie. Et pourtant, il a gagné un tiers de sa valeur en dollars cette année. Pendant ce temps, le dollar a perdu environ 10 % face aux autres devises, et 20 % face à l’or.

C’est ici que la « monnaie fantôme » devient intéressante. La capitalisation boursière du Bitcoin s’élève à 2 300 milliards de dollars. L’ensemble des crypto-monnaies pèse désormais plus de 4 000 milliards de dollars.

Est-ce là une expansion de 4 000 milliards de dollars de la masse monétaire mondiale ? Si oui, d’où vient cet argent ? Quelle richesse représente-t-il vraiment ? Ou s’agit-il, comme la monnaie elle-même, d’une richesse fantôme, susceptible de se dissiper à la lumière du jour ?

La « richesse » implicite dans les cours boursiers a, elle aussi, explosé… environ dix fois plus que le PIB. Les bénéfices des entreprises n’expliquent pas cette flambée. Le ratio cours/bénéfice a atteint son deuxième plus haut niveau historique.

En 1980, les actions se négociaient 6 à 7 fois les bénéfices annuels. C’était la fin d’un cycle. Depuis, les actions n’ont cessé de grimper… pour ne plus jamais retomber sous 10 fois les bénéfices.

Aujourd’hui, sur le S&P 500, un dollar de bénéfice justifie 30 dollars de valorisation. Ce chiffre est dopé par le faux dollar mis en circulation après 1971, qui fausse tout depuis. Cela implique que près des deux tiers de la valeur totale du marché – soit environ 33 000 milliards de dollars – sont eux aussi de la « richesse fantôme ».

Aucune tribu de chasseurs-cueilleurs n’a jamais découvert un pick-up Tesla. Aucun aristocrate maya n’a jamais allumé la clim ou siroté un Coca bien frais en regardant le Super Bowl sur un écran plasma.

Non. La richesse ne se découvre pas. Elle se crée. Il doit donc y avoir un lien entre les créateurs et leurs créations… entre les producteurs et ce qu’ils produisent… entre les revenus et le capital.

Une action tire sa valeur de la production de son entreprise, qu’elle soit réelle ou imaginée. Nous avons vu que les cours des actions ont largement dépassé la croissance des bénéfices. Mais le Bitcoin ? D’où tire-t-il sa valeur, lui qui ne produit rien ?

Personne ne travaille pour le compte de Bitcoin. Aucun salarié. Aucun chiffre d’affaires. Aucun produit. Aucun dividende. Pas même un gadget.

Alors, où se trouve la « richesse » suggérée par ces 2 300 milliards de dollars de capitalisation ?

Rendez-vous demain… Nous examinerons de plus près cette richesse fantôme : d’où vient-elle ? Où va-t-elle ? Et surtout, quand disparaîtra-t-elle ?

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