La Chronique Agora

Retrouvez la liberté de contracter

Les êtres humains sont des êtres sociaux, c’est-à-dire que leur vie nécessite l’existence de liens avec d’autres êtres humains ; ce qui n’empêche pas chacun d’avoir sa propre personnalité.

Ces liens peuvent être conflictuels ou pacifiques et l’on peut penser que, si la civilisation perdure, c’est parce que les hommes, dans leur ensemble, ont su renoncer aux conflits et ont été capables de trouver des modalités d’accords entre eux.

On peut appeler ces accords des contrats, même s’ils ne sont pas formalisés. Le contrat met en relation deux personnes (ou deux ensembles de personnes, par exemple des entreprises) et si un contrat existe, c’est évidemment parce qu’il est satisfaisant pour les deux co-contractants. Si le contrat est librement décidé et signé, il rend impossible toute domination des uns par les autres : les contractants partagent la même liberté et la même dignité.

Prenons l’exemple du contrat de salaire qui est certainement l’un des contrats les plus importants dans la vie des hommes et des femmes de notre époque. Les deux « signataires » du contrat sont satisfaits en ce sens qu’ils ont trouvé un terrain d’entente, en particulier sur le montant du salaire versé, la nature du travail à exécuter et les conditions de travail.

Chacun espère donc tirer profit de la mise en œuvre de ce contrat. Mais, bien entendu, le salarié souhaiterait, si cela était possible, obtenir un salaire plus élevé et son employeur préférerait sans doute que le coût du travail soit plus faible, compte tenu de l’apport productif réalisé par le salarié.

Mais l’un et l’autre sont limités dans leurs souhaits par ce que l’on peut appeler l’état du marché du travail au moment de la signature du contrat. Ainsi, le salarié sait qu’il ne pourrait probablement pas trouver un emploi s’il maintenait une exigence de salaire plus élevé, car les employeurs potentiels lui préféreraient un autre salarié.

Symétriquement, l’employeur sait qu’il ne pourra pas trouver un salarié disposé à accepter un salaire plus faible, si ce n’est, peut-être, un salarié dont les compétences ou l’ardeur au travail seraient plus faibles.

Une fois le contrat conclu, il convient de le mettre en œuvre, c’est-à-dire que le salarié va effectuer le travail qui a été prévu conformément à son contrat. Mais il est bien évident que rien ne peut être parfaitement prévisible dans la vie des hommes. Il se peut que le salarié donne une totale satisfaction à son employeur et qu’il soit pour sa part totalement satisfait de son salaire et de ses conditions de travail, auquel cas la collaboration entre employeur et employé se poursuivra très probablement et le salarié pourra même obtenir un meilleur salaire et de meilleures conditions de travail. Mais il se peut aussi que des désaccords importants aient lieu entre eux : ainsi, l’employeur peut considérer que l’employé n’a pas les compétences requises ou qu’il néglige son travail, le salarié peut se plaindre de certaines exigences de son patron ou de ses conditions de travail.

Sauf s’il est manifeste que les droits de l’un ou de l’autre ont été mis à mal, il importe peu de savoir si l’un ou l’autre a raison, car leurs réactions sont de nature subjective et un observateur extérieur ne peut pas se mettre à leur place pour décider si le travail est plus ou moins bien fait ou si le patron a des exigences excessives.

Ce qui est important, c’est ce qui est ressenti par chacun et il existe un fait objectif observable, à savoir qu’il y a un désaccord entre employeur et employé sur la manière dont le travail est exécuté.

Si ce désaccord est trop important, il est préférable pour les deux qu’il soit mis fin au contrat. Ainsi, il se peut que l’employeur licencie le salarié, à condition évidemment de le faire d’une manière qui soit conforme à ce qui avait été prévu dans le contrat à cet effet. Mais, évidemment, il se peut aussi fort bien que la rupture du contrat soit faite à l’initiative de l’employé et pourquoi ne pourrait-on pas dire dans ce cas que le salarié « licencie son employeur » ?

La fin du contrat peut donc être désirée parce que l’exécution du contrat n’est pas aussi prometteuse que l’espérait chacun des partenaires. Mais elle peut aussi résulter d’événements qui n’avaient pas été prévisibles lors de la signature du contrat. Il se peut par exemple que le salarié ait poursuivi parallèlement à son travail une formation qui le conduit finalement à désirer un autre type d’emploi ; ou bien que l’employeur décide de modifier le processus de production de manière à accroître la productivité du travail, par exemple parce qu’un progrès technique permet d’effectuer certaines tâches avec une main-d’œuvre moins abondante.

Enfin, il y a aussi une hypothèse qu’il convient de ne pas oublier, celle où une intervention extérieure modifie de manière imprévue les conditions de la production. C’est le cas, en particulier, si l’Etat impose des augmentations d’impôts ou impose des contraintes réglementaires coûteuses pour une entreprise : ce qui paraissait rentable lors de la signature d’un contrat de travail l’est beaucoup moins, voire ne l’est plus du tout.

Il est alors normal que l’entrepreneur s’adapte aux circonstances s’il veut assurer la survie de l’entreprise et donc le maintien d’un certain nombre d’emplois. On peut même dire qu’il est de son devoir d’agir ainsi.

Même si leurs rôles dans l’entreprise sont différents, l’employeur et l’employé se trouvent dans une position symétrique du point de vue du contrat : ils l’ont tous deux librement signé et ils ont tous deux la liberté fondamentale d’y mettre fin, quelles qu’en soient les raisons, qu’on les considère comme bonnes ou mauvaises.

Ne devrait-on pas reconnaître qu’obliger l’un des deux partenaires du contrat à en poursuivre l’exécution alors qu’elle ne lui donne pas satisfaction est une atteinte à ses droits, mais que c’est aussi la source d’un mauvais fonctionnement de l’entreprise, dont finalement tout le monde pâtit ?

Acceptez donc cette idée fondamentale pour la vie des hommes et des femmes : il vaut mieux une rupture de contrat que la continuation d’un mauvais contrat. Il en est ainsi absolument dans tous les domaines de la vie.

A notre époque, les législateurs ont rendu de plus en plus facile à des époux de divorcer, répondant ainsi à un désir profond et légitime d’un certain nombre de conjoints. Il y a donc eu une reconnaissance légale de ce désir de libéralisation : on a rendu aux époux leur autonomie de décision et l’Etat a largement renoncé à empiéter sur des décisions qui relèvent normalement et uniquement de ceux qui sont concernés, des hommes et des femmes libres.

Mais il est alors très étrange que parallèlement on puisse constater une évolution inverse en ce qui concerne un autre type de contrat, le contrat de travail. Comment pouvez-vous accepter que, d’un côté, on respecte votre liberté de décider et que, de l’autre, on la limite considérablement ? […]

Nous nous trouvons en effet malheureusement dans une situation de chômage élevé. Ceci n’est pas seulement la conséquence de la crise financière récente, mais c’est un phénomène qui dure depuis trois ou quatre décennies (et qui s’est accéléré depuis l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République).

Mais réfléchissez-y bien : comment peut-il se faire qu’un nombre important de gens désireux et capables de travailler ne trouvent pas un employeur désireux de les embaucher ? […]

Lorsque l’Etat s’immisce dans les contrats privés, il en détruit en grande partie l’utilité. Il en est ainsi lorsqu’il rend difficiles ou qu’il interdit les licenciements. Les employeurs potentiels hésitent davantage à embaucher des salariés s’ils savent qu’ils auront du mal à les licencier s’ils ne donnent pas satisfaction ou si les circonstances nécessitent une réduction des effectifs.

Et, comme nous l’avons déjà dit, le maintien forcé d’un salarié dans une entreprise se fait au détriment de la qualité du travail et rend les entreprises moins performantes. Il y a donc moins de richesses créées et c’est le niveau de vie de beaucoup de gens qui en est ainsi réduit. Mais cet effet négatif de l’intervention – prétendument bienveillante – de l’Etat n’est évidemment pas facilement visible et c’est pourquoi les hommes politiques sont tentés par ces politiques destructrices. C’est à vous, électeur, d’être lucide et de dénoncer l’imposture !

Le licenciement est un processus douloureux, en particulier, évidemment, pour celui qui le subit. Il se trouve en effet brutalement dans une situation d’incertitude et il ne sait pas s’il pourra retrouver rapidement un travail satisfaisant pour lui. Par ailleurs, le changement d’emploi oblige généralement à supporter des coûts spécifiques : il faut consacrer du temps et éventuellement de l’argent pour trouver un autre emploi, il faut parfois même changer de domicile. Mais il arrive aussi qu’on trouve finalement un emploi plus satisfaisant que celui qu’on a dû quitter. L’incertitude et les coûts de ce changement sont évidemment d’autant plus grands qu’il y a un taux de chômage plus élevé, car la probabilité de retrouver un emploi est alors plus faible. On comprend, dans ces conditions, que les salariés puissent désirer la « protection de l’emploi ».

Leur situation est tout à fait différente lorsqu’il y a plein emploi. Peut-être se souvient-on, de ce point de vue, de la période pas si lointaine – au début de ce siècle – où le taux de chômage était inférieur à 4 % aux Etats-Unis et où les employeurs faisaient de gros efforts pour éviter que leurs salariés – en particulier les meilleurs d’entre eux – ne les quittent parce qu’ils avaient trouvé un emploi mieux rémunéré et plus agréable.

Dans une situation de plein emploi les salariés sont dans une position de force pour négocier leurs salaires et leurs conditions de travail, c’est-à-dire qu’on se trouve dans une situation exactement contraire de celle qui caractérise l’approche marxiste : même s’il n’y a pas lieu de dire que les salariés « exploitent » les employeurs, il est en tout cas évident qu’aucune « exploitation » des salariés n’est alors possible.

[…]

Mais le vrai problème qu’il conviendrait de résoudre ne vient pas du fait qu’il y a des licenciements, mais du fait qu’il n’y a pas suffisamment d’embauches possibles. Les licenciements sont une chose normale dans une économie dynamique où les changements techniques sont rapides et les taux de croissance élevés, ce qui apporte une prospérité croissante à tous.

Imaginez que, dans une société potentiellement dynamique, on interdise tout d’un coup totalement les licenciements. Ceci signifierait que l’on figerait les structures productives, en empêchant les salariés de se déplacer pour aller des secteurs en perte de vitesse vers les secteurs à forte croissance.

Une telle économie perdrait son dynamisme et tout le monde pâtirait de la stagnation économique. C’est d’ailleurs en partie ce qui se passe aujourd’hui en France, de même que dans beaucoup de pays européens. C’est ainsi que les prétendues politiques d’emploi sont en fait hostiles à l’emploi.

[…]

Il y a là une vérité difficile à admettre, mais qui doit être comprise si l’on veut retrouver la prospérité. La vraie politique d’emploi ne consiste pas à rendre les licenciements difficiles, mais à supprimer les obstacles à l’emploi (ceux que nous avons rencontrés et ceux que nous rencontrerons), tous ces obstacles qui rendent difficile pour les salariés de trouver un emploi ou d’en retrouver un lorsqu’ils ont perdu celui qu’ils avaient.

Tel est le terrible paradoxe de l’emploi : chacun croit avoir intérêt à obtenir la protection du législateur et le législateur trouve évidemment intérêt à répondre positivement à cette demande d’une partie de son électorat. Mais, ce faisant, il détruit en partie les mécanismes naturels qui permettent aux êtres humains d’améliorer leur situation. Il faut sortir de ce paradoxe, il faut sortir de ce cercle vicieux.

Même si votre intérêt personnel de court terme vous rend favorable aux mesures de restriction à la liberté de licencier, il vous faut comprendre que, finalement, ces mesures nuisent à beaucoup de gens et qu’elles peuvent se retourner contre vous.

[…] lorsqu’on poursuit son intérêt personnel non pas en entrant librement en rapport avec autrui, mais en recourant à la force pour imposer aux autres un comportement et des choix qu’ils n’accepteraient pas librement, on agit de manière immorale puisqu’on ne respecte pas la liberté d’autrui. En outre, on réduit le bien-être des autres et il se peut même, bien souvent, qu’à plus ou moins long terme on soit également victime du recours à la contrainte qu’on a souhaité. En effet, si chacun, pensant poursuivre ainsi son intérêt personnel, obtient un privilège aux dépens des autres grâce à l’exercice de la contrainte étatique, tout le monde finit par être victime des cadeaux et des protections donnés aux uns et aux autres.

Il faut donc bien se convaincre de cette vérité incontournable : le privilège des uns est une injustice pour les autres. Et lorsque les privilèges se multiplient, les injustices se multiplient et on ne sait d’ailleurs plus quels sont les vrais gagnants et les vrais perdants.

Les hommes politiques prétendent agir non pas par intérêt, contrairement aux acteurs du marché, mais par bienveillance et souci de l’intérêt général ; mais en fait ils agissent par intérêt puisque leur première préoccupation consiste à obtenir le vote de ceux qu’ils prétendent satisfaire. Ils ne défendent pas l’intérêt général mais des intérêts bien particuliers et, par ailleurs, leur action risque fort de nuire à tout le monde. On se trouve donc bien dans une situation exactement inverse de celle de la « main invisible » : la main visible de l’Etat fait semblant de donner des faveurs à toutes sortes de catégories de personnes, mais parce qu’elle recourt nécessairement à la contrainte, elle est en fait destructrice.

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