La Chronique Agora

Rendons justice au charbon

** En ce qui concerne le charbon, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ne lui rend pas justice. On le trouve sale, moche et banal. C’est le cadeau qu’on offre à Noël aux enfants qui n’ont pas été sages. En termes de vie quotidienne, le charbon est quasiment inexistant. Pourtant, la Révolution industrielle tout entière était basée sur le charbon

– Le pétrole occupe peut-être le devant de la scène, ces derniers temps, mais le charbon est loin de s’être endormi. En fait, on pourrait même dire que le monde dépend plus que jamais du charbon. Selon de récents chiffres publiés par l’Institut mondial du charbon, 24,4% de la consommation d’énergie primaire de la planète provient du charbon. Sa part dans la génération d’électricité planétaire est de 40,1%. Aux Etats-Unis, plus de la moitié de l’électricité du pays provient du charbon. En Chine et en Australie, le total approche les 80% ; en Pologne et en Afrique du Sud, on dépasse les 90%.

– Pour remettre en perspective la quantité physique de charbon consommée par la planète, réfléchissez à cela : selon le site internet howstuffworks.com, l’électricité nécessaire pour maintenir une ampoule de 100 watts allumée toute la journée consommerait environ 357 kilos de charbon sur une année. La plupart d’entre nous ne laissent pas les lumières allumées 24h/24, mais nous avons tendance à avoir plusieurs appareils électriques fonctionnant en même temps.

– En fait, la plupart des utilisateurs de charbon de la planète n’en sont même pas conscients. Cette ignorance est un luxe, fourni par les avantages de la technologie moderne. Durant la majeure partie de l’histoire, le charbon s’est révélé être une source particulièrement épouvantable de pollution urbaine. Les poumons noircis et les yeux rougis remontent au Moyen Age. En 1285, le roi Edouard I s’est retrouvé confronté à deux grandes batailles. En Ecosse, il y avait William Wallace ; et à Londres, il y avait le charbon. Le roi a essayé de mettre un frein à l’utilisation du charbon dans les lieux publics — et a échoué. Des interdictions rigoureuses et des punitions brutales ont été mises en place, mais la fumée a continué d’empuantir l’air. Avec la croissance rapide de la ville et la déforestation, les besoins de Londres en carburant et en chaleurs passaient avant tout.

– 500 ans environ après Edouard I, le très efficace couple charbon/vapeur avait transformé l’Angleterre et déclenché la Révolution industrielle. En 1850, la Grande-Bretagne était officiellement urbanisée, avec 51% de la population vivant dans les villes. Et ces villes industrielles étaient invivables — en particulier Manchester : un ciel noir de fumée, un sol maculé de suie, l’air lui-même saturé de poussière. 57% des enfants mouraient avant l’âge de sept ans — et ceux qui survivaient travaillaient en général dans les usines et les mines jusqu’à leur mort.

– Toute cette misère a désormais disparu (en Occident, au moins). Les centrales électriques modernes fonctionnant au charbon sont des parangons d’efficacité et de discrétion. Des jets de flammes hauts de 10 étages consomment jusqu’à 500 tonnes de charbon par heure, cachées dans d’immenses chaudières transformant la chaleur en vapeur et la vapeur en électricité. Tout cela se produit derrière des portes closes, sur des terrains surveillés, en dehors des villes. Nous ne voyons plus le charbon, pas plus que nous le sentons ou le voyons. Nous appuyons simplement sur l’interrupteur.

** Cependant, malgré tout le nettoyage effectué par le secteur, nous payons encore un lourd tribut à l’utilisation du charbon. Les centrales à charbon occidentales ne crachent plus de fumée noire ; leurs émissions ont été vigoureusement nettoyées et filtrées, en accord avec la loi. Mais ces émissions "propres" continuent de contribuer à des choses comme les pluies acides et autres problèmes environnementaux de long terme, du type émissions de dioxyde de carbone. Et dans des pays moins regardants — comme la Chine, par exemple — les émissions "sales" provenant de centrales à charbon ont fait naître certaines des villes les plus polluées au monde.

– Le New York Times affirme que la Chine utilise plus de charbon que les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne réunis. Les centrales chinoises sont plus vieilles, moins efficaces et produisent plus d’émissions toxiques que leurs homologues occidentaux réglementés. Dans la mesure où l’Inde suit la Chine à la trace, une épidémie de pollution pourrait bien se préparer.

– Devrions-nous nous montrer pleins de gratitude ou pleins de dégoût envers le Roi Charbon ? Difficile de ne pas ressentir les deux. Dans l’ensemble, le charbon s’est montré vraiment bon pour nous. En tant que carburant de la Révolution industrielle — et même si les conditions initiales étaient infernales — le charbon a généré le développement de l’industrie et le niveau de vie élevé dont profite actuellement l’Occident. En tant que source continue d’électricité bon marché, le charbon donne désormais à la Chine et à l’Inde une chance de poursuivre leur croissance rapide. Mais tout cela a un coût. La Chine abrite sept des dix villes les plus polluées de la planète — en majeure partie à cause de la dépendance du pays à l’électricité générée par le charbon.

– Même ainsi, le monde ne se passera pas du charbon de sitôt. L’économie énergétique penche largement en faveur du charbon — en particulier dans les pays en voie de développement. Les nouvelles centrales, qui continuent d’être construites à un rythme rapide, peuvent rester en fonctionnement durant un demi-siècle ou plus. Les mettre en "retraite anticipée" n’aurait aucun sens. Bon nombre de centrales existantes ont encore des décennies à vivre. Enfin — et c’est sans doute le plus important — des pays comme la Chine et l’Inde doivent également gérer l’émergence de leur classe moyenne et le développement de styles de vie basés sur la consommation. Ils pourraient avoir besoin de toutes les sources d’énergie qu’ils peuvent obtenir — propres ou sales — pour répondre à la demande dans les années qui viennent.

– Pendant ce temps, le "charbon liquide" et autres technologies propres continueront à nourrir la demande dans le monde développé. Etant donné tous ces facteurs, un charbon à 40 $ la tonne semble bien trop bon marché.

– Il est intéressant de noter que le ratio prix du charbon/ prix du pétrole brut a chuté à son niveau le plus bas de la décennie. Cette relation n’implique pas nécessairement que les prix du charbon approchent un plancher important, mais cela en suggère la possibilité.

– Investisseurs de long terme, prenez-en note…

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