La Chronique Agora

Réflexions durant une tempête de neige

▪ Ben Bernanke a annoncé qu’il augmenterait le taux d’escompte "avant longtemps". Les chiffres de l’inflation sont plus élevés que prévus aux Etats-Unis. Viendra un moment où M. Bernanke devra augmenter les taux pour y mettre un terme. Mais nous avons idée que ça n’arrivera pas de sitôt. Nous devons d’abord traverser une dépression.

Nous soupçonnons fortement, en revanche, que M. Bernanke n’a pas la moindre idée de ce qu’il est en train de faire.

En bref, nous ne savons pas ce qui va se passer, ni quand ça va se passer. Mais nous sommes assez sûr que M. Bernanke comprend les choses encore moins que nous. Nous comptons tout de même sur lui pour nous guider. Nous observons ce qu’il fait… nous écoutons ce qu’il dit… et nous faisons le contraire !

▪ En attendant, nous sommes bloqué par la neige… Il y a une couche d’au moins 90 cm devant notre porte.

Washington est passée de la panique au désespoir. La neige a commencé à tomber un peu… puis le vent est arrivé. Les autorités locales ont mis fin aux opérations de déblayage lorsqu’il s’est avéré qu’elles devenaient "trop dangereuses". Les équipes ne voyaient pas où elles allaient ni ce qu’elles faisaient.

On a recommandé aux automobilistes de quitter la route. Une précaution qui nous semblait superflue, dans la mesure où il était impossible de prendre la route… ou même de voir où elle était. On nous a tout de même dit de nous en tenir loin pour que les véhicules d’urgence puissent circuler.

On a enregistré des rafales de vent allant jusqu’à 90 km/h. L’électricité a été coupée dans des milliers de foyers. Puis la compagnie d’électricité a arrêté d’essayer de réparer les câbles endommagés. Elle a estimé qu’il était trop dangereux de continuer à travailler.

La police elle-même a ensuite annoncé qu’elle ne pouvait plus répondre aux appels. Ils auraient aussi bien pu envoyer une invitation aux criminels : venez dévaliser une boutique de vins et spiritueux, s’il-vous-plaît.

Heureusement, les bandits étaient coincés chez eux aussi. Personne ne voulait sortir. Et ceux qui le faisaient risquaient leur vie… c’est du moins l’impression que donnaient les autorités.

"Si votre voiture est immobilisée, restez dans le véhicule. Ne tentez pas de sortir pour vous mettre à l’abri. Vous pourriez être désorienté par la tempête".

Ils avaient peur de voir les gens tomber dans des congères. Lorsque le chasse-neige géant passerait, votre cadavre gelé aurait pu endommager la machine.

La capitale américaine et ses environs sont donc devenus silencieux. Personne ne bougeait. Personne n’est allé travailler… parce qu’il n’y a pas de travail où aller. Personne n’est allé faire d’achats, parce qu’aucun magasin n’était ouvert. Les écoles étaient fermées. Edward — qui s’est enfui chez  un ami avant que la neige ne commence à tomber — a une semaine entière de vacances forcées.

L’hiver atteint des records dans la région. Ça nous va. Nous avons de l’électricité. Un poêle dans le salon. Et nous avons accumulé une réserve de vin qui pourrait durer jusqu’à la fin de l’apocalypse si nécessaire.

Nous hivernons confortablement. Au chaud. Bien nourri. Et même satisfait.

▪ Notre refuge n’est gâté que par une chose — nos propres pensées.

"Mais tous ces pauvres gens dans les hôpitaux et les maisons de retraite", demanda notre mère… âgée de 88 ans. "Les gens ne peuvent pas aller travailler. Qui s’occupe d’eux ?"

"Eh bien, c’est probablement le bon moment pour un peu de sélection naturelle", avons-nous plaisanté. "La nature doit reprendre ses droits de temps en temps".

Evidemment, l’humanité essaie toujours d’avoir le dessus sur la nature. En termes de science et de technologie, elle a clairement réussi. Ses efforts, augmentés au cours des générations, font que votre correspondant peut profiter de l’un des blizzards les plus féroces qui ont jamais atteint cette partie de la planète depuis 100 ans. Il peut observer la neige de derrière ses fenêtres à double vitrage… tout en buvant un verre de vin venu d’Amérique du Sud. Il peut vérifier les nouvelles financières du reste du globe depuis son ordinateur portable… puis donner son propre avis sur la question à des centaines de milliers de lecteurs partout dans le monde.

En ce qui concerne la nature, l’homme est le maître. Mais en ce qui concerne la nature humaine, il est toujours l’esclave.

Ah, cher lecteur… c’est là le genre de pensées qu’on a durant une tempête… Une pensée qui en vaut la peine, mais qui, un jour ordinaire, serait passée comme la camionnette du facteur. Or hier, elle était enlisée dans une congère… juste devant la maison, impossible à ignorer.

Oui, cher lecteur… l’homme progresse dans les choses qu’il peut toucher et sentir… tordre et marteler. Il peut se construire une maison bien chaude… et un camion pour livrer les journaux.

Mais il existe de nombreuses choses sur lesquelles il n’a aucune prise. Même au XXIe siècle, en dépit de toutes les études sur les relations humaines, il ne s’entend pas mieux avec son épouse qu’Henri VIII avec les siennes… et il ne se débrouille pas mieux avec ses enfants que Jacob avec ses fils.

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