La Chronique Agora

Recherche praticien courageux sachant guérir la pétoche…

** Mercredi matin, nous nous attendions à une sévère rechute du thermomètre boursier, à une baisse de 3% comparable à celle de Wall Street mercredi soir ou de 3,75% comme à Tokyo au cours de la nuit… et les justifications n’auraient pas manqué. Le CAC 40 n’a cédé pas plus de 2% en cours de séance avant de réduire ses pertes des deux tiers entre 16h30 et 17h35, pour clôturer sur un modeste repli de 0,65% qui n’empêchera personne de dormir en attendant les chiffres de l’emploi aux Etats-Unis ce vendredi.

La publication des statistiques hebdomadaires du chômage aux Etats-Unis jeudi après-midi pouvait constituer une entrée en matière de nature à faire grelotter les investisseurs outre-Atlantique mais le nombre de nouveaux allocataires a reculé de 24 000, à 467 000 : c’était la bonne surprise du jour.

Le département du Travail américain précise que la moyenne mobile sur quatre semaines s’est établie à 4,47 millions, en hausse sensible de 45 000 — ce qui est moins réjouissant et nettement plus représentatif de la tendance dans ce secteur.

Les bourses européennes ont donc marqué le coup vers 14h30 mais le marché américain, qui avait enregistré sa plus forte chute depuis le 9 décembre dernier, a bénéficié d’une sorte de phénomène de fait accompli si bien que les pertes initiales n’ont guère dépassé les 0,5%.

Le CAC 40 ou l’Eurotop 100 se sont donc ressaisis en fin de séance, limitant leur repli à 0,7% en moyenne, dans des volumes qui invitent à se demander si la trêve des confiseurs ne serait pas en train de jouer les prolongations jusqu’au nouvel an chinois ou jusqu’à la Chandeleur.

** La banque centrale d’Angleterre fait pourtant tout ce qu’elle peut pour réanimer la City et favoriser un rebond de l’activité sur le marché interbancaire. En abaissant son taux de 50 points de base (à 1,5%), elle crée une situation sans précédent. En effet, jamais les taux britanniques n’étaient passés sous la barre des 2% depuis la création de la Bank of England (BoE) en l’an de grâce 1694 — qui vit aussi la naissance de Voltaire, lequel ornera pendant 15 ans les billets de 10 francs imprimés par la Banque de France.

Mais la BoE ne s’arrêtera probablement pas là ; il y a fort à parier que son objectif se situe vers 1% (voire en dessous) d’ici la mi-février. "Lorsque certaines bornes sont franchies, y’a plus de limites", comme le disait un humoriste français du début du XXème siècle.

La BCE a jusqu’à la semaine prochaine — sa réunion de politique monétaire aura lieu le jeudi 15 janvier — pour déterminer si elle abaisse le loyer de l’argent de 50 points (ce qui est le consensus), de 75 points (certains l’espèrent, comme en décembre) ou de 100 points (soyons fous !).

** Si J.-C. Trichet voulait justifier le recours à un geste spectaculaire, ce ne sont pas les prétextes qui lui feraient défaut. Les derniers indicateurs de la Commission européenne confirment les perspectives difficiles à l’entame de la nouvelle année sur le Vieux Continent. La Zone euro est ainsi en récession de 0,2%, le moral des industriels est au plus bas depuis 25 ans (c’est-à-dire depuis le second choc pétrolier en 1983) et l’Espagne compte plus de trois millions de chômeurs.

Le sentiment économique a continué à se dégrader fortement le mois dernier en Europe. L’indice ESI a dévissé de sept points à 63,5 points dans l’UE et de 7,8 points à 67,1 dans l’Euroland.

De même, l’indicateur du climat des affaires (BCI) dans la Zone euro a atteint un plus bas historique (depuis 1985) à -3,17 en décembre, contre -2,10 en novembre et -1,31 en octobre.

La Commission précise que chacune des cinq composantes de l’indice a reculé, notamment le baromètre de la production observée et l’indice d’écoulement des stocks de produits finis.

De son côté, au mois de novembre et par rapport au mois précédent, l’Allemagne a enregistré la plus forte chute (-10,6%) de ses exportations depuis la réunification en 1990.

L’Office fédéral de la statistique a calculé que l’excédent commercial allemand a fondu d’un tiers environ, avec un total de 10,7 milliards d’euros fin novembre, contre 15,8 milliards d’euros fin octobre.

De tels chiffres peuvent expliquer pourquoi Angela Merkel et la coalition au pouvoir trouvent soudain pertinents les appels à la mise en oeuvre d’un plan de relance… alors qu’ils étaient jugés "stupides et consternants" depuis le milieu de l’automne. L’Allemagne pourrait consacrer jusqu’à 50 milliards d’euros pour insuffler un peu de vie à son économie qui semble faire le mort depuis deux mois.

** Outre-Atlantique, Barack Obama vient d’annoncer le principe d’une réduction d’impôt de 1 000 $ qui concernera 95% des ménages américains (sauf les 5% les plus riches). Il a aussi détaillé un plan de relance "d’une ampleur sans précédent". Il devrait dépasser les 775 milliards de dollars et sera consacré pour une bonne part au doublement de la capacité de production d’énergies alternatives et à la rénovation de millions de bâtiments (écoles, parc locatif…) qui sont loin d’être aux normes en matière d’isolation et d’équipement électrique.

"Les Etats-Unis paieront ces efforts d’une forte augmentation du déficit budgétaire mais c’est un mal nécessaire sinon trop d’emplois seront perdus".

Le futur locataire de la Maison Blanche semble en effet parier sur un état de grâce qui se traduit par une incontestable fermeté du dollar, alors que l’euro restait inchangé à 1,37 $ ce jeudi. Tout vaut mieux que la récession ou même la déflation, dans l’esprit des marchés.

Les investisseurs ont en revanche été indisposés par une cascade de mauvais chiffres émanant du secteur de la distribution aux Etats-Unis. Plusieurs grandes enseignes ont revu à la baisse leurs prévisions de résultats pour le quatrième trimestre après des chiffres de ventes ressortis en fort repli. C’est notamment le cas de Macy’s, GAP ou Abercrombie & Fitch et de Sears Holding, mais — surprise — le titre s’envolait rapidement de 20%.

Quant à Wal-Mart, le numéro un incontesté du secteur anticipe désormais pour le quatrième trimestre un bénéfice par action (BPA) inférieur de 10% à 12% aux prévisions initiales (entre 0,91 et 0,94 $, contre une précédente fourchette de 1,03 à 1,07 $). Les ventes ressortent en baisse de 0,1% à 46,5 milliards de dollars en décembre contre une progression de 0,2% anticipée.

La chute du titre de -8 à -9% apparaissait du coup plus logique que l’envolée de Sears !

** Pour continuer à dépenser au-dessus de ses moyens, il faut trouver du crédit, et l’argent commence à se faire rare au guichet des banques. Car maintenant, elles se préoccupent — et cela remonte à quelques mois seulement — de savoir si les emprunteurs pourront rembourser leurs dettes… et elles se montrent désormais très pointilleuses.

La Fed a dévoilé jeudi un très fort ralentissement de l’octroi de prêts à la consommation avec une chute historique de 3,7% (soit pratiquement une baisse de huit milliards de dollars, du jamais vu depuis 1943) en novembre aux Etats-Unis.

Ce sont les grosses dépenses (voitures, études, vacances…) qui ont été les plus pénalisées avec un recul de 3,9% mais le crédit revolving adossé aux cartes de crédit n’a pas non plus été épargné : il a diminué de 3,4%.

Face à cette pénurie de confiance de la part des prêteurs — plutôt que de liquidités puisque la Fed en inonde le système financier –, les 1 000 $ de pouvoir d’achat restitués par le fisc risquent d’apparaître un peu "courts" pour soutenir la consommation sur le long terme… mais cela pourrait suffire pour donner l’illusion d’un rebond qui rassurera Wall Street.

Si aucun investisseur ne se fait d’illusion sur une sortie de crise rapide, l’économie américaine vit dans l’urgence d’un déstockage massif… à tous les niveaux.

Comme vous avez déjà pu le lire dans nos Chroniques les plus récentes, il y a "trop de tout" et plus assez de travail.

Wall Street s’en fichait tant que les méga-profits des uns finançaient les petits boulots des autres, mais aujourd’hui, les seuls postes à pourvoir se situent du côté des huissiers, des liquidateurs, des syndics de faillite, des commissaires priseurs… et des médecins/psychologues spécialisés dans la prise en charge de la souffrance morale.

Selon Michel Audiard, les financiers ne devraient pas encombrer les salles d’attentes : "ils n’éprouvent ni regrets, ni remords… par contre, ils souffrent de la pétoche".

On ne saurait mieux résumer la situation.

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile