La Chronique Agora

Le rebond a pris les marchés boursiers par surprise

▪ Nous pourrions vous offrir un petit descriptif du type « on refait le match » au sujet de la fin de séance proprement hallucinante qui s’est déroulée à Wall Street mardi soir… mais cela manquerait un peu de vécu, et nous passerions à côté de l’essentiel.

L’essentiel auquel nous faisons allusion, c’est le ressenti des traders qui ont couru après le score entre 21h10 et 22h avant-hier soir.

Pour ceux qui avaient sauté à pieds joints dans le bear trap [« piège à baissiers », NDLR.] qui leur avait été tendu lundi soir (chute de 125 points du Dow Jones entre 21h50 et 22h et franche cassure du support moyen terme des 10 720 points à la clé), le leitmotiv était le suivant : « on s’est fait piéger, on s’est fait tacler, ‘ils’ ne nous ont même pas laissé le temps de nous couvrir ».

Et en effet, la fin de séance de mardi s’apparente à un véritable passage à tabac des vendeurs à découvert.

Pour ceux qui se tenaient sur le banc de touche, ils ont vu les vendeurs mener 2 à 0 à quelques minutes de la fin du match puis se prendre un 4 à 0 durant les arrêts de jeu.

Ils n’auraient pas parié un dollar sur les chances des haussiers. Vingt-quatre heures plus tard, ils se demandent s’il faut encore miser 50 cents sur les chances des  baissiers au match retour.

▪ Moins de trois heures après le début de la séance de jeudi, le Nasdaq fusait déjà au contact des 2 450 points, alors qu’il flirtait encore avec les 2 300 points en début de soirée précédente.

Après quelques passes mal ajustées entre le Dow Jones et le S&P (qui avaient du mal à courir à la même vitesse), l’équipe des Haussiers a retrouvé un peu de cohésion et le rally a repris de plus belle.

Vers 19h45, les Haussiers menaient 1 à 0 avec un penalty à suivre… brillamment transformé juste avant la mi-temps : les Baissiers sont rentrés au vestiaire avec un 2 à 0 au compteur et avec le moral dans les chaussettes… exactement comme leurs adversaires 24 heures auparavant.

Le problème, c’est qu’ils ne peuvent plus qu’espérer un second retournement de situation miracle qui leur permettrait de quitter le terrain avec un 4 à 2 en leur faveur… Dans ce cas, il leur faudrait jouer un troisième match de poule, avec le risque que les rumeurs de début de résolution de la crise grecque se confirment — ce qui reviendrait à jouer sans gardien de but et sans attaquants, avec 11 milieux de terrain chaussés de sabots de bois.

▪ L’image n’est pas gratuite. Nous avons parcouru les forums boursiers et constaté que 90% des messages postés s’insurgeaient contre la hausse « absurde et démesurée » de mercredi.

Manifestement, les 4,3% engrangés par le CAC 40 ou les +4,25% de l’Euro-Stoxx 50 ont pris beaucoup de monde à contrepied. Les vendeurs patinent sévèrement sur un gazon devenu très glissant… et tous ceux qui prétendent ne pas être assez distraits pour se laisser refiler des sabots de bois sont cloués sur place par des semelles de plomb.

Le rebond les a manifestement pris de vitesse, aussi bien techniquement que psychologiquement. Il faut reconnaître — à leur décharge — que le scénario des dernières 48 heures est  hors norme. L’indice Nasdaq, qui tutoyait encore les 2 300 points mardi soir vers 21h, engrange pratiquement 7% en ligne droite. C’est l’une des plus fortes hausses de la décennie sur un intervalle de 10 heures de cotation.

▪ Le marché s’était habitué depuis début juillet à une succession de déconvenues politique et économiques… à un « concours de laideur » entre l’Europe et les Etats-Unis… à un oubli systématique de l’intérêt de l’intérêt général au nom de petits intérêts électoralistes particuliers… à des mois d’échéances politiques majeures où il importe de marquer son territoire aux yeux de l’opinion publique.

Les dernières rumeurs et petites phrases ont manifestement changé de nature. Elles évoquent la possibilité pour le FMI de racheter des dettes souveraines dans des cas de stress exceptionnel des marchés… Et la dernière déclaration d’Angela Merkel concernant le maintien de la Grèce en Zone euro et le renforcement du capital des banques « qui en ont besoin » suggère que l’Allemagne évolue enfin dans le sens souhaité par Olli Rehn sur la question d’un FESF modifié.

▪ Pour en revenir aux éléments positifs tangibles, les investisseurs ont salué un bon indice ISM des services qui est ressorti à 53 aux Etats-Unis, légèrement au-dessus du consensus de 52,8. Le secteur tertiaire ne pâtit guère des turbulences économiques qui obnubilent Wall Street depuis plus de deux mois.

Autre bonne surprise : les chiffres publiés par ADP concernant les créations d’emplois dans le secteur privé américain au mois de septembre sont légèrement meilleurs qu’attendus, à +91 000 au lieu de +75 000.

Nous comprenons la consternation de ceux qui se demandaient hier soir sur les forums boursiers comment les marchés peuvent s’en réjouir de façon aussi exubérante. Il faudrait 250 000 emplois supplémentaires par mois en moyenne pendant trois ans pour résorber le chômage US.

Mais ces « bons chiffres » — vous devinez qu’il s’agit d’humour eu égard à la flambée de Wall Street — écartent le scénario d’une récession dure aux Etats-Unis. Les anticipations conjoncturelles des derniers jours s’avèrent un peu trop pessimistes puisque l’activité économique ne chute pas de façon mesurable à la lumière de ce qui précède.

▪ Et cela a été au tour des vendeurs à découvert sur le pétrole et les métaux de se faire coincer les doigts dans la « porte de saloon »… Le baril a effectué hier une remontée de 5,5% à 79,7 $ sur le NYMEX.

Il s’agissait du mouvement le plus spectaculaire du jour, et de loin, sur un marché à terme de référence à l’échelle mondiale… C’est également une preuve supplémentaire que les pessimistes ont cru en un triomphe trop facile, convaincus que la presse économique et les Nuisibles Anonymes allaient continuer d’apporter de l’eau à leur moulin à broyer les actifs boursiers et les matières premières.

Ils viennent de perdre une première bataille après une série impressionnante de victoires sans bavures mais nous sommes bien convaincus qu’ils prendront leur revanche avant Noël.

Dans l’intervalle, ils devront se méfier de l’optimisme militant des chefs d’entreprise américains lors de la publication des trimestriels — dont le coup d’envoi sera donné dans une semaine. Il faudra également compter avec l’habitude de Wall Street de soutenir les cours à l’approche de Thanksgiving.

Sinon, sur le fond, ils ont bien raison de penser que l’Europe ne se tirera pas d’affaire en diluant les dettes souveraines toxiques dans une sorte de magma d’instruments obligataires. Surtout lorsque ces derniers sont créés à volonté au moyen d’emprunts prétendument garantis par des dépôts prélevés auprès de pays déjà insolvables… Et en ce qui concerne les Etats-Unis, ils sont déjà en faillite.

▪ La seule façon de faire oublier ce minuscule détail a été de braquer les projecteurs sur la Grèce et d’attiser avec beaucoup d’habileté les divisions entre les membres de l’Eurozone.

Mais cela ne les protègera pas de l’autodestruction voulue et orchestrée par le Tea Party à l’horizon 2012. Les vendeurs à découvert peuvent envisager les 12 prochains mois avec optimisme.

Qu’ils reprennent quelques forces durant un mois ou deux, qu’ils se fassent un peu oublier pendant que l’Europe règle — en surface — ses problèmes : leur contre-attaque n’en sera que plus efficace.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile