La Chronique Agora

Rachat en série des totems de Manhattan, actions américaines crucifiées

** Il y a vingt ans de cela, le Japon surfait sur une vague de liquidités qui déferla avec force sur la côte est des Etats-Unis… et de préférence Manhattan. Les investisseurs nippons étaient sur le toit du monde économique et cherchaient par tous les moyens à le faire savoir de la façon la plus ostentatoire.

Le groupe immobilier Hideki Yokoi avait jeté son dévolu sur l’Empire State Building — qui venait de souffler ses 60 bougies — et le Rockefeller Center.

En 2008, les Japonais de la génération "bulle immobilière" se souviennent à peine du temps de leur splendeur ; leurs enfants, aujourd’hui bacheliers, l’étudient dans les livres d’histoire.

Les Américains ont bien tenté de rejouer la même partition, celle de la multiplication de milliards virtuels grâce à l’industrie des dérivés de crédit. Cependant, l’argent généreusement prêté par la Chine ou les pays de l’OPEP n’a pas été investi dans les quartiers d’affaires de Tokyo — car les prix n’y redécollent pas — ni même à Moscou — où les prix s’envolent. L’administration Bush a tenté — et magistralement raté — le super banco en essayant de mettre la main sur le pétrole irakien et d’imposer la démocratie en Mésopotamie.

Cela représente une mise à fonds perdus de 400 milliards de dollars par an depuis plus de cinq ans, sans compter le coût astronomique de la flambée du pétrole pour des contribuables américains déjà exsangues… à qui le Trésor vient de restituer environ 150 milliards de dollars pour soutenir la consommation.

Aujourd’hui ruinés, les Américains ont l’impression de revivre le même scénario qu’à la fin des années 80 mais avec un nouveau casting : les acheteurs viennent toujours d’Orient, mais du "Moyen", cette fois-ci, et non du pays du soleil levant.

Abu Dhabi Investment Council, une filiale de l’Abu Dhabi Investment Authority qui a investi en novembre 7,5 milliards de dollars dans le capital de Citigroup, met 800 millions de dollars sur la table pour racheter le Chrysler Building, le joyau de l’architecture Art Déco des années 30, dont le sommet brillant comme de l’aluminium semble avoir été fabriqué par les plus grands carrossiers de l’époque.

L’annonce de ce rachat tombe tout juste une semaine après que l’autre totem new-yorkais de l’industrie automobile, le General Motors Building — qui héberge entre autres le célèbre Apple Store de la Cinquième Avenue — ait été acquis par Boston Properties pour 2,8 milliards de dollars. Mais ne vous y trompez pas, cette firme, dont le nom fleure bon l’aristocratie WASP, est en fait épaulée par des fonds implantés à Dubaï, au Koweït et au Qatar.

Manifestement, les monarchies du Golfe ont entrepris de convertir leurs pétrodollars dans des investissements tangibles et moins volatils que des bouts de papier vert, lesquels menacent de tomber en poussière sous le climat caniculaire de la péninsule arabique !

** Il semblerait en revanche que les actions américaines (-2,3% en moyenne hier soir) soient désormais assimilées à ce qui se fait de plus vulnérable en termes d’actifs libellés en dollars. Elles constituent plus que jamais le reflet d’une économie financiarisée qui produisait plus de commissions que de richesses réelles depuis le tournant du XXIe siècle.

Les économistes s’attendent à ce que les institutions financières qui plombent Wall Street depuis l’été 2007 annoncent, dans le sillage de la publication de leurs trimestriels à la mi-juillet, une nouvelle vague de dépréciations d’actifs.

Mardi midi, Ben Bernanke a de nouveau promis d’aider les banques tant que cela s’avérera nécessaire. Les opérateurs en ont déduit que si la Fed prenait un engagement aussi ferme, c’est qu’elle estimait que la crise est loin d’être terminée !

Les besoins en argent frais — simplement destinés à restaurer les ratios de solvabilité, avant même de songer à offrir de nouveaux prêts aux investisseurs — pourraient dépasser les 200 milliards de dollars d’ici la fin de l’année.

Les géants du refinancement hypothécaire, Fannie Mae et Freddie Mac, absorberaient à eux seuls un tiers de ce montant. Ils ont hier été victimes d’un véritable jeu de massacre après la parenthèse haussière de mardi dernier (12 à 13% repris respectivement). Fannie Mae a replongé de 13,1% et Freddie Mac de 23,8%, soit une chute de 36% depuis le début de deuxième semestre 2008, après -50% au premier semestre, ce qui porte le total à -84% en un an. C’est vertigineux !

Les banques d’affaire n’ont pas été épargnées puisque Merrill Lynch a dégringolé de 9,25% — Fitch Ratings menace de dégrader la notation de sa dette. Morgan Stanley a quant à lui plongé de 6,85% ; Lehman, plus que jamais sur la sellette, est victime des rumeurs les plus alarmistes et a replongé de 11,4%. Sur la même longueur d’onde, le rehausseur de crédit MBIA a dégringolé de 12,8%, MGIC de 11,3% et le promoteur DR Horton de 8%, retraçant ses planchers annuels (10 $/9,65 $), équivalents à ceux du mois de mars 2003 de sinistre mémoire.

** A Wall Street, qui n’avait pas pris un si mauvais départ mercredi matin, tout a dérapé lorsque les opérateurs ont pris connaissance d’une note négative de la banque UBS concernant le groupe informatique Cisco (5,7%). Ce dernier est soupçonné de devoir annoncer une baisse de ses ventes aux Etats-Unis et en Europe sous l’impact du ralentissement économique et de la raréfaction du crédit aux entreprises.

Si l’on en croit Thomas Hoenig, président de la banque de Réserve fédérale de Kansas City, ce crédit pourrait bientôt coûter plus cher… et cela a achevé de déprimer Wall Street. Thomas Hoenig prône un relèvement des taux d’intérêt américains "aussi vite que possible" afin d’empêcher qu’un cycle d’inflation élevée ne s’instaure — comme si tel n’était pas déjà le cas.

Il faut tendre vers une politique monétaire "neutre", ajoute-t-il dans une interview accordée à l’agence Reuters, sans préciser vers quel niveau il faut placer le curseur.

La BCE, au moins, ne laisse pas les marchés dans l’expectative : elle vient de rajouter 0,25 point (à 4,25%), et de récentes petites phrases de grands argentiers néerlandais et même italiens augurent d’un tour de vis supplémentaire qui porterait le loyer de l’argent à 4,5% avant la fin de l’année 2008 — un niveau très comparable à l’inflation réelle subie par les consommateurs.

C’est probablement ce qui explique en grande partie la déconfiture du dollar face à l’euro mercredi soir (-0,6% à 1,5760 euro). Autre élément déterminant : les tirs d’essais de neuf missiles à moyenne et longue portée en Iran, présentés comme la preuve que Téhéran a les moyens de riposter en cas d’attaques contre ses installations nucléaires. Alors que les marchés sont littéralement tétanisés par le risque de sévères déconvenues lors de la déferlante des trimestriels qui débutera en fin de semaine, les investisseurs n’avaient vraiment pas besoin d’une résurgence de l’aléa géopolitique !

Philippe Béchade,
Paris

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